Etat des lieux de l’état civil haïtien

jeudi 14 novembre 2013

En novembre 2012, le Collectif Haïti de France organisait les 4° rencontres nationales de la solidarité avec Haïti à Paris. A cette occasion, des ateliers thématiques ont été organisés autour de divers sujets, notamment l’état civil haïtien. En effet, depuis presque 3 ans, le CHF travaille en partenariat avec le Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés, une organisation haïtienne, pour défendre le droit à l’identité et à l’accès aux procédures de l’état civil pour tous et toutes.

Intervention de Chavannes CHARLES, président du conseil d’administration du Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés

Selon les estimations, aujourd’hui, environ deux millions d’Haïtiens se retrouvent à l’étranger, sans oublier leurs progénitures qui sont considérées également comme haïtiennes en vertu du régime du jus sanguini en vigueur en Haïti : des enfants nés de parents haïtiens, quel que soit l’endroit sont des citoyens haïtiens à part entière.
Pour pouvoir évoluer dans un autre pays, tous ces migrants ont besoin de s’identifier, c’est-à-dire de présenter des papiers qui disent qui ils sont, de quel état ils dépendent, des papiers qui fournissent des informations sur leur origine.

Dans leurs démarches pour trouver ces documents afin de pouvoir s’identifier, effectuer des démarches pour régulariser leur situation migratoire, se réunir avec leurs familles, les migrants haïtiens se retrouvent face à face avec le système d’état civil haïtien, qui souffre d’un grand dysfonctionnement.

La problématique de l’état civil dans la construction identitaire de l’homme et de la femme haïtienne.

La question de l’état civil en Haïti ne date pas d’aujourd’hui. Du fondateur de la Patrie, Jean Jacques Dessalines, (la loi du 3 juin 1805, instaurant un bureau d’état civil par commune) à la création de l’Office de l’identification nationale (ONI) en 2005, le système d’état civil en Haïti a toujours présenté certains problèmes. Il est caractérisé par l’inexistence de la présence des bureaux d’état civil sur une grande partie du territoire national, le dysfonctionnement des structures existantes, la complication des démarches administratives, la présence d’erreurs graves dans les actes. Pour les groupes sociaux très vulnérables et marginalisés de la société haïtienne, l’obtention d’un acte d’état civil fiable est longue, difficile et coûteuse.

Les haïtiens paupérisés qui vivent dans une exclusion sociale majeure, notamment ceux issus de la paysannerie, qui par chance, arrivent à quitter le pays, en quête d’un mieux-être, sont partis en grande majorité sans pièce d’identité délivrée par l’Etat haïtien. Plusieurs raisons justifient cette situation anormale : l’inexistence d’un service de proximité dans les régions rurales, et la méconnaissance par ces groupes de l’importance d’un acte d’état civil dans la vie sociale, judiciaire, administrative et politique du citoyen.
En effet, le système de l’état civil haïtien ne couvre pas tout le territoire. 567 sur 570 sections communales ne disposaient pas d’un bureau d’état civil, alors que 60% de la population vit dans les sections communales. L’Etat pendant longtemps ne mettait pas l’argent dans son budget pour ce service alors que chaque année plus de 250 000 enfants naissent et ont besoin d’être enregistrés. Il n’y a pas longtemps, grâce au plaidoyer mené par des organisations comme le GARR, que le budget national prévoit des fonds, encore minimes, spécifiquement réservés à l’état civil.

Ajouté à cela, les procédures administratives extrêmement lourdes, compliquées et les coûts relativement élevés pour l’obtention de ces documents en comparaison du niveau de revenu de la grande majorité de la population (facteur économique) constituent des entraves qui empêchent beaucoup d’Haïtiens d’obtenir un acte d’état civil, en particulier l’acte de naissance.
Pendant longtemps, la population rurale marginalisée ne sentait pas le besoin d’enregistrer les naissances et n’était pas contrainte de le faire. Le processus migratoire dans lequel elle est engagée aujourd’hui avec l’émigration de beaucoup de gens de toutes les couches sociales a créé ce besoin en faisant augmenter la demande pour les documents d’état civil. Mais le système ne s’est pas amélioré pour pouvoir y répondre convenablement. Et encore aujourd‘hui, 40% de la population haïtienne ne dispose d’aucun document ’état civil.

Impacts de la non-possession de l’acte naissance dans la vie d’un citoyen haïtien

La non-possession d’un acte de naissance fiable prive beaucoup d’Haïtiens de l’exercice de leurs droits. Dans le cadre d’une étude menée par le GARR en 2007 sur la question de l’état civil en Haïti, les auteurs montrent comment les violations des droits humains se manifestent quand les individus ne disposent pas d’un acte de naissance et d’une carte d’identification nationale. Ils retiennent les faits suivants :

  • Absence de personnalité juridique donc déni du statut de citoyen ;
  • Impossibilité d’exercer ses droits civils et politiques, tels que voter, se porter candidat ;
  • Non accès à des services bancaires : prêts, ouverture d’un compte en banque en vue de constituer une épargne par exemple ;
  • Difficulté pour recevoir directement des transferts envoyés par des parents résidant à l’étranger ;
  • Difficulté de s’inscrire aux examens du CEP et du Bac ;
  • Impossibilité pour les enfants d’être baptisés/présentés au temple et pour les adultes de se marier civilement/religieusement ;
  • Impossibilité d’obtenir un passeport pour voyager, quitter et revenir sur le territoire national.

En ce qui concerne les migrants à l’étranger, l’absence de ce document les empêche de mener toutes les démarches qui leur permettraient de jouir de leurs droits fondamentaux : droit au séjour, se loger, travailler…dans le pays où ils ont migré, pour régulariser leur situation migratoire ou se réunir avec leur famille par exemple.

La problématique de la reconnaissance des actes d’état civil haïtien par les autorités françaises

L’un des principes de Droit International Public reconnu, c’est qu’un État ne doit pas s’immiscer dans les affaires internes d’un autre État. Ce principe n’est pas respecté dans les relations entre l’État français et l’État haïtien dans le domaine de la reconnaissance d’un acte d’état civil haïtien.

Les documents émanant des institutions de l’état civil haïtien sont fréquemment suspectés d’irrégularité, voire de falsification, par les autorités françaises.
Pour obtenir un visa français, les autorités françaises font beaucoup d’exigences aux Haïtiens, celles-ci étant généralement « irréalistes ». Celles-ci sont entre autres : l’exigence d’un acte de naissance établi dans les deux années suivant la naissance pour les adultes et un certificat de baptême(catholique) ou un certificat de présentation au temple pour les protestants quand nous savons que dans la réalité, beaucoup de parents, surtout en milieu rural, ne font pas la déclaration de naissance de leurs enfants dans le délai de 25 mois requis par la loi. Les déclarations se font souvent tardivement, parfois à l’âge adulte. Mais ces documents sont souvent rejetés par les autorités françaises qui ont des suspicions en ce qui concerne leur authenticité, ce qui pose de sérieux problèmes pour les migrants qui veulent régulariser leur situation migratoire ou se réunir avec leurs familles.

Version intégrale des Actes : http://www.collectif-haiti.fr/calepin/files/actes_4rnet20anschfversion_finale_hKCAjmFiOG.pdf


Actes des 4° rencontres nationales de la solidarité avec Haïti