Rétention à Mayotte : la préfecture dispose de cinq jours avant qu’un prolongement soit soumis à l’avis d’un juge

mercredi 18 janvier 2017

LOI n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique

  • Article 31 de la loi :

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa de l’article L. 514-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, les deuxième à cinquième phrases du troisième alinéa du III de l’article L. 512-1 sont applicables à la tenue de l’audience prévue au 3° du présent article. » ;
2° L’article L. 832-1 est complété par des 18° et 19° ainsi rédigés :
« 18° A la seconde phrase du premier alinéa du III de l’article L. 512-1, au premier alinéa de l’article L. 551-1, à la première phrase de l’article L. 552-1, à l’article L. 552-3, au premier alinéa de l’article L. 552-7 et à la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 555-1, les mots : “ quarante-huit heures ” sont remplacés par les mots : “ cinq jours ” ;
« 19° Aux premier, deuxième et troisième alinéas de l’article L. 552-7, les mots : “ vingt-huit jours ” sont remplacés par les mots : “ vingt-cinq jours ”. »

  • Modifications du code des étrangers qui en résultent :

a) Le placement en rétention administrative décidé par la préfecture ne peut pas être prolongé au delà de 48 heures [5 jours à Mayotte]. Une prolongation d’au plus 28 jours [25 à Mayotte] peut-être être décidée que, suite à une requête de la préfecture, par le juge des libertés et de la liberté (JLD).

Article L. 552-1
Quand un délai de vingt-quatre heures [à Mayotte cinq jours] s’est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. Le juge statue dans les vingt-quatre heures de sa saisine par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe le lieu de placement en rétention de l’étranger, sauf exception prévue par voie réglementaire, après audition du représentant de l’administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l’intéressé ou de son conseil, s’il en a un. [...]

b) L’intéressé peut toutefois toujours contester la légalité du placement en rétention par une requête présentée JLD dans un délai de 48 heures (5 jours à Mayotte)

Art. L. 512, III, al 1, seconde phrase
La décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de vingt-quatre heures [à Mayotte, cinq jours] à compter de sa notification, suivant la procédure prévue à la section 1 du chapitre II du titre V du présent livre et dans une audience commune aux deux procédures, sur lesquelles le juge statue par ordonnance unique lorsqu’il est également saisi aux fins de prolongation de la rétention en application de l’article L. 552-1.


Histoire d’un amendement

Cet article 31 n’était pas prévu par le projet initial de la loi. Il a été présenté par des élus mahorais à l’assemblée nationale puis soutenu par leurs partenaires au Sénat.

Assemblée nationale : deux amendements identiques, n°217 déposé par M. Aboubacar et n°128 déposé par M. Boinali Said

  • Exposé sommaire accompagnant l’amendement :

Le présent amendement vise à renforcer la convergence entre le droit applicable en outre-mer en matière de contrôle contentieux de la rétention administrative de ressortissants étrangers en instance d’éloignement et le droit en vigueur en métropole. Il présente deux objets :

I. – Afin d’améliorer l’organisation de la justice en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, le 1° a) de l’amendement rend applicable, pour les audiences relatives au contentieux des obligations de quitter le territoire français dans ces collectivités d’outre-mer, le dispositif permettant au juge administratif de se transporter au siège de la juri­diction judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l’étranger si celui-ci est maintenu en rétention administrative et de statuer dans une salle spécialement aménagée à cet effet à proxi­mité du lieu de rétention, le cas échéant par visio-conférence.
En effet, rien ne s’oppose à ce que cette possibilité prévue en métropole, en Martinique, à La Réunion et à Saint-Pierre-et-Miquelon pour les audiences du juge de l’éloignement confor­mément au III de l’article L. 512‑1 du CESEDA ne soit pas étendue aux audiences du juge administratif des référés statuant en application du 3° de l’article L. 514‑1 du même code en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Le présent amendement complète donc à cette fin le dernier alinéa de l’article L. 514‑1 qui, conformément au IV de l’article 67 de la loi n° 2016‑274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, sera applicable aux décisions prises à compter du 1er novembre 2016.

