L’état civil à Mayotte à la fin de l’année 2010

Avant de fermer, la CREC accélère... mais les Mahorais sans papiers restent nombreux
mercredi 17 novembre 2010

Extraits du rapport n° 2946 du 17 novembre 2010 fait au nom de la commission des lois par M. Didier Quentin

Rapport élaboré dans le cadre de l’examen par l’assemblée nationale des deux projets de loi relatifs au département de Mayotte

Des efforts demeurent nécessaires dans [...] l’établissement d’un état civil fiable (pages 15 et 16 du rapport)

La dualité des statuts civils de droit commun et de droit local à Mayotte induit un double système d’état civil. Or, en droit local, en raison de certaines coutumes d’origine africaine et du droit musulman, il n’existe pas de nom patronymique transmissible, ce qui rend très difficile l’établissement d’un état civil fiable.
Les enjeux de la modernisation de l’état civil sont considérables : il s’agit d’affirmer des droits de la personne en tant que sujet clairement individualisé et d’officialiser, dès la naissance, une identité permanente.
Pour répondre à cette difficulté, un dispositif spécifique a été mis en place depuis le début des années 2000. L’ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 a fixé les règles de détermination des noms et prénoms des personnes de statut civil de droit local et crée la commission de révision de l’état civil de Mayotte (CREC), qui peut être saisie par toute personne majeure née à Mayotte avant le 8 mars 2000, en vue de déterminer son identité et de dresser les actes de l’état civil (actes de naissance, de mariage ou de décès) correspondants.
Mise en place le 5 avril 2001, la CREC doit achever ses travaux au plus tard en avril 2011. Présidée par un magistrat du siège, elle est composée de quarante rapporteurs répartis entre les dix-sept communes de Mayotte et chargés de l’enregistrement des demandes et de la préparation des décisions individuelles.
Pour renforcer l’efficacité de ce dispositif l’article 57 de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODÉOM) a assoupli certaines règles de fonctionnement de la CREC, permettant à son président statuer seul, sauf dans les cas les plus complexes et simplifiant les conditions de la collégialité, lorsque celle-ci reste nécessaire et à limité dans le temps la possibilité de la saisir.
Depuis le 31 juillet dernier, elle ne peut plus être saisie par les Mahorais, ce qui doit lui permettre de régler les dossiers en stock avant le mois d’avril prochain. Votre rapporteur juge crucial que cet engagement soit tenu : la fiabilité de l’état civil des Mahorais est en effet une condition indispensable à la réussite de la départementalisation de l’archipel. Or, au 31 décembre 2009, la CREC n’avait édité que quelque 69 000 actes d’état civil (actes de naissance, mariage, décès) sur une population de plus de 180 000 personnes…
Toutefois, améliorer les résultats de la CREC ne doit pas occulter la nécessité de consolider le service public de l’état civil à Mayotte. Le projet de loi de finances pour 2011 contient à ce titre une nouvelle prorogation de la dotation exceptionnelle de 300 000 euros aux communes, destinée aux opérations de sécurisation et de mise aux normes des locaux, ainsi qu’aux besoins en matériels informatiques et fournitures.

Quelques chiffres sur l’activité de la CREC, la commission de révision de l’état-civil de Mayotte (
En décembre 2009, la CREC avait pris 69 100 décisions donnant lieu, suivant les cas, à l’établissement de divers actes de naissance, de mariage ou de décès – en moyenne 3,5 actes par décision. En août 2010, elle avait encore 11 858 dossiers en stock : 3 627 dossiers incomplets – notamment détériorés par inondation ou submersion, et donc difficiles à déchiffrer – et 8 231 dossiers complets, en état d’être instruits. En outre, 3 000 décisions étaient en attente.
La CREC traite plus de 1 000 dossiers par mois. Comme nous en avions exprimé le souhait, ce rythme s’est sensiblement accéléré ces derniers mois. Depuis le 1er septembre 2010, un vice-président supplémentaire consacre à la commission la moitié de son activité. La CREC devrait donc atteindre ses objectifs d’ici à avril 2011 – cela pourrait justifier une nouvelle mission de la commission des lois à cette date !


31 juillet 2010 - Mayotte : la commission de révision de l’état civil ne pourra plus être saisie

Jusqu’à la fermeture de la CREC fin décembre, la procédure de révision est simplifiée mais les Mahorais sans papiers seront encore nombreux

Créée dix ans plus tôt, la Commission de révision de l’état civil (CREC) qui était censée pourvoir les Mahorais un état civil conformes aux normes de l’État français cessera d’exister à la fin de 2010 ; elle ne statuera que sur les dossiers enregistrés avant le 31 juillet 2010.
Dans cette perspective la procédure est un peu allégée notamment sur l’attribution des nom et prénoms par l’ordonnance présentée ci-dessous.

Mais le chantier était immense et les moyens alloués à la CREC bien faibles...
Les déficiences de l’état civil pourront à l’avenir être résolues par des jugements supplétifs si le tribunal obtient assez de moyens pour n’être pas engorgé.

L’article suivant (Mayotte Hebdo n°475, juin 2010) rappelle que plusieurs anciens figurent parmi les laissés pour compte privés des droits liés à un état civil totalement inconcevable pour eux.

Voir L’état civil à Mayotte pour la loi et le décret créant la CREC et les principaux textes spécifiques à l’état civil à Mayotte.


