Haïti en devenir toujours chaotique

Et peut être un modèle de l’asservissement qui nous attend
mercredi 27 juillet 2011

Article de Michel Lhomme publié le par Métamag le 27 juillet 2011

La France a expulsé le 1er juillet quatre Haïtiens, à partir de la Guadeloupe, où un cinquième est maintenu en rétention, dans l’attente d’une réponse à sa demande d’asile. Sur les cinq personnes placées en rétention, « quatre ont été expulsées malgré une intervention de la Cimade auprès du préfet de Guadeloupe et du Ministère de l’Intérieur ». Un [communiqué associatif (Cimade, Ligue des Droits de l’Homme et Secours catholique [et beaucoup d’autres associations - note de Mom]->506]) s’alarme de ces expulsions, qui contredisent le moratoire en vigueur sur les reconduites vers Haïti, sachant que la situation humanitaire en Haïti demeure très préoccupante et que toute reconduite à la frontière expose les personnes expulsées à des conditions de vie extrêmement précaires. 

Près de 1,5 millions de personnes ont été affectées par le séisme du 12 janvier 2010, qui a ravagé le pays le plus pauvre des Amériques et fait plus de 220 000 victimes, la plupart des personnes rescapées et affectées vivant toujours sous les tentes. Or, après ce drame, les autorités françaises s’étaient engagées à faciliter l’accueil des victimes, en allégeant les conditions du regroupement familial et de délivrance des visas, en permettant et facilitant l’adoption pour des couples français infertiles.

Des bilans de victimes peut être gonflés 

Mais les autorités françaises auraient-elles déjà quelques doutes ? Il y a quelques jours, un rapport, commandé par l’Agence américaine d’aide au développement (USAID), a été rendu public. Les auteurs de ce rapport estiment que le bilan du tremblement de terre en Haïti a été largement surestimé. Alors que les autorités haïtiennes évoquent un nombre de disparus allant de 200 à 300 000, le rapport, lui, évoque une fourchette 4 à 5 fois moins importante. Entre 46 000 et 85 000 personnes « seulement » seraient décédés. 

Une différence qui pose question, quand on se rappelle le battage médiatique et émotionnel, qui fut fait autour de cette catastrophe, les appels à la solidarité internationale et à l’aide humanitaire, la conférence internationale hypermédiatisée sur la reconstruction de la « première République noire ». D’autant que, mises à part, des initiatives privées concrètes (comme des reconstructions d’écoles ou des projets urbanistiques précis), l’argent des donateurs internationaux n’est toujours pas arrivé en Haïti !

Dans toutes les catastrophes naturelles, on peut toujours se défendre en disant qu’il est de bonne guerre que les ONG, ou même le gouvernement, exagèrent les chiffres pour s’assurer d’une aide effective. Et, il est certain que les chiffres de toutes les catastrophes naturelles restent discutables, sauf pour des esprits un tant soient peu rationnels. C’est là tout le problème de l’information émotionnelle ! 

Le bilan humain, au début de la catastrophe japonaise, fut de 1 000 morts déclarés. Les Japonais ne trichèrent pas. Ils donnèrent très vite aux médias des chiffres fiables. Selon la police, le nombre de morts fut évalué, dans les premiers jours, à 3.373 morts confirmés, 6.746 disparus et 1.897 blessés. Il s’agit là du nombre de victimes identifiées. Et l’on peut dire que le bilan final, au Japon, dépasse les 10.000 morts, compte tenu du nombre de disparus. Mais ceci n’a rien à voir avec l’exagération des chiffres haïtiens. 

Quant à la solidarité avec le Japon.... elle s’est limitée à quelques clubs provinciaux de judo. Pour Haïti, il faut noter que c’est une société externe à l’Agence américaine d’aide au développement, qui vient de réaliser le dernier rapport chiffré sur les victimes. Et l’enquête remet clairement en cause une partie de l’aide internationale, chiffrée à hauteur de 5 milliards de dollars, en raison de ce nombre de morts amplifié. Les journaux télévisés ont oublié Haïti, après s’être déculpabilisés par des dons et des déclarations fracassantes de soutien massif, Sarkozy, premier président français survolant le sol haïtien, en hélicoptère).

