Les Comores, une expérience de décolonisation inachevée

Intervention du Collectif des associations et des amis des Comores, 24 février 2013
samedi 11 mai 2013

Intervention du CAAC (Collectif des Associations et des Amis des Comores) lors de l’assemblée des dernières colonies françaises – dimanche 24 février 2013

Article mis en ligne le 10 mai 2013 par le site sur le site www.anticolonial.net
www.anticolonial.net/spip.php?article2863


I. Les Comores, une expérience de décolonisation inachevée

L’archipel des Comores, ce sont 4 îles de près de 2250 km2 (le ¼ de la Corse) situées à près de 9 000 km de la France !

Contre la France coloniale, les Comores ont enclenché la 4ème vague d’indépendance en 1975. Nous comptons dans cette vague : les Comores, Djibouti, Vanuatu (du temps de la colonisation appelé Les Nouvelles Hébrides). Et nous le payons toujours très cher, c’est ce que je vais mettre en évidence dans mon propos. Nous mettrons en perspective le cas des Kanaks qui ont ouvert la dernière vague de décolonisation en cours, par leur insurrection de 1984.

Dans cet espace anticolonial, nous savons qu’en vertu de la théorie des dominos, l’Etat français réprime très durement tous ceux qui osent ouvrir de nouvelles portes dans les luttes de libération.

Les conditions d’accession à l’indépendance

Lors du référendum d’autodétermination, le 22 décembre 1974, le Peuple comorien s’est prononcé à 95% pour l’indépendance.
La déclaration d’indépendance a eu lieu le 6 juillet 1975, les Comores devenant alors membre de l’ONU, par la résolution 3385 du 12 novembre de la même année, qui réaffirme « la nécessité de respecter l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli ». Les Comores ont été admises comme état membre de l’Organisation, à l’unanimité des voix, c’est-à-dire y compris celles des États européens ; la France, elle, ne s’y était pas opposée, elle s’était abstenue !
Mais l’État français, arguant qu’à Mayotte le NON à l’indépendance l’avait emporté, décide d’occuper cette île, à l’encontre du droit international ! Toutes les organisations internationales ont condamné cette occupation illégale et enjoint à la France de quitter Mayotte. Plus de 20 résolutions ont été votées par l’Assemblée Générale de l’ONU dans ce sens, sans résultat tangible à ce jour.

La France, donneuse de leçon en matière de droit et de démocratie, n’est pas fière de se voir condamnée chaque année par une résolution de l’ONU, sans effet soit-elle ! Aussi, pour décourager les autorités comoriennes et les amener à ne plus faire débattre de la question de l’île comorienne de Mayotte à l’ONU, la France déploie une campagne d’intimidation et de déstabilisation tous azimuts. Par mercenaires interposés ou en s’appuyant sur ses hommes-lige. Rappelons – nous ces années noires, dans les années 1980 : dix ans d’occupation mercenaire de la partie indépendante, sous la houlette de « l’affreux Bob Denard », comme l’appellent les médias. Lors du procès où il répondait de l’assassinat du président comorien Ahmed Abdallah, Bob Denard aurait sauvé sa tête en déclarant qu’aux Comores [comme ailleurs] il a toujours agi pour le compte de l’état français ! Ce qu’ont confirmé les agents des services qui sont montés à la barre pour le défendre … et obtenir un non-lieu scandaleux !

Aux Comores, derrière les manœuvres de déstabilisation, nous avons le réflexe de chercher la main de la françafrique. Et les chiffres sont ahurissants : 23 coups d’état ou tentatives depuis 1975, 4 présidents en exercice assassinés, un président élu démocratiquement déporté (M. Djohar en 1995) !

Mettons en parallèle le cas de Kanaky. Donnons la parole au frère Rock Wamytan, ancien président du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste). Lors d’un colloque d’avril 2008 au Palais du Luxembourg, dans son discours sur les accords de Matignon et de Nouméa, il pose les questions en ces termes (je cite) :« Vingt ans après, on continue de se poser des questions sur la responsabilité politique de la mort des trois leaders indépendantistes : Jean Marie Tjibaou, Yewene Yewene et Djoubély Wea le 5 mai 1989 à Wadrilla (Ouvéa). En signant cet accord, qui ne donnait pas l’indépendance du pays kanak, Jean Marie Tjibaou avait-il conscience qu’il mettait sa vie en danger et pourquoi l’a-t-il accepté ? Ou alors comment les négociateurs de l’Etat l’ont-ils persuadé de signer, avaient-ils des moyens de pression sur sa personne ? La question reste posée pour nous qui sommes héritiers de cet accord. »

Assurément, le colonialisme français reste identique dans toutes « ses » outre-mer !

L’ancrage progressif de Mayotte dans la France puis dans l’Europe

1976 (puis 2000) : la France a organisé illégalement une consultation à Mayotte. Celle-ci a été rejetée sans ambiguïté par la communauté internationale (résolution 31/4 du 21 octobre 1976).

