La mort au large de Mayotte

Naufrage d’un kwassa le 24 novembre 2009 - Témoignages sur les réalités et cynisme d’un ministre
dimanche 29 novembre 2009

Voir le communiqué interassociatif du 1er décembre 2009 :
A Mayotte, nouvelles victimes de la guerre menée par la France aux « non-Mahorais »


Témoignages

  • 27 novembre 2009, aux urgences de Mamoudzou

Des rescapés d’un naufrage de ‘kwassa-kwassa’ au large de Mayotte ont été récupérés en fin d’après midi hier.
Les kwassa-kwassa sont les petites embarcations en résine utilisées pour le transfert des migrants d’Anjouan, (ile appartenant à l’Union des Comores, un des plus faibles PIB au monde), située à 70 km de Mayotte (ile constituée comme territoire français depuis l’indépendance de l’Union des Comores). Ces deux îles appartiennent au même archipel, constitué par 4 îles de même origine socioculturelle.
L’embarcation aurait fait naufrage lundi soir 23 novembre 2009 au large de Mayotte. Un pécheur a retrouvé les survivants dérivants plus de 36 heures après. Ils étaient onze ; vingt-trois personnes ont été portées disparues. A la lumière des témoignages des rescapées, elles sont probablement mortes noyées. Sur tous les nombreux enfants embarqués, seuls deux enfants, des adolescents sont rescapés. Il y en avait d’autres… Ils ont coulé, on parle de disparitions, mais d’après les survivants, ils ont coulé à bout de force...

Aux urgences de Mamoudzou, après la prise en charge thérapeutique nécessaire à ces naufragés sévères, nous posons quelques questions rapides aux conscients.
Une femme aux seins tuméfiés et douloureux avait un bébé de 4 mois qu’elle a du laisser finalement couler. Elle est en pleurs, les yeux rougis par les larmes et les brulures du soleil. Un homme, au regard injecté et obnubilé fixe sans bouger le mur d’en face. Il aurait tenu un enfant pendant plus de 24 heures et l’a laissé couler quand il n’en pouvait plus et que les deux parents de l’enfant avaient abandonné l’épreuve.
Une femme dont le visage est tuméfié par la morsure du sel et du soleil, les lèvres boursouflées et saignantes est elle aussi mutique.
Regard obnubilé aussi d’une adolescente de 15 ans qui a vu ses parents se noyer... etc.
Tous ont les membres contus des marathon-man dont l’exercice a été poussé bien au-dessus de leurs capacités. Certains, dès leurs arrivées dans nos box, malgré la proximité des autres rescapés et du personnel bien actif, ronflent déjà, le corps flasque quasi paralysé par l’effort soutenu de ces 48 dernières heures. La plupart se sont accrochés aux bidons d’essence fréquemment embarqués sur les kwassa-kwassa et qui servent comme bouée de fortune lors de la plupart des naufrages.
Que dire de leur état psychologique ? Comme leur corps, ces personnes sont en état de sidération… leurs âmes me paraissent elles aussi bien contuses….
Seul cet enfant de dix ans, prend alors parole.
Et cette parole devient continue et nait le flot d’une histoire trop fréquente, entendue plusieurs fois à Mayotte. Elle débute à Anjouan sur les raisons de la venue à Mayotte, s’attarde sur le naufrage du bateau, puis révèle les drames successifs des personnes ayant lâché prise.

Comme il est difficile de rester sereinement attentive lorsqu’un enfant raconte la mort des autres, raconte sa peur de mourir ! … Les naufrages de kwassa-kwassa sont fréquents ici, la semaine dernière, le mois dernier, le trimestre dernier…
La fréquence de ces évènements dramatiques varie en fonction de la saison et des conditions de navigation…. Nous entrons dans la saison des pluies, cela n’est qu’un début… Au moins trois depuis le mois d’octobre, avec de nombreuses victimes et majoritairement des femmes et des enfants qui sont les plus fragiles ...