Pourtant, sur le terrain, la communauté internationale semble toujours à la recherche des urgences et des priorités pour commencer les travaux. Dans le dénuement total et des conditions anarchiques, Haïti tente de survivre, de fuir ou au moins de se doter d’un gouvernement. C’est chose faite depuis le 6 juillet, après bien des tergiversations et des semaines sans gouvernement. Les députés haïtiens avaient, en effet, rejeté jusqu’alors la proposition du nouveau président, Michel Martelly, de nommer Daniel-Gérard Rouzier comme Premier ministre. Rouzier était un homme d’affaires connu à Port-au-Prince, de la diaspora comme de la bourgeoisie locale, comme importateur de voitures, fondateur de la compagnie d’électricité E-Power, et banquier de coopératives. 

C’est, d’ailleurs, pour des risques de collusion internationale (Rouzier fut consul honoraire de la Jamaïque en Haïti) et de prises d’intérêts (E-Power est en contrat avec l’Etat) que la nomination de Rouzier, au poste de Premier ministre, fut rejetée, essentiellement par les députés de l’ancien président, René Préval. Officiellement, l’avocat Bernard Gousse (ancien ministre de la Justice du gouvernement Boniface–Latortue, de 2004-206) a été désigné comme Premier ministre par le président Martelly, le mercredi 6 Juillet.

Comme nous l‘indiquions, dans un précédent texte (« Haïti passe dans l’orbite des Etats-Unis »), le chanteur populaire, Michel Martelly, a conquis l’électorat populaire des travailleurs, des chômeurs, des pauvres, des petits marchands et des paysans, qui l’ont porté à la Présidence, en avril. Il a servi aux pauvres des promesses aux envolées lyriques : « Mon peuple, mon peuple haïtien, gens des rues, chômeurs, faites-moi confiance, les choses vont réellement changer… Haïti vous attend ». On connaît trop la chanson populiste pour y croire vraiment, même s’il est encore trop tôt pour en juger ! 

Que peut d’ailleurs un chef d’Etat totalement endetté et sans moyens ? Au moins, assurer l’ordre. Car, cela reste, sans doute, l’une des priorités principales du pays : stopper la progression des bandes armées, des pillards et des violeurs qui, la nuit tombée, hantent les ruelles de Port-au-Prince. 

Vers un régime d’adoption d’enfants mieux contrôlé

Les autres objectifs du nouveau Président haïtien sont plus ambitieux : permettre l’émergence d’une classe moyenne, rapatrier l’argent de la diaspora, recouvrir l’aide internationale et légiférer sur l’adoption. C’est d’ailleurs ce qu’il vient de faire, au grand regret des touristes français de la misère, qui débarquent en Haïti pour assouvir leur désir maladif d’enfant. Le gouvernement haïtien vient de prendre un arrêté pour organiser les demandes d’adoption seulement à travers des organismes agréés. Les adoptions individuelles sont désormais interdites. Des représentants de dix pays, dont la France, premier pays d’accueil d’enfants haïtiens en 2010, se sont réunis à Port-au-Prince pour faire le point sur les conditions d’adoption dans le pays. Lors de cette réunion, dont le but était de rouvrir les dossiers d’adoption gelés, Michel Martelly s’est engagé à faire aboutir le processus de ratification de la convention de La Haye, qui empêche les adoptions privées.

L’appel à la diaspora est, quant à lui, centré sur l’éducation. Michel Martelly a demandé à la diaspora haïtienne de soutenir le redressement du pays en contribuant à un fonds pour l’éducation, grâce à un prélèvement sur les transferts d’argent et sur les appels téléphoniques. Il faut savoir que plus de quatre millions d’Haïtiens sont expatriés, pour moitié, en Amérique du Nord et que l’argent qu’ils envoient dans leur pays atteint 1,8 milliards de dollars, soit près du quart du PIB. 