1995 : un visa dit "visa Balladur - Pasqua" a été instauré, pour les Comoriens des 3 autres îles voulant se rendre à Mayotte. Ce visa est à l’origine de près de 10 000 morts dans le bras de mer entre Anjouan et Mayotte !

Mars 2009 : La France a procédé, comme programmé, à la départementalisation de Mayotte. Cette île est aujourd’hui le 101ème département français ! C’est toujours contre le droit international, mais c’est aussi contre le droit français, puisque le Peuple français n’a jamais été consulté lors de cette extension de son territoire !

La prochaine étape, c’est janvier 2014 : après être passée par de nombreux statuts de Collectivité Territoriale / Collectivité Départementale / DOM / PTOM, Mayotte va accéder au statut de RUP (Région Ultra Périphérique) sous législation européenne ! Ce statut devra être ratifié par les gouvernements européens. Mais ce sera en contradiction flagrante avec le vote unanime des mêmes états en faveur de la résolution 3385 du 12 novembre 1975 (stipulant l’appartenance de Mayotte au nouvel état comorien) !

Cette issue semble inéluctable tant que les manœuvres de la France bénéficient, entre autres, de la « passivité » coupable des gouvernements comoriens successifs !

Mais le temps presse, c’est pourquoi nous lançons un appel vibrant à toutes les organisations de cette semaine anticoloniale, à agir avec nous pour faire triompher la force du droit sur le droit du plus fort.

Le bilan de la départementalisation de Mayotte

Pour l’heure dressons un bilan de la très courte séquence historique post-départementalisation.

Mayotte sera davantage isolée de ses îles sœurs. Comme le précisait le Gisti (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés) l’on assiste en 2010 à « un déploiement sécuritaire exceptionnel afin d’isoler une île de 200 000 habitants du reste de l’archipel dans lequel elle est insérée ».

Mayotte servira la politique du chiffre, de tous les régimes politiques confondus, puisqu’on continue d’expulser ce qu’on y appelle « les clandestins comoriens ». Dans son discours sur l’immigration à Mayotte, le président Sarkozy précisait : « Mayotte expulse tous les ans 20 000 clandestins, autant que toute la métropole réunie » [ce qui représente 10% de la population de l’île !!!].

La départementalisation forcée de Mayotte s’est traduite par la dégradation du niveau de vie des Maorais. Rappelons-nous des mouvements contre « la vie trop chère » : dès novembre 2011, des Maorais ont manifesté dans la rue, à la suite des grèves du LKP en Guadeloupe, des « marches citoyennes » de l’USTKE en Kanaky ou des grèves générales à la Réunion … Au final, l’occupation des terres maoraises s’est traduite par des « sorties nettes » exceptionnelles parmi les jeunes, selon les études des flux migratoires de l’INSEE.

Dans toutes ces outre – mer, les autorités françaises ont répondu par l’arrogance et réprimé très durement. Mais notons, dans le même temps, ces liens de solidarité qui se renforcent entre les combattants de ces régions, à travers les océans, à l’instar de la déclaration de soutien des organisations de Guadeloupe (octobre 2011).

II. Les enjeux de l’occupation de Mayotte

Nous le savons, la France, qu’elle soit de droite ou de gauche, ne peut envisager de renoncer à ses intérêts coloniaux dans nos régions.

Pour illustrer ce point, je donne la parole à Monsieur Victorin Lurel, actuel ministre français des outre-mer. Dans son discours du 29 août 2012, le « discours pour le diner des 3 océans », diffusé sur le site officiel des outre-mer, le ministre déclare avec force emphase (je cite) : «  Grâce aux outre-mer, c’est en effet la France qui rayonne sur tous les continents et toutes les mers du monde. Ces outre-mer qui apportent à notre pays tant d’atouts et tant de richesses qui sont autant d’avantages comparatifs dans un très grand nombre de domaines : 11 millions de km² de zone économique exclusive (la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde après les États-Unis), 80% de la biodiversité nationale, la plupart des espèces endémiques, la plus grande frontière terrestre de l’Union européenne avec le Brésil, la plus grande frontière maritime européenne avec l’Australie, un immense potentiel économique et stratégique avec le Nickel de la Nouvelle Calédonie, les nodules polymétalliques de la Polynésie et de Wallis, la base spatiale, le bois, l’or et bientôt le pétrole de la Guyane, les nouvelles énergies de la Réunion, l’écotourisme de la Martinique, la géothermie de la Guadeloupe, et j’en oublie… ».

Monsieur le ministre oublie, ou omet, quelques raisons de la présence déterminée de la France dans l’océan indien. Pour l’essentiel, retenons que l’état colonial français n’occupe pas Mayotte par pure philanthropie vis-à-vis des Maorais (les habitants de Mayotte) !