II. – En second lieu, le présent amendement entend assurer, à Mayotte, un équilibre entre, d’une part, les principes d’égalité et d’effectivité des recours et, d’autre part, les nécessités d’adaptation aux caractéristiques particulières de la pression migratoire qui s’exerce sur ce département.
Il est impératif de garantir à Mayotte un contrôle juridictionnel effectif sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français, comme sur la rétention. C’est pourquoi le présent amendement maintient intégralement les principes de la réforme contentieuse adoptée dans le cadre de la loi du 7 mars 2016, en tant qu’elle s’oppose à l’exécution de l’éloignement avant que le juge administratif saisi d’un recours n’ait statué, qu’elle confie au juge des libertés et de la détention (JLD) l’entier contrôle de la rétention, y compris celui de la régularité des décisions de placement qui relevait aupa­ravant du juge administratif, qu’elle adapte le séquençage des différentes périodes de la rétention et qu’elle permet à l’étranger de saisir le JLD dès le début de la rétention.
Ces acquis de la loi du 7 mars 2016 assurent l’accès à un recours effectif à l’étranger en instance d’éloignement à Mayotte. Ces garanties, du fait de la pression migratoire exceptionnelle qui s’exerce sur l’île (le nombre d’éloignements réalisés chaque année depuis Mayotte est du même ordre de grandeur que celui opéré depuis la métropole), doivent toutefois être conciliées avec d’autres objectifs d’intérêt général, et en particulier celui de l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ainsi que celui de la bonne administration de la justice.
Ainsi, le présent amendement se borne à moduler le délai à l’expiration duquel est saisi le JLD, sans remettre en cause les principes des réformes contentieuses introduites par la loi du 7 mars 2016 : il a justement pour objet de garantir, dans le contexte migratoire particulier qui y prévaut, leur mise en œuvre effective à Mayotte. A cette fin, le 2° de l’amendement complète l’article L. 832‑1 pour y prévoir que dans ce département, le JLD est saisi par le préfet aux fins de prolongation de la rétention à cinq jours. Ce délai, validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 juin 2011, n’affecte pas pour l’étranger l’ouverture d’un accès immédiat au juge judiciaire suivant la notification de la décision de placement en rétention. L’adaptation du séquençage de la rétention préserve enfin la durée maximale légale de la rétention, inchangée.

  • Débat à l’assemblée nationale le 4 octobre 2016

M. Boinali Said
Le présent amendement vise à renforcer la convergence entre le droit applicable en outre-mer en matière de contrôle contentieux de la rétention administrative de ressortissants étrangers en instance d’éloignement et le droit en vigueur en métropole.
Il a deux objets.

Afin d’améliorer l’organisation de la justice en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, l’amendement rend applicable, pour les audiences relatives au contentieux des obligations de quitter le territoire français dans ces collectivités d’outre-mer, le dispositif permettant au juge administratif de se transporter au siège de la juridiction judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l’étranger si celui-ci est maintenu en rétention administrative et de statuer dans une salle spécialement aménagée à cet effet à proximité du lieu de rétention, le cas échéant par visioconférence.
En effet, rien ne s’oppose à ce que cette possibilité prévue en métropole, en Martinique, à La Réunion et à Saint-Pierre-et-Miquelon pour les audiences du juge de l’éloignement conformément au III de l’article L. 512-1 du CESEDA ne soit pas étendue aux audiences du juge administratif des référés statuant en application du 3° de l’article L. 514-1 du même code en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Cet amendement complète donc à cette fin le dernier alinéa de l’article L. 514-1 qui, conformément au IV de l’article 67 de la loi no 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, sera applicable aux décisions prises à compter du 1er novembre 2016.

En second lieu, l’amendement entend assurer, à Mayotte, un équilibre entre, d’une part, les principes d’égalité et d’effectivité des recours, d’autre part, les nécessités d’adaptation aux caractéristiques particulières de la pression migratoire qui s’exerce sur ce département.