Révision de l’ordonnance n° 2000-218 fixant les règles de détermination des nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte

Ordonnance n°2000-218 du 8 mars 2000 fixant les règles de détermination des nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local applicable à Mayotte, NOR : INT/X/9900149/R
Cette ordonnance est révisée par l’article 57 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement de l’Outre-mer

Les principaux articles modifiés sont les suivants.

Article 11
La commission (de révision de l’état civil), saisie par les personnes majeures nées avant la publication de la présente ordonnance, décide de l’établissement d’un nom figurant :
1° Parmi les vocables figurant dans leur acte de naissance ;
2° Ou parmi les vocables servant à identifier leurs ascendants ;
3° Ou parmi les surnoms sous lesquels elles justifient par tout moyen être connues dans leur commune de résidence.
Le père d’un enfant dont le nom a été attribué en application de l’article 14 ne peut choisir un autre nom que celui donné à l’enfant.
La mère d’un enfant dont le nom a été attribué en application de l’article 16 ne peut choisir un autre nom que celui donné à l’enfant.

Article 14
L’enfant né du mariage de ses parents après la publication de la présente ordonnance et avant que son père ait effectué le choix prévu à l’article 11 se voit attribuer un nom choisi :
1° Parmi les vocables servant à identifier les ascendants de l’enfant dans la lignée paternelle ;
2° Ou parmi les surnoms sous lesquels son père justifie par tout moyen être connu dans sa commune de résidence.
Ce choix est effectué par le père, ou par la mère si le père est décédé ou hors d’état de manifester son consentement.
Les enfants nés du ou des mariages d’un même père se voient attribuer le même nom.

Article 16
L’enfant né hors mariage après la publication de la présente ordonnance et avant que sa mère ait effectué le choix prévu à l’article 11 se voit attribuer par celle-ci un nom choisi :
1° Parmi les vocables servant à identifier la mère ou les ascendants de celle-ci ;
2° Ou parmi les surnoms sous lesquels sa mère justifie par tout moyen être connue dans sa commune de résidence.
Les enfants nés d’une même mère hors mariage se voient attribuer le même nom.

Article 21
La commission est saisie au plus tard le 31 juillet 2010 par la personne dont l’état civil est en cause, par son conjoint, par ses ascendants, par ses descendants, par ses collatéraux au deuxième degré ou par ses ayants droit.
Elle peut également être saisie par le ministère public.


Analyse extraite de Malongo n°106

Dans le cadre du projet de loi pour le développement de l’outre-mer (LODEOM), le Sénat a adopté jeudi 12 mars dans la soirée un amendement du gouvernement visant « à simplifier la procédure de l’attribution d’un état civil aux Mahorais et à fluidifier le traitement des demandes ».
Pour René Dosières qui a participé à plusieurs missions parlementaires à Mayotte, la départementalisation est « impensable si l’on n’a pas préalablement établi un état civil fiable ».
L’amendement, sous-amendé par la commission des Finances du Sénat, permet aux Mahorais de se choisir un prénom et un nom parmi les vocables par lesquels ils s’identifient traditionnellement. Il réduit la durée des périodes exigées pour la reconstitution à la demande des intéressés des actes de naissance et de mariage. Ce texte fixe également au 31 décembre 2010 la date limite pour les Mahorais d’obtenir un état civil de droit commun.
Cet amendement a été qualifié de « très important » par le secrétaire d’État à l’Outremer, Yves Jégo. « Jusqu’au 31 décembre 2008, les personnes de statut civil de droit local saisissaient la CREC et exprimaient devant elle leurs choix de nom et de prénoms, dans les conditions définies par l’ordonnance. Cette possibilité a été supprimée au 31 décembre 2008, date butoir introduite par amendement parlementaire dans la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. Par le présent amendement, il est donc proposé de confier à la CREC le choix du nom patronymique, ce qui se ferait, bien entendu, après un dialogue avec la personne concernée : nous n’entendons évidemment pas imposer des noms patronymiques sans que les intéressés aient eu leur mot à dire ! », a expliqué aux sénateurs M. Jégo.
Considéré par le gouvernement comme par nombre de parlementaires français comme urgent, le dossier de l’état civil est l’un des enjeux du processus de la départementalisation de l’île. En novembre 2008, le député socialiste René Dosières avait estimé la départementalisation « impensable si l’on n’a pas préalablement établi un état civil fiable ».
Selon les autorités, l’état civil n’est valablement établi que pour environ la moitié de la population à Mayotte. Entamé en 2001 lorsque fut créée la CREC (Commission de révision de l’état civil), une structure spécifique à Mayotte, ce processus devait permettre de reconstituer les actes d’état civil des Mahorais antérieurs à 2001. Il devait également assurer la transition entre l’état civil de droit local et celui de droit commun.
Mais l’État n’a jamais fourni les moyens nécessaires à une révision rapide. Alors que la mission de la CREC était censée prendre fin en 2006, fin 2007, une seule magistrate était chargée de traiter 14 000 dossiers en attente.
Le gouvernement lui-même le reconnait : la CREC « n’a répondu que partiellement à cette préoccupation en raison de divers dysfonctionnements et procéduraux », a indiqué le secrétaire d’État à l’Outremer, Yves Jégo. Le Pacte pour la départementalisation prévoit un gros travail dans ce domaine. « Pour accélérer [le processus], l’Etat s’engage à simplifier la procédure et à mettre en œuvre une opération générale de recensement dans chaque commune », annonce la résume du Pacte, envoyé à tous les électeurs de Mayotte.

RC (avec AFP)