Pour corriger cet « oubli », je ferai référence à un excellent article publié dans les billets d’Afrique, sur le site de notre partenaire et amie Survie. Il s’agit de l’article intitulé « Le canal du Mozambique, un enjeu stratégique pour la France », datant de juin 2012.

L’auteur, Raphaël De Benito, annonce les enjeux de cet océan en ces termes : « ce bras de mer de l’océan Indien séparant l’île de Madagascar du Mozambique abriterait d’importantes ressources énergétiques. La France est en passe de mettre la main sur ce nouvel eldorado pétrolier et gazier. »

L’auteur précise que l’annexion par la France des îles du canal de Mozambique (il s’agit de Juan De Nova, Bassa de India, Europa) mais aussi de Tromelin dans l’océan indien, a été tardivement remise en cause par Madagascar (alors que l’ONU avait recommandé à la France d’engager des négociations en vue de leur restitution à Madagascar). Il cite une déclaration du Ministre des Affaires Étrangères de l’époque, Alain Juppé : « Il ne saurait être question que la France renonce à la souveraineté sur Tromelin non seulement sur le principe mais aussi parce que cela pourrait avoir un impact sur les autres différends relatifs à des possessions françaises d’outre-mer, en particulier celui avec Madagascar à propos des îles Éparses situées dans le canal du Mozambique. »

En effet, précise l’article : Juan de Nova a un potentiel pétrolier et gazier gigantesque. Au point que Total est prêt à y investir près de 113 millions pour les droits d’exploration offshore et d’exploitation au large de Juan de Nova !

Et l’article de conclure par cette question logique, qui pèse de tout son sens géopolitique :

« D’aucuns se sont demandés pourquoi la France s’était lancée, avec détermination, dans la départementalisation de l’île de Mayotte, soustraite arbitrairement à l’archipel des Comores en 1976 à l’issue d’un référendum scélérat ». CQFD (Ce Qu’il Fallait Démonter).

III. Et maintenant, QUE FAIRE ?

Le traitement du contentieux franco-comorien sur l’île de Mayotte incombe d’abord aux autorités comoriennes. Or, force est de constater que celles – ci ont démissionné sur le traitement réel de cette question. C’est l’un des régimes à la solde de l’impérialisme français, celui du colonel Azali Assoumani, qui a demandé le retrait de la question de Mayotte de l’ordre du jour des Nations, en septembre 2005.

Il ne s’agit pas de faire abstraction des pressions réelles que savent exercer les réseaux de la Françafrique, lorsque leurs « intérêts supérieurs » sont en jeu ! Toutes les manœuvres de déstabilisation que l’état français commet dans « ses » régions périphériques, au nom des citoyens français, doivent être identifiées et courageusement dénoncées.

Mais il faut solliciter notre imagination collective pour faire respecter le droit des Peuples en ne laissant pas la situation dépendre des politiques qui sont soumis au diktat des autorités coloniales.

L’occupation de Mayotte est une question politique, qui relève du droit international. Les problèmes d’ordre humanitaire (expulsions massives, maltraitance, « morts Balladur », …) en sont les conséquences.

C’est pourquoi, nous devons continuer, ensemble, à rechercher les moyens de nous faire entendre par le conseil de sécurité ! Même si aujourd’hui l’ONU ne joue pas son rôle, puisqu’il se met majoritairement du côté des oppresseurs, nous devons construire ensemble un rapport de force qui le réoriente vers l’intérêt des opprimés. Pour devons mutualiser nos efforts dans ce sens, en agissant ensemble, tout en étant le plus précis quant à nos objectifs spécifiques.

Nous devons agir également dans l’urgence pour stopper l’hécatombe provoquée par ce que certains appellent « le mur Balladur » ! Au nom des Comoriens victimes de ce visa mortifère, nous exprimons notre reconnaissance à toutes les organisations humanitaires qui agissent sur place pour en limiter les dégâts. Nous saluons le travail formidable de la CIMADE, du GISTI, de MDM … qui dénoncent les expulsions abusives à Mayotte, le non-respect des droits humains dans les CRA (Centre de Rétention Administratifs)… Cependant, nous persistons à dire que là encore, il ne s’agit pas de contourner l’ordre politique qui détermine ici les autres ordres.

Au terme de cette intervention, je veux réitérer une déclaration que le CAAC avait déjà faite à la presse, en 2009 (citée dans un article de l’organe de la CADTM) : «  La France doit aider au développement de l’ensemble comorien, en payant sa dette coloniale, qui s’évalue, à minima à plus de sept milles victimes du visa Balladur-Pasqua mais aussi à l’occupation illégale de terres comoriennes et à quelques assassinats de présidents et d’autres leaders politiques comoriens ».

Sur cette fin d’intervention, je voudrais vous demander d’observer une minute de silence, qui sera dédiée à la réflexion sur tout ce que nous venons de partager, et aussi à la mémoire des 10 000 victimes du visa « Balladur-Pasqua » !

Salle Jean Dame, Paris, ce 24 février 2013.


Documents joints

PDF - 91.1 kio