Comores : discours de Muigni Baraka aux Nations unies, janvier 1976

Présentation de la situation des Comores avant le référendum prévu à Mayotte
 janvier 1976

Intervention de Muigni Baraka traduite par Ismaël Ibouroi [1]

Je voudrais tout d’abord exprimer mon profond respect à l’égard de cet auguste Conseil qui, je crois est le garant de la paix dans notre monde troublé. Le travail qui a été fait par ce Conseil depuis sa création jusqu’à aujourd’hui et le rôle joué par les présidents qui s’y sont succédés méritent nos remerciements. Et je dois tout particulièrement remercier le président actuel qui a fait montre de beaucoup de sagesse et de prudence en dirigeant les réunions de ce Conseil. En même temps, je dois remercier cet organe pour l’intérêt qu’il a manifesté à l’égard des problèmes de notre petit et nouveau pays. Mais, bien sûr, comme les représentants le savent, tout petit que soit un pays de nos jours, ce pays-là fait partie du corps qui est le monde. Et même si le plus petit doigt est malade, tout le corps le ressent et tout le corps peut être sujet à de hautes températures. Par conséquent, quoi qu’il arrive n’importe où dans notre monde aujourd’hui, ce pays intéresse d’autres pays, aussi loin et petit qu’il puisse être.

Je commencerais mon propos par une introduction.
Je voudrais expliquer la situation politique aux Comores par rapport à leur Indépendance et montrer que la France, conformément à ses propres lois et sa constitution, n’a aucun droit d’essayer de séparer Mayotte de l’ensemble de l’Archipel des Comores car c’est un fait que depuis la séparation des îles du continent Africain, Mayotte est restée partie et morceau des îles Comores, jouant un rôle très important dans la vie du pays par sa contribution et sa participation dans toutes les circonstances. Ensemble, ces quatre îles constituent l’État Comorien.
C’est un fait admis par les Nations Unies, et les Nations Unies ont voté pour l’admission des Comores comme Membre de cette Organisation en tant que quatre îles et non trois. Cela est irréversible.
Le monde a accepté cette situation. C’est maintenant un fait, et cela le demeurera. L’indépendance pour ces quatre îles doit y rester, et la France comme toute autre nation le sait.
Certes, il demeure encore quelques divergences d’opinions mineures mais je suis sûr qu’avec l’aide de ce Conseil elles seront réglées, que la situation s’améliorera et finalement ces petites îles au large de la côte est de l’Afrique ne seront la cause d’aucun trouble dans ce vaste monde.

Tout naturellement, les premiers occupants des Comores furent des Africains venus de la côte Est de l’Afrique, et par la suite d’autres gens venus du continent Asiatique.
En tout état de cause, les historiens s’accordent à dire que l’occupation de ces îles débuta il y a plus de 4 000 ans. Des preuves historiques existent à ce sujet mais nous n’allons pas nous étendre sur cela, ce serait déplacé (hors de propos) de procéder ainsi.
Ce qui est certain c’est que des Arabes venus du Yémen et du Golf arrivèrent dans les îles avant l’apostolat de Mahomet et continuèrent depuis à visiter ces îles. Certains s’y sont installés et leurs descendants fait partie des citoyens de ces îles.
Les tous premiers occupants des Comores, certes des tous premiers occupants du moins furent des Malais comme le révèlent l’histoire et les traits mongoliens de certains Comoriens.
Quelqu’un a même remarqué que j’ai des traits mongoliens. Jusqu’à quel point cela est vrai, je n’en sais rien. Ensuite vinrent le Chiraziens dont plusieurs reliques sont encore là ces divers éléments se sont mélangés pour former une seule communauté comorienne à tel point qu’ils perdirent tous leurs coutumes et traditions d’origine, que ce soit de l’Arabe, de l’Iran, de la Malaisie ou de l’Inde.