Ce fonds pour l’éducation de la diaspora financerait la gratuité de l’enseignement primaire en Haïti. A Miami, où il était en visite en avril, Martelly avait déjà proposé de puiser dans les transferts d’argent pour dégager, chaque année, 50 millions de dollars. Il s’était mis d’accord avec des opérateurs téléphoniques afin que, pour chaque minute d’appel téléphonique des USA en Haïti, 5 cents soient prélevés et versés au même fonds pour l’éducation. Cela rapporterait 36M$ par an, ce qui permettrait, selon les estimations, de scolariser 360 000 enfants supplémentaires. 

Reste qu’à Haïti, près d’un enfant sur dix est encore employé comme domestique et souvent traité comme un esclave. Ces enfants-esclaves, on les appelle, là-bas, les restavèks. Depuis le séisme du 12 janvier 2010, leur nombre a doublé (Courrier International du 24/02/11). A côté de cela, le choléra augmente avec l’annonce, par l’Organisation Mondiale de la Santé, de plus de 18 000 nouveaux cas enregistrés ces 40 derniers jours, spécialement dans les environs de Port-au-Prince et du Sud de la péninsule. Cette progression est attribuée à la saison des pluies et de cyclones, aux dernières inondations qui ont touché la capitale. Selon les chiffres du Ministère de la santé publique d’Haïti, l’épidémie de choléra aurait déjà fait 5 397 morts et 344 623 cas ont été diagnostiqués depuis la fin 2010.

Merci les Casques bleus 

Par ailleurs, il a bien été confirmé, par une étude scientifique neutre, que l’origine de la souche de choléra en cause dans l’épidémie provient du camp des soldats népalais de l’ONU, qui siégeaient, l’année dernière, dans la capitale et dont le service d’évacuation des eaux usées était quasi inexistant (l’étude a été publiée dans le numéro de juillet de la revue Emerging Infectious Diseases, publication des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies). Ses conclusions « suggèrent fortement » qu’un contingent de Casques bleus originaires du Népal a contaminé une rivière haïtienne, à cause de mesures sanitaires inappropriées sur leur base. 

Sur le net, les Casques bleus avaient été rapidement mis en cause dans l’épidémie de choléra en Haïti, soulevant des révoltes populaires violentes devant leurs casernes. L’étude publiée est plus complète que l’ancien rapport interne de l’ONU ; sa méthodologie a été vérifiée par d’autres scientifiques, qui soulignent l’importance de mener des enquêtes approfondies sur le terrain. Les Nations Unies, l’Organisation mondiale de la Santé avaient tout d’abord refusé d’enquêter sur l’origine de l’épidémie en Haïti.

Enfin, il nous faudrait signaler pour terminer, une publication, celle du quatrième tome du livre de Leslie J.-R. Péan -Haïti, économie politique de la corruption- Tome IV, L’ensauvagement macoute et ses conséquences (Maisonneuve et Larose, 2007, 757 p., 38 €) que Jean-Guillaume Boher dans le dernier numéro de la revue Catholica (été 2011, n°112, « Face au Minotaure ») recense. Leslie Jean-Robert Péan est un économiste de formation et il a entrepris, depuis quelques années, une monumentale histoire contemporaine d’Haïti, pour le moment encore inachevée. 

