Maud Laethier, Etre Haïtien et migrant en Guyane

aux éditions du CTHS, mars 2011
jeudi 31 mars 2011

Etre migrant et Haïtien en Guyane


par Maud Laethier
CTHS, 2011

En Guyane, les Haïtiens constituent désormais l’un des groupes migrants les plus nombreux. Ils sont ici venus « chercher la vie » dans une société guyanaise marquée depuis plusieurs décennies par d’importants bouleversements démographiques et sociaux. Cet ouvrage interroge la migration haïtienne dans les processus d’ethnicisation et de créolisation spécifiques au contexte guyanais. Il plonge au plus près du vécu des migrants en mettant au jour les différentes constructions identitaires qui se déclinent à un double niveau : au sein du groupe d’appartenance, vis-à-vis des compatriotes, ces « autres mêmes », et avec les membres d’autres groupes, saisis comme étant des « autres différents ». Éclairée par une analyse des différentes étapes de la migration, l’étude invite le lecteur dans les espaces habités, elle l’introduit dans les assemblées protestantes et les associations « culturelles », elle le mène vers les pratiques vodou.


Résumé de la thèse soutenue le 15 juin 2007 à l’EHESS

Ancienne colonie française devenue département d’outre-mer, la Guyane ne cesse, depuis la fin du XIXe siècle, d’être soumise à d’importants flux migratoires qui en affectent nécessairement la configuration sociale. Ainsi, longtemps majoritaire, le groupe des Créoles est devenu une minorité parmi d’autres, même s’il reste dominant sur le plan politique. Dans cette situation, les arrivées de populations allochtones inquiètent tout en contribuant à ce que le contexte guyanais soit désormais défini en termes de multiculturalité. Or, les enjeux identitaires liés à cette définition et aux représentations des migrations prennent un relief particulier. Marquant le devenir de ce territoire dont le modèle politique, économique et social se distingue de ceux de ses proches voisins, la présence de migrants est devenue une question particulièrement sensible, tant au niveau de la société française, dans son ensemble, qu’à celui de la situation locale ; elle tend à favoriser les phénomènes de catégorisation ethnique, tandis que la mobilisation d’une appartenance « culturelle » et l’idée de « communauté » agissent comme des supports et des ressources dans les relations individuelles et collectives, venant ainsi préfigurer l’élaboration de frontières entre les groupes.

Dans ce contexte, les Haïtiens, dont les arrivées deviennent numériquement significatives à partir des années quatre-vingt, constituent l’un des groupes migrants les plus nombreux. Dans l’île de Cayenne où les migrants, quels qu’ils soient, sont pourtant principalement installés, les Haïtiens voient leur présence appréhendée de manière négative et apparaissent marqués socialement malgré leur proximité culturelle avec les éléments de la culture guyanaise. Ce travail interroge donc les implications et les ressorts de la migration haïtienne dans les processus d’ethnicisation et de créolisation spécifiques au contexte guyanais. Les différentes constructions identitaires des migrants sont au centre de la réflexion. L’analyse de leurs configurations se décline à un double niveau : au sein du groupe d’appartenance, ici signifié par l’expression les « autres mêmes », c’est-à-dire les compatriotes, et avec les membres d’autres groupes, saisis comme étant des « autres différents ». Autrement dit, les « autres mêmes » et les « autres différents » sont les deux ensembles de référence pour l’analyse des reproductions, des transformations et des constructions identitaires.

La première partie pose les repères nécessaires à une compréhension du contexte dans lequel s’inscrit la présence haïtienne en Guyane : on y analyse successivement les situations sociohistoriques spécifiques qui ont donné naissance aux sociétés haïtienne et guyanaise, les différentes étapes de
l’émigration des Haïtiens, leur arrivée dans le département français, où ils sont soumis à une législation qui les catégorise d’après leur nationalité et leur possession d’une titre de séjour. Les théories élaborées pour penser les migrations, envisagées à la lumière de la problématique développée, éclairent cette description.

Vient ensuite la présentation du matériau ethnographique qui s’organise autour de trois niveaux d’observation et d’analyse : l’implantation spatiale, les collectifs que constituent les assemblées protestantes et les associations « culturelles », les pratiques vodou. L’attention portée à la relation espace-constructions identitaires permet d’interroger les articulations entre les pratiques de territorialisation et les ressources sociales, symboliques et économiques, que les migrants mobilisent.
Une ethnographie des lieux habités fait apparaître des réseaux de relations organisés autour de la parenté et du voisinage ; les registres de l’identité et de l’altérité y agencent un espace d’appartenance commune, régulé par les processus d’adaptation à la situation migratoire. La configuration identitaire qui émerge progressivement de l’analyse peut alors être mise en rapport avec les assignations extérieures, les frontières qu’elles sous-tendent, les stigmatisations qu’elles véhiculent.

En troisième partie, la thèse s’attache aux assemblées religieuses liées au protestantisme puis aux associations « culturelles » étudiées à travers les processus d’identification par lesquels leurs membres s’inscrivent dans une relation plus ou moins distanciée avec leur groupe d’appartenance. L’équilibre entre une identité collective et une identité individuelle dans le rapport au processus d’« intégration » sert de fil conducteur et des trajectoires de migrants sont examinées au sein de ces deux types de groupement. Apparaît ainsi une seconde configuration identitaire qui montre que, au sein de ces « collectifs », l’idée de l’unité « communautaire » et la définition d’une « identité haïtienne » cherchent, paradoxalement, à être transcendées au nom d’une universalité religieuse, d’un côté, d’une universalité sociale, de l’autre. Enfin, la dernière configuration identitaire analysée met en lumière les tentatives d’invention d’une place propre à travers une identité culturelle haïtienne, alors vécue comme un aspect central de l’individualité. À partir de l’étude de cas d’un ougan (prêtre vodou), l’analyse des pratiques qui s’organisent autour des cultes vodou, auxquels participent des membres d’autres groupes culturels, montre comment un fort investissement dans une « identité ethnique » stigmatisée peut devenir source de valorisation et de rapports interculturels. La capacité ambiguë qu’a ce prêtre vodou d’associer à son culte, en Guyane comme en Haïti, des non-Haïtiens aussi bien que des compatriotes, illustre également la manière dont l’« authenticité », grâce à la mobilisation vodou, s’expose comme une figure d’identification productive dans le processus de son intégration en Guyane.
La progression de l’analyse éclaire des situations d’où émergent des créations identitaires qui mobilisent plusieurs registres d’appartenances. Ces registres, où les sujets assument une altérité (« être l’autre »), opèrent des transactions (« être un autre semblable »), ou établissent des compromis (« être un autre authentique »), différencient les migrants ; ils sont autant de manières d’inventer une inscription au monde et d’affirmer une historicité. Ces configurations identitaires nous apprennent qu’en Guyane le fait d’être haïtien et migrant s’inscrit dans le rapport à l’« autre même » et àl’« autre différent ». Elles nous rappellent également que la migration, en tant que dynamique ordonnée et ordonnante, conduit à considérer les sociétés de départ et de destination comme des actrices à part entière dont les discours et les pratiques influent sur le lien social et les élaborations identitaires.


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