Quiconque naquit dans ces îles devient un comorien à part entière. Ceci est spécifique. Cette assimilation était inévitable parce que la société des îles Comores est toujours restée matriarcale. C’est ainsi qu’il n’y a jamais eu des conflits ou des problèmes d’ordre racial ou religieux aux Comores. La religion de l’écrasante majorité est l’islam.
Ils appartiennent presque tous à l’école de pensée chaféite et ils observent des traditions et des coutumes solidement enracinées, les conditionnant tous aux mêmes apparences, attitudes et comportements.On lit ou on entend à la radio qu’à Mayotte, il y a des chrétiens qui méritent la protection de la France et que cela constitue une excuse suffisante pour séparer Mayotte de ses sœurs.
Cette déclaration est entièrement fausse car tous ces chrétiens appartiennent à trois familles et leur nombre est seulement 152 alors que la population de Mayotte s’élève à plus de 40 000 habitants, tous musulmans.
Cela se justifie-t-il que cette minorité soit la cause de l’isolement d’une partie du pays sous prétexte que leurs intérêts doivent être sauvegardés ? Leurs intérêt et droits en tant que citoyens Comoriens sont déjà sauvegardés.
En fait, ils sont non seulement sauvegardés mais, également, les îles et les gouvernements respectifs les ont toujours considérés comme les citoyens d’un pays, les îles Comores. Parce que les habitants de ces îles ne connaissent pas de discrimination d’ordre racial ou religieux, quiconque s’installe dans les îles Comores est comorien au point que des Français qui se considèrent comme comoriens bénéficient de tous les droits et privilèges accordés aux autres Comoriens.
Le meilleurs exemple en est le fait qu’un Français né en France est actuellement, après l’indépendance, l’un des trois ambassadeurs itinérants du jeune État, malgré la mésentente existant entre la France et les Comores. Cet exemple n’a pas de pareil dans l’histoire politique. C’est un exemple extraordinaire de justice sociale et de tolérance politique qui mérite les applaudissements du monde entier, surtout de la France qui croit fermement à la liberté, égalité et à la fraternité.

Aux Comores, nous assistons à un exemple unique d’égalité des chances et de promotion. Les chrétiens de Mayotte ont été autorisés depuis le début à participer pleinement à la vie politique et sociale des Comores. Certains d’entre eux ont appartenu à l’Assemblée.
Il y en avait d’autres qui furent Ministres et dont un des leurs, en l’absence du président de l’époque, fut désigné comme président par intérim. Le gouvernement des îles Comores n’est par conséquent aucunement disposé à accorder des droits spéciaux à aucune communauté ni famille. Comment alors, une partie intégrante peut-elle être séparée du reste pour une excuse qui ne tient pas debout ?

Depuis des temps immémoriaux, ces îles y ont toujours vécu ensemble, fonctionnant comme des organes d’un même corps. Personne ne peut nier cela car il est impossible qu’il puisse en être autrement du fait de la proximité des îles les unes par rapport aux autres, chacune dépendant de sa sœur pour toutes ses affaires. La géographie, la nature, les mariages et les besoins humains de toutes sortes les ont unies, tout comme tout autre endroit du monde considéré comme une unité.
S’il y eut des différences d’autorité dans ces îles c’est à l’instar de ce qui s’est passé dans d’autres pays comme la France elle-même. Tout comme la France ne permettra pas la division de ce noble pays, ainsi en va-t-il avec le gouvernement des Comores. Il n’acceptera jamais une division, de quelque nature que ce soit, dans son jeune Etat.

En fait, l’unité de Mayotte avec les autres îles est démontrée par un fait historique : en 1513, un certain Mohamed Ben Hassan, sultan d’Anjouan devint sultan de Mayotte à la suite de son mariage avec la reine de cette île. La conséquence de l’unité naturelle de ces îles est que la France découvrit qu’elle n’avait pas d’autre choix que de regrouper ces quatre îles ensemble sous un seul gouvernement.
En 1841. La France essaya en vain de séparer Mayotte de ses sœurs. En 1843, elle fit de Mayotte une dépendance de l’île Bourbon, actuellement appelée Réunion. Par la suite, elle découvrit que cela n’était pas pratique, et en conséquence entre 1843 et 1844, elle rattacha Mayotte à Nossy Bé, une île au large de Madagascar. Là encore, elle découvrit qu’une telle combinaison était artificielle et ne marchait pas. Un tel mariage ne pouvait réussir et c’est ainsi qu’elle renversa la situation et plaça Nossy Be sous Mayotte de 1844 à 1878. L’expérience n’enseigna que cela ne pouvait marcher non plus, et la France dut rattacher Mayotte à Madagascar.
Ceci ne servant à rien, la France fut contrainte de retourner à la réalité en 1912 et reconnut que Mayotte ne pouvait être séparée de ses sœurs. La France regroupa par conséquent toutes les quatre îles pour former une colonie sous la direction du gouvernement de Madagascar, situation qui dura jusqu’au 1946.

C’est alors que des faits durs contraignirent la France à séparer l’Archipel de Madagascar, radicalement et définitivement.
Il est pertinent de rappeler ici que Mayotte était en fait la base pour l’extension de l’autorité politique et administrative dans toutes les îles comme le révèle le décret de 1889 qui parlait de Mayotte et de ses dépendances. Par cet acte, la France reconnaissait le fait inaliénable que Mayotte et les autres îles constituaient une seule entité indivisible. Elles avaient toujours été ainsi et elles le sont demeurées. Elles étaient comme ça avant le colonialisme. Elles demeurèrent ainsi dans cette situation naturelle, au temps du colonialisme et elles resteront ainsi après le colonialisme.
C’est très important que la République Française n’a jamais remis en question l’unité de l’Archipel, et qu’elle fit connaître au monde que les quatre îles constituaient toutes un seul pays sous direction Française.
Dans ces circonstances, le gouvernement Français et la chambre des Députés des Comores convinrent le 5 juin 1973 que le pays était à faire pour accélérer l’accession des îles à l’indépendance.
Le Président Giscard d’Estaing lui-même suivit ces pas avec intérêt et ne prononça jamais un mot susceptible d’être interprété comme repoussant l’unité des îles. En fait, il fit même bien comprendre le 24 Octobre 1974 que les Comores étaient indivisibles, comme ils l’avaient toujours été.
C’était donc tout naturel qu’ils demeurent ainsi et que leur sort soit commun. Telles sont les paroles du Président Français.

Dans cet esprit, un travail sérieux commença à la fin de 1974 pour accélérer l’application de l’article 53 de la constitution française. Cet article saluait le fait que les habitants de ces îles voulaient un référendum, que ce serait global, pour montrer si oui ou non elles voulaient l’indépendance.
Le vote global eut lieu et la réponse fut positive. Ceci n’était pas le fruit d’un accident. L’unité des îles comme précédemment souligné, était un fait indéniable reconnu par les Français eux-mêmes.
Et le premier texte qui révélait cela, était celui du 9 septembre 1889 déclarant qu’il devrait y avoir une unité politique et administrative dans l’Archipel des Comores. Cet article ne fut jamais abrogé par aucun autre texte malgré une série de déclarations faites ultérieurement en rapport avec divers sujets concernant les îles Comores.

Actuellement au moment où je vous parle la situation est très difficile et je dois vous en informer. La légion étrangère Française, des forces militaires, des parachutistes des commandos spéciaux et des bateaux de guerre dont l’un circule constamment autour de l’île pendant que les autres restent arrivées au port, sont massées autour des Comores. Des appareils continuent à tourner et à voler au-dessus de la tête des gens leurs tentant d’influer sur l’opinion en faveur de l’indépendance.
Le 16 juillet, les Français ont essayé d’exiler tous les nationalistes irréductibles. Certains d’entre eux furent embarqués dans des vedettes et d’autres dans des pirogues.
Je suis pratiquement sûr que cela ne fut pas organisé avec l’accord du gouvernement de Paris et je ne serais pas surpris si le représentent français était là, de trouver cela tout à fait nouveau. Mais c’est ce qui s’est passé en réalité et ce sur quoi il faut insister, c’est que ce conseil doit faire face aux faits et aux réalités.
Ce conseil est là pour résoudre des problèmes. Le représentant français lui-même est je suis sûr, de ceux qui sont préoccupés par la résolution de ce problème de façon pacifique.
Je suis pratiquement sûr que lui tout autant que le peuple français croit aux droits de l’homme et au fait que chaque individu dans le monde doit jouir de la liberté d’expression.
Par conséquent je ne dis pas cela ici dans une tentative de ternir l’image de la France. Je ne fais que des déclarations fondées sur des faits et si le conseil le souhaite il peut vérifier si ce que je dis est vrai ou faux.
Je suggèrerais que le gouvernement Français commence à s’intéresser de près à ces choses car cette situation crée une mauvaise réputation pour la France.
Ce sont uniquement quelques individus qui sont à la base de tout cela. Ces embarcations sont uniquement réservées au transport de marchandises. C’est une preuve établie dans les écrits des français eux-mêmes qui déclarent que 4 000 noms manquent sur la liste prévue pour le référendum. Ils ont appris cela en comparant précisément cette liste à celle du dernier référendum.