[...] M. Victorin Lurel, rapporteur. Favorable, sous réserve de l’adoption d’un sous-amendement de codification.

B. Au Sénat, le 17 janvier 2017

Amendement n°127, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen : supprimer cet article.

  • Objet
    Cet article ne correspond pas à la philosophie annoncée du texte car il prévoit deux dispositions profondément discriminatoires et en violation des libertés fondamentales :
    D’une part, la possibilité, pour le juge administratif statuant en référé-liberté sur saisine d’un étranger en centre de rétention, de tenir une audience hors du tribunal administratif, c’est-à-dire au siège de la juridiction judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l’étranger ou dans une salle d’audience attribuée au ministère de la justice, à côté du centre de rétention. Ainsi, de fait, cette disposition créé une inégalité de traitement en matière de protection des libertés fondamentales des étrangers en centre de rétention entre la métropole et la Guyane, la Guadeloupe, Mayotte, Saint Barthélémy et Saint Martin.
    D’autre part, cet article revient, pour ce qui concerne uniquement Mayotte, sur les nouvelles dispositions de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France applicables depuis novembre 2016, et qui garantissaient à un étranger en centre de rétention l’intervention du juge des libertés et de la détention pour un recours contre la mesure d’éloignement dans un délai de 48h. Le législateur a choisi de le rallonger à 5 jours en ce qui concerne Mayotte.

Mme Évelyne Rivollier. - Cet article revient sur la seule avancée de la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France, qui a ramené à 48 heures le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention lorsqu’un étranger en situation irrégulière est placé en centre de rétention. Le régime dérogatoire de Mayotte est justifié par la situation de l’île où 17 000 personnes sont retenues dont plus de 4 000 enfants. Le manque de moyens est criant mais cela ne saurait justifier une inégalité en droit.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Le Sénat s’était prononcé en faveur d’un délai de zéro à cinq jours. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière. Ne faut-il un régime spécifique qu’à Mayotte, alors que l’éloignement le justifierait aussi en Guyane ? Aucun bilan du séquençage ne justifie de revenir sur un régime récent. La commission a cependant préféré conserver ce dispositif eu égard à la situation très spécifique de Mayotte. Avis défavorable.

Mme Ericka Bareigts, ministre. - Cet amendement ne revient en aucun cas sur les avancées récentes. Il organise les audiences, prenant en compte la situation très particulière de Mayotte, en conservant une égalité sur la durée totale de rétention, qui reste de quarante-cinq jours au maximum. L’article revient au droit existant avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 mars. C’est justifié par les contraintes pratiques que subit le juge des libertés et de la détention et par le nombre très élevé de contentieux. Avis défavorable.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Cet article provient d’un amendement proposé par les deux députés de Mayotte. Devant la situation extrêmement difficile de notre département, il n’est pas raisonnable de soutenir cet amendement. Elle est si préoccupante qu’il ne se passe pas un mois sans que nous la rappelions ici. Je suis étonné que certains collègues hexagonaux ne considèrent qu’une partie du problème. Avec cet amendement, vous jouez aux apprentis sorciers. S’il était voté, il faudrait deux juges des libertés et de la détention de plus, et une nouvelle salle d’audience. Or les moyens ne sont pas là.

Mme Éliane Assassi. - Voilà le problème !

M. Thani Mohamed Soilihi. - Si ce pays n’a pas les moyens de respecter les libertés, ne jouons pas aux apprentis sorciers. Un tel amendement ne ferait qu’aggraver les choses.

L’amendement n°127 n’est pas adopté.

Le projet de loi a été adopté par le Sénat le 19 janvier 2016.


Lettre ouverte de l’OEE et de MOM aux parlementaires

Les député-e-s renient leur vote de mars 2016 : à Mayotte, « l’égalité réelle » attendra ?
Jeudi 3 novembre 2016