La solution gouvernementale qui consiste en des reconduites à la frontière massives et un renforcement des dispositifs de protection de Mayotte (radar, hélicoptère, force de l’ordre) parait être une solution à très court terme. Il faut clairement repenser la question d’une libre circulation des personnes entre les quatre îles...
Il semble que la majeure partie des personnes vivant à Mayotte, Mahorais d’origine, résidents d’origine métropolitaine des forces coercitives, de santé ou d’enseignement s’accordent à dire que « cela n’est pas la bonne solution ».
Pourquoi alors le gouvernement oblige-t-il les forces de police et de l’armée française à prendre part à ce honteux travail de Sisyphe où abominablement, les particules de sable deviennent hommes, femmes et enfants... et se perdent dans un si court bras de mer ?
Que peut-on faire pour que ce dossier gouvernemental qui semble ici si couteux et insensé soit repensé de façon plus constructive ?

Dominique Grassineau, 27 novembre 2009 (revu le 29 novembre)

  • 27 novembre 2009, la tragédie pour une résidente fortement enracinée à Mayotte

Jeudi 27 novembre 2009, un médecin de l’hôpital de Mayotte nous informe que 11 rescapés d’un naufrage de Kwasa-kwasa sont hospitalisés. Beaucoup d’entre eux sont dans un état grave. Parmi eux, se trouvent deux mineurs. La jeune fille de 13 ans aurait, d’après les premières sources, perdu ses parents.
Après avoir eu l’autorisation des médecins, nous décidons de rencontrer la petite. A l’arrivée, nous constatons qu’elle n’est pas seule : deux tantes maternelles sont à son chevet. L’une d’elles a une carte de résident, l’autre est en cours de régularisation car ses 6 enfants et son mari sont français. Les deux femmes racontent alors les circonstances qui ont abouti au décès de leur sœur aînée, Mme Z.
Elle a été arrêtée le 18 novembre chez elle et reconduite le 19. Son beau-frère a bien tenté de contester sa reconduite en allant d’abord au centre de rétention, en faisant valoir que Mme Z. était présente depuis très longtemps sur le territoire et qu’elle avait 6 enfants, nés et scolarisés à Mayotte. On lui a alors répondu qu’elle pouvait partir avec ses enfants. Pourtant, Mme Z. est présente depuis 19 ans à Mayotte, y a vécu de longues années enfant jusqu’au décès de son propre père, inhumé dans l’île.
Pourtant, sa fille aînée a 18 années et est de fait française. Pourtant, son mari vit à Mayotte depuis 40 ans car il est arrivé chez son oncle à 5 ans mais il n’a jamais eu de passeport et vit sa vie sans papiers, mais pas dans la clandestinité. Rien n’ y fait, Mme Z. est reconduite en moins de 24 heures.
Une de leurs filles, née en 1996 à Mayotte, avait été confiée à la grand-mère à Anjouan, qui se sentait trop seule. Une fois à Anjouan, Mme Z. décide de la ramener avec elle à Mayotte car la grand-mère est devenue trop vieille pour s’en occuper. Elle est une des 11 rescapés qui ont survécu 2 jours en mer. L’un des enfants, un garçon, lui aussi né à Mayotte en 94, a été renvoyé aux Comores lors d’une rafle au cours de laquelle il se trouvait avec une des tantes paternelles, il y vit toujours...
Ce cas, concret et dramatique, illustre parfaitement les dégâts de la politique du chiffre, l’absence d’accès aux droits des "étrangers", leur grand dénuement, mais également leur désespoir.
Parmi les autres disparus, deux femmes reconduites il y a trois semaines, enceintes, qui avaient leurs enfants sur l’île.

