Mayotte, département français… surtout dans les textes

mercredi 1er octobre 2014

Tribune de Jean-Pierre SUEUR, président de la commission des lois du Sénat, sénateur du Loiret et Thani Mohamed SOILIHI, sénateur
publiée par Libération le 1er octobre 2014

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Mayotte, dernier né des départements français, a reçu la visite du président de la République le 22 août. Le chef de l’État, accueilli par la population enthousiaste et vigilante, a rappelé, avec force, l’appartenance de cette île à la France : « La République est fière que Mayotte puisse être son 101e département. » Mais cette accession à la départementalisation, tant espérée par la population, ne doit pas être perçue comme une fin en soi au risque que ce statut ne reste qu’une coquille vide.

Il est important de rappeler que ce département est le plus jeune de France. La moyenne d’âge des quelque 212 000 habitants (selon les chiffres contestés de l’Insee) est de 17 ans. Cette particularité fait office d’exception. Par sa jeunesse, sa culture, sa géographie ou encore son environnement, Mayotte représente une véritable chance pour la France, mais une chance qui doit faire face à de nombreux défis.

Car ce territoire rencontre, en effet, des difficultés sans précédent au sein de la République. L’État français y a une part de responsabilité puisqu’il a longtemps hésité à investir et à s’investir aux côtés de ce territoire et de sa population. Alors même que l’île est française depuis 1841, très peu d’enfants mahorais ont ainsi eu la possibilité de fréquenter l’école de la République. Selon l’Insee, près d’un tiers des Mahorais n’a jamais été scolarisé. Et 60% de la population en âge de travailler ne maîtrise pas les bases à l’écrit en langue française.

Les infrastructures essentielles font également défaut, à l’instar du raccordement aux systèmes d’assainissement, de très loin le plus faible de France. 60% des logements mahorais n’y sont pas encore connectés. Ce retard pourrait, à terme, menacer la santé fragile du lagon. Il reste encore beaucoup à faire pour que cette île respecte les directives environnementales européennes qui lui sont applicables.

Et puis, il y a cette exceptionnelle pression migratoire, avec les drames humains qu’elle provoque, et les difficultés sociales et économiques qu’elle suscite. La moitié des reconduites à la frontière, effectuée par la France, le sont depuis l’île de Mayotte. Mais celles-ci sont d’une grande inefficacité. Les migrants venus au péril de leur vie dans de frêles embarcations - les kwassa-kwassas - sont, pour partie, placés au centre de rétention administrative de l’île avant d’être renvoyés aux Comores. Mais beaucoup reviennent peu après, encourant les mêmes risques mortels, au grand bénéfice des passeurs.

Cette situation immorale, hypocrite et dangereuse, doit cesser. Cela ne peut passer que par une coopération efficace en matière policière et douanière entre la France et les Comores. Nous connaissons les raisons qui existent pour ces deux États de ne pas - ou peu - collaborer. Mais bien d’autres précédents montrent que l’on doit pouvoir, dans de tels cas, tout faire pour trouver une solution qui éviterait les naufrages mortels et une situation ingérable pour l’avenir de Mayotte. Il faut, en outre, tout faire pour répondre aux handicaps qui freinent le développement de Mayotte en donnant la priorité à la jeunesse, à la formation, à la construction d’établissements scolaires, au logement, aux infrastructures, et à la coopération régionale.

A l’heure où les discours xénophobes et les paroles d’exclusion prolifèrent, hélas, dans notre pays, le 101e département, dont la tradition matriarcale et la religion musulmane - telle que nombre des Mahorais la vivent - prônent le respect de valeurs telles que la solidarité, le pacifisme, la tolérance, peut permettre de lutter contre cette menace. Mais rien ne sera possible sans des actions énergiques pour le développement - beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire - et pour maîtriser les flux migratoires. Sinon, l’embolie est certaine. C’est une question de responsabilité. Il faