Lutte contre l’immigration : « tout le monde a intérêt que ça ne marche pas ! »…

vendredi 31 août 2012

Propos recueillis par Annette LAFOND, pour Malango-actualites.fr

Malango actualité : Vous avez dit vouloir établir un diagnostic, évaluer les conséquences et émettre des propositions sur l‘immigration irrégulière qui touche Mayotte. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur ces trois points ?

Alain Chistnacht : En 2002, 33% de la population était d’origine étrangère, en 2007, 40% et les indices indiquent que le recensement en cours portera 2012 au dessus. Mais une commune dont 50% de la population est étrangère est difficilement gérable, puisque dotée pour moitié seulement de citoyens. De plus, je constate que ce mouvement de population d’Anjouan vers Mayotte est ancien et traditionnel. Nous pouvons d’ailleurs nous demander ce que signifie « être mahorais » puisque lors de l’indépendance des Comores en 1975, les individus ont eu le choix de garder la nationalité française, comorienne, ou la double nationalité. De ce fait, les anjouanais qui vivent à Mayotte sont, soit en situation irrégulière, il y en aurait 50.000 à 60.000, soit en situation régulière, une partie des 15.000 qui le sont sur l’île, soit français d’origine anjouanaise.

En conclusion, c’est un mouvement de fond d’installation à Mayotte, et non pas d’aller-retour. Ce qui en découle, c’est que toute suppression du visa Balladur impliquera que les entrants de manière régulière vont rester.

Vous avez néanmoins indiqué vouloir assouplir le système de visas ?

A.C. : non, seulement réfléchir à une moindre sévérité sur les visas sanitaires. On ne peut obliger quelqu’un de malade à venir par kwassa, et en repartir par le même chemin. Contrairement à ce que pensent certaines associations, l’abrogation ou l’assouplissement massif ne sont pas des solutions à cette immigration.

Mais les visas sont difficiles à obtenir, souvent les demandeurs n’ont pas d’extrait de naissance, ou sont victimes de la corruption sans laquelle ils n’ont pas d’espoir d’obtenir le moindre passeport !

A.C. : C’est pour répondre à ces problèmes pratiques que nous avons installé un consulat à Anjouan. Mais nous ne pouvons pas subir ces absences de la société comorienne en accueillant des personnes sans papiers. Nous pouvons par contre aider le gouvernement comorien à établir des documents fiables et mettre fin à la fraude documentaire.

« Nous sommes dans l’urgence de réduire le flux »

Le développement de la coopération régionale est un échec politique répété. Une coopération institutionnelle ciblée par exemple sur l’hôpital ou la Police serait-elle plus efficace ?

A.C. : Elle existe déjà pour les services d’Incendie et de secours avec le colonel Soribas qui travaille avec ses homologues comoriens sur l’évacuation des blessés. De même le Gréta en matière de formation professionnelle. Le lieutenant colonel qui commande la Légion à Mayotte a été invité par l’armée comorienne pour mettre en place un programme de formation militaire de base des soldats. Avec bien entendu l’accord du gouvernement.

Une partie des anjouanais viennent pour obtenir de meilleurs soins. Il faut donc développer des structures sanitaires et réinstaller des médecins coopérants aux Comores, sécuriser l’accès aux médicaments etc. D’autres secteurs sont prioritaires, comme l’école ou le développement économique. Les coopérations judiciaire et policière doivent être acceptées par l’Union des Comores.

Vous aurez donc un budget plus substantiel en matière de coopération régionale ?

A.C. : S’il suffisait d’injecter 10 millions d’euros pour économiser d’autant sur les coûts directs et indirects de l’immigration irrégulière, nous le ferions. Mais nous sommes dans l’urgence de réduire le flux d’immigration. Développer Anjouan est une opération assez longue qui suppose des relais locaux. L’obstacle n’est pas l’argent, mais de trouver des projets de développement et d’équipements que les anjouanais acceptent. En contrepartie, on leur demande de contrôler l’immigration au point de départ.

Immigration qui fait l’objet d’un trafic juteux dans lequel des politiques de l’Union des Comores sont impliqués…

A.C. : Effectivement, il y a plein de raisons pour que cela ne marche pas. De même que la démographie à Anjouan deviendrait telle, en l’absence de départ vers Mayotte, que les habitants fuiraient vers Mohéli, ce que refuse cette île. Enfin, certains politiques comoriens, voient plutôt d’un bon ½il les problèmes que pose à Mayotte ce flux migratoire (l’Union des Comores ne désespérant pas ainsi de récupérer Mayotte, ndlr).

Nous devons trouver des contreparties intéressantes pour les Comores comme la sécurité dans les transports maritimes, et laisser partir avec des kwassa surchargés va à l’encontre des règles auxquelles ils sont soumis. Je voudrais signaler qu’autant de kwassas vont vers Mohéli, on y a même découvert un naufrage organisé par le patron lui-même pour dépouiller les passagers et les noyer…

La solution est-elle dans une Union des Comores redevenue française ?

A.C. : Les Comores ne nous laisseront pas coloniser Anjouan. Et tant que l’écart d’équipements ne se réduit pas, le flux migratoire ne se tarira pas. Même les chinois n’investissent pas dans une Anjouan si peu incitative.

En conclusion ?

A.C. : Nous avons des progrès à faire sur le contrôle des arrivées maritimes, sur la coordination, la détection. Quant aux étrangers présents sur l’île, nous ne pouvons les expulser en masse, les Comores ne l’accepteront pas. D’un autre côté, nous régularisons une quantité non négligeable de personne.

Nous sommes arrivés à un point où la crainte de mouvements sociaux est forte.

La France peut-elle se lasser ? François Hollande venir à Mayotte pour un « Je vous ai compris ! »...

A.C : dans la situation que vous évoquez, comme pour toute autre, il a fallu un référendum. Aucune cession de territoire ne peut se faire sans l’accord de la population locale.

A quand un nouveau Centre de rétention administrative ?

A.C : au premier semestre 2015.

Vous vous rendez en Union des Comores, pour y rencontrer qui ?

A.C : pas forcément des politiques, mais des ambassadeurs et fonctionnaires comoriens.

Bien que « tout le monde ait intérêt à ce que ça ne marche pas », Alain Christnacht n’abdique pas et souhaite inverser la courbe « tout en traitant plus dignement les arrivants ».