Les premiers mois du référé liberté suspensif outre-mer : la révolution n’a pas (encore) eu lieu

Cimade, 23 février 2017
vendredi 14 avril 2017

Analyse diffusée sur le site de la Cimade :

23 février 2017

  • « Garantir l’effectivité des recours dans les collectivités d’outre-mer » , tel est l’objectif ambitieux que s’est fixée la réforme du droit des étrangers de 2016, en donnant aux référés liberté introduits par les étrangers sous le coup d’une mesure d’expulsion, le pouvoir de suspendre cette procédure jusqu’à ce que le juge administratif ait statué sur ce recours.
    Que ceux qui en doutaient se rassurent : quatre mois après son entrée en vigueur le 1er novembre 2016, le dispositif d’expulsion a pour l’instant survécu à cette révolution législative.

« Garantir l’effectivité des recours dans les collectivités d’outre-mer » [1], tel est l’objectif ambitieux que s’est fixée la réforme du droit des étrangers de 2016, en donnant aux référés liberté introduits par les étrangers sous le coup d’une mesure d’expulsion, le pouvoir de suspendre cette procédure jusqu’à ce que le juge administratif ait statué sur ce recours (ci-après dénommé « référé liberté suspensif »).

On sait que depuis plusieurs années et jusqu’à cette réforme, une partie des départements d’outre-mer était soumise à des lois spéciales permettant, contrairement à ce qui s’applique ailleurs en France, qu’une expulsion puisse être organisée sans attendre que le juge saisi de la légalité de cette expulsion ait rendu sa décision. Les juridictions françaises et européennes ont donc appuyé une évolution législative afin de rendre cet examen plus effectif.

Ainsi naissait le référé liberté suspensif.

Du fin fond de la forêt amazonienne, on a pu entendre les cris d’orfraie des détracteurs de cette évolution, qui prédisait alors la mort assurée du contrôle aux frontières et du dispositif d’expulsion, ainsi que le sentiment d’impunité qui ne manquerait pas de planer parmi les migrants. A Mayotte, l’un des quotidiens locaux allait jusqu’à titrer « la fin des expulsions », alimentant ainsi la psychose envers les comoriens, en pleine crise des « décasages ».

Que ceux qui en doutaient se rassurent : quatre mois après son entrée en vigueur le 1er novembre 2016, le dispositif d’expulsion a pour l’instant survécu à ce raz de marée, ce tremblement de terre, cette révolution législative.

Des débuts chaotiques

Les premières utilisations de ce référé furent chaotiques, l’administration ne leur reconnaissant pas d’effet suspensif.

Ce fut le cas à Mayotte et en Guyane, où des renvois se sont dans un premier temps poursuivis malgré le dépôt de référés liberté, avant d’être interrompus sur insistance de leur conseil ou de La Cimade.

Fin décembre, la préfecture de Guyane renvoyait à une semaine d’intervalle deux personnes puis une autre, sans attendre la décision du juge saisi d’un référé liberté. Pour chacune de ces personnes, la préfecture et le CRA étaient informés, puis alertés, du dépôt d’un recours depuis la veille.

Tous les acteurs concernés par le traitement de ce recours se sont renvoyés la balle, soulignant ainsi qu’aucun dispositif de circulation accélérée de l’information entre eux n’avait été instauré afin de garantir l’effet suspensif immédiat des référés liberté dans les courts délais de renvoi depuis ce CRA.

Pas de déferlement annoncé

En novembre et décembre 2016, 17 référés liberté ont été introduits depuis le CRA de Guyane et 3 depuis celui de Guadeloupe.

Ce nouveau levier de défense implique sans doute un nécessaire délai d’appropriation, notamment au sein des avocats de permanence, inégalement au fait des dernières actualités d’un domaine juridique qui n’est pas forcément le leur.

Les conditions de ce recours sont également très restrictives et son champ ne s’applique en principe qu’aux situations de violation de droit les plus extrêmes.

Enfin, en l’absence d’un gel des renvois sur les premières heures de rétention, c’est surtout la rapidité des expulsions qui explique la faible utilisation de ce nouveau recours, particulièrement en Guyane et à Mayotte.

Dans des CRA où les renvois sont souvent exécutés en moins de douze heures, avec des horaires de placement parfois essentiellement nocturnes, l’utilisation de ce recours, aussi suspensif soit-il, reste extrêmement contraint.

Avec ce référé liberté suspensif, si un pas a bien été franchi vers un recours plus effectif contre les mesures d’expulsion, à ce jour la révolution n’a pas (encore) eu lieu.