Avec le tome IV, dernier paru (2007), il nous livre quelques clés, utiles à la compréhension des mécanismes de génération et d’entretien du sous-développement, de la dépendance et de la pauvreté. Natif d’Haïti, praticien des ONG, il explore, sans complaisance, les responsabilités des uns et des autres et il compare Haïti à un intéressant laboratoire de la gouvernance mondiale, ce chaos d’experts qui menace l’humanité. 
Comment rester misérable et dépendant

En effet, l’économie internationale, et son cortège de corruption, a bien engendré un homme nouveau, cet homme dont John Perkins a dressé le modèle, l’economic hit man, le tueur à gages économique, l’ « assassin financier » dans la traduction française de John Perkins. (John Perkins, Les Confessions d’un assassin financier, Editions Alterre, Paris, 2005). Cette référence à John Perkins, le repenti américain de la finance, tôt venue dans l’ouvrage, n’est pas innocente. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, nous recommandons vivement, en ces temps de crise financière et boursière, la lecture de son portrait dans Wikipedia et de son site : www.johnperkins.org.

Comme l’écrit Boher, « toute la démonstration de Péan consiste à mettre en évidence à quel point la quête du gain peut être destructrice, non seulement du travail, des métiers, de l’entreprise et des tissus économiques naturels, mais aussi de l’initiative et des consciences, produire des déséquilibres majeurs permettant des concentrations financières artificielles sans limites, donc in fine des concentrations de pouvoir réel impossibles à contrebalancer. Et la corruption, à laquelle rien dans notre univers ne peut échapper en vertu de sa seule nature, apparaît, rapidement, comme le cœur des systèmes de domination » de l’empire-Capital, corruption utilisant même les catastrophes naturelles pour mieux asseoir sa puissance mafieuse sur les entrepreneurs.

Le séisme du 12 janvier 2010 a assené le coup de grâce à l’Etat qui présidait au destin de ce menu pays des Caraïbes. Ce n’est donc pas le tremblement de terre qui est la cause première des malheurs d’Haïti, mais les structures étatiques qui ont toujours été soutenues par de braves politiciens, inconscients du caractère erroné de la gouvernance mondiale, de la politique d’aide au développement et du travail, le plus souvent intéressé, des ONG, sur place.

Le nouveau Président haïtien, Michel Martelly vient d’en faire l’amer constat et il a donné, lundi 18 juillet, le coup d’envoi à la première phase de reconstruction de Port-au-Prince. Il a choisi de reconstruire, en premier, les bâtiments officiels ; ce que se refusait jusqu’alors de faire, au nom des grands principes humanistes et libertaires, les ONG avec le résultat que l’on connaît : un an après le drame, les tentes sont toujours là !... 

La Banque de la République d’Haïti a donc décidé de prendre les choses en main et elle réalisera, finalement, les premiers investissements, à hauteur de 260M$. Cette enveloppe sera consacrée à la construction de plusieurs édifices publics, dont le Palais de Justice, la Cour des Comptes, l’Hôtel de ville, le Parlement et une quinzaine d’autres bâtiments administratifs, y compris le célèbre Palais Présidentiel, dont l’image de l’écroulement - tout un symbole ! - a fait le tour du monde. 

La position du nouveau président se justifie. Il considère que cet investissement constituera un déclencheur pour le programme de reconstruction de la capitale, toujours au point mort. Les bâtiments seront construits le long des rues du Champ de Mars et du Quai, a précisé, lundi dernier, le gouverneur de la Banque Centrale, mettant l’accent sur l’effort d’assainissement et de réhabilitation qui sera réalisé en cette occasion. Martelly considère cette initiative comme une occasion de faire une rupture tangible avec la politique menée, en manière de réponse au séisme du 12 janvier, par la gouvernance mondiale et qui s’avère être un véritable échec.
Pour certains, Haïti semble de nouveau être sur la bonne voie, mais la vigilance et la méfiance légendaire du peuple haïtien ne doivent pas diminuer pour autant. Comme par le passé, les risques de dérapage et de déceptions persistent. D’ailleurs, comment un pays totalement sous perfusion pourrait-il être un tant soit peu indépendant et démocratique ? Or, n’est-ce pas ce qui attend tous les endettés du monde, un asservissement généralisé à tous ses créanciers ? Ne resterait-il plus alors qu’à savoir où ils se planquent pour les déloger à coups de machettes !


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