A quoi bon donc organiser un référendum si 4 000 électeurs sont absents ? Cela est une plaisanterie.
Pour rendre la situation compréhensible, ceux restés derrière sont effrayés et des hommes et des femmes assez courageux pour exprimer leur dégoût à l’égard d’un autre référendum sont persécutés. Le but de tout cela n’est autre en fin de compte qu’une tentative d’étendre le colonialisme sur les îles pour une raison ou une autre.
Il est clair par conséquent, qu’organiser un référendum à Mayotte seule et obtenir l’accord du parlement Français est un acte d’ignorance de la constitution Française.
Par-dessus le marché, c’est une ingérence dans les affaires d’un pays étranger car encore une fois, le référendum déjà organisé l’a été sur la base d’une Loi Française, les citoyens des quatre îles y ont voté en tant qu’une seule nation et l’écrasante majorité a voté pour l’indépendance des quatre îles en tant qu’un seul pays. Et qui plus est, le vote eut lieu sous la surveillance des Français eux-mêmes et de son administration.

On sait qu’immédiatement après la diffusion des résultats du référendum, les Comores était devenue libre et indépendants mais ce fut seulement en Juillet 1975 que les Comoriens eurent fait une déclaration officielle et unilatérale de leur indépendance.
Que penseraient le Monde et les Nations Unies de l’attitude et du comportement de la France. L’erreur ne vient pas du peuple français ni du gouvernement français, mais de certains individus qui ont bafoué la constitution Française et le sens de la justice des Français. Le plus important est que les quatre îles : Grande Comores, Anjouan, Mayotte et Mohéli sont libres et indépendants.
Le problème n’est pas de savoir s’il faut ou non organiser un autre référendum. Cela est absolument hors de question. Ce n’est pas ce dont il s’agit ici.

La discussion ici est relative au fait que ces quatre îles sont libres. Cela a été admis par les Nations Unies et toutes les nations du monde l’ont accepté. C’est un fait et ce fait demeure que les Comores sont absolument indépendant et définitivement libres comme n’importe quel autre pays.
Certes, ils sont composés de quatre parties. Nous avons la grande Comores, Anjouan, Mayotte et Mohéli, formant tous ensemble un seule Etat, l’État des îles Comores, un fait dont je suis sûr que tôt ou tard, les Français admettront parce que les Français sont connus à travers toute leur histoire comme un peuple de pensée et de compréhension qui croit au respect et au droit de l’homme partout dans le monde à la réalisation des aspirations des peuples et parce qu’une grande nation comme la France doit respecter sa parole.
Tout au long de l’histoire, la France a déclaré que les Comores forment un seul État, et je suis parfaitement certain qu’après la dissipation de ces malentendus, chose qui, je suis confiant sera très vite réglée avec l’aide du conseil, la France admettra ce fait que les Comores sont composés de quatre îles, sont libres et sont indépendants.
Les Comores n’ont d’autre intention que celle de vivre en amitié et en paix avec les nations du monde entier, et plus particulièrement avec la France qui a gouverné les Comores pendant très longtemps. Le sort des Comores était lié d’une manière ou d’une autre, que les Comores le voulaient ou non, au sort de la France.
Ils ont combattu pendant les grandes guerres, connurent la mort et la souffrance ensemble. La France a institué ses idées de démocratie et les Comoriens ont chéri ces idées. Ils veulent continuer à avoir de bonnes relations avec elle et les français.
Bien sûr, autant qu’ils souhaitent continuer leur amitié avec d’autres peuples et collaborer avec cet organe ainsi qu’avec les Nations Unies d’une manière générale.

Je pense que ce que j’ai dit est suffisant pour convaincre cet auguste conseil que les Comoriens sont des gens pacifiques qui n’ont aucune envie de se battre ni de se quereller mais souhaitent, comme toute autre nation, être libres et indépendants et ne pas subir d’ingérence dans leurs affaires intérieures.
La France a donné sa parole et elle la respectera. Les Comoriens ont donné leur parole de rester amis avec la France et avec toutes les autres nations du monde et ils la respecteront. Espérons pour le mieux.

Version Pdf avec une introduction par Ismaël Ibouroi


[1Voir Dialogue islam et philosophie, Éditions de la lune, 2008
édition d’un débat organisé en 1987 par Radio Comores entre les deux auteurs :

  • Muigni Baraka a été théologien et philosophe né en 1918 à Zanzibar et mort à Moroni en 1988. Orphélin de mère et de père très tôt, formé à Zanzibar puis à l’université de Makereré, il fera des études de philosophie et de Droit comparé à Oxford où il soutiendra une thèse de doctorat en 1963 sur l’idée de bonheur dans la philosophie arabo-islamique au Moyen-Âge. Il a été longtemps ambassadeur et conférencier international.
  • Ismael Ibouroi, philosophe, ancien étudiant de la Sorbonne, est actuellement enseignant à l’université des Comores, et auteur de Le voleur de rêves publié aux éditions De la Lune.