Récit recueilli par le groupe Cimade à Mayotte

Reportage

Onze personnes ont été secourues mercredi après le naufrage d’une pirogue partie des Comores pour tenter de rallier clandestinement l’île française de Mayotte. Depuis, les recherches sur zone n’ont rien donné. Une trentaine d’immigrés sont toujours portés disparus, dont des enfants. Pour RFI, la responsable des Médecins du monde à Mayotte, raconte dans quel état ont été receuillis les rescapés du drame.
Un Falcone venant de Djibouti et en mission à Mayotte a survolé la zone du naufrage de l’embarcation mais les mauvaises conditions météorologiques (fortes pluies et mer remontée) n’ont pas permis de repérer les disparus.
Onze personnes dont deux adolescents, une femme enceinte et le passeur, avaient été repêchées mercredi matin, grâce à l’intervention d’un pêcheur. Alors qu’ils avaient cherché à rejoindre les côtes françaises de Mayotte depuis Anjouan aux Comores, ils étaient à la dérive depuis lundi.
Ce jour-là, la pirogue qui les transportait n’a pas tenu le coup face à la force des vagues et s’est coupée en deux. Il y avait en tout une quarantaine de personnes à bord, dont de nombreux enfants, d’après Médecins du monde.

A Mayotte, l’organisation des Médecins du monde a recueilli des témoignages. Les rescapés ont été découverts dans un état qui « n’était pas terrible, a expliqué à RFI Marie-Pierre Auger, respondable de Médecins du monde à Mayotte, puisqu’ils ont passé deux jours dans l’eau avant d’être récupérés. » Les scènes de noyade qu’ils ont vécues ont été effroyables. Un profond drame.
« On m’a décrit une maman, raconte Marie-Pierre Auger, qui a dû laisser son bébé couler parce qu’elle n’en pouvait plus et qu’elle ne tenait pas ; un monsieur qui a laissé couler un enfant parce qu’il n’en pouvait plus non plus et que les parents de cet enfant ont coulé aussi. Vous imaginez que ces rescapés sont complètement traumatisés par ce qu’ils ont vécu. »
Par un des ses patients à l’hôpital, la responsable de Médecin du Monde a eu des informations sur le sort d’un des rescapés. « C’est un papa qui était en cours de régularisation à la préfecture dont l’enfant a besoin de soins vraiment actifs sur Mayotte. Et puis ce monsieur a été expulsé en ayant même pas le temps de nous prévenir, de prévenir la DASS pour qu’il puisse justifier qu’il reste ici. Et ce monsieur donc a tenté de rentrer dans ce bateau et actuellement il fait partie des rescapés. Il est également hospitalisé . »
« C’est pour dire, conclut-elle, que c’était des gens pour la plupart qui font des aller et retour, qui ont leur vie à Mayotte et qu’on renvoie. Voilà, donc si on arrête un peu d’expulser les gens sans leur laisser le temps de faire valoir leur droit, peut-être ces drames là, il y en aura moins. »

Communiqué du ministre de l’immigration

Eric Besson exprime sa grande émotion devant ce nouveau drame de l’immigration irrégulière, et son indignation face aux filières clandestines, qui font prendre la mer à ces personnes en leur promettant un eldorado, et en leur faisant payer un prix très élevé et courir des risques insensés.
[Il] réaffirme la détermination du Gouvernement à lutter sans relâche contre les filières d’immigration clandestine. Le système de visa biométrique a été installé sur l’île d’Anjouan et est opérationnel depuis un mois. Une brigade mobile de recherche de la police aux frontières a été mise en place en février 2009, constituée de 8 fonctionnaires chargée spécifiquement de la lutte contre les filières en provenance des Comores. 3 radars ont été installés sur les côtes de Mayotte, permettant une détection des embarcations clandestines jusqu’à une distance de 10 miles nautiques. Des vedettes de la police aux
frontières, de la gendarmerie, et de la douane, patrouillent en permanence dans la zone. Elles ont permis l’interception de 258 embarcations clandestines depuis le début de l’année, contre 256 pour l’ensemble de l’année 2008. 17.555 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits aux Comores depuis le début de l’année 2009, contre 16.040 pour l’ensemble de l’année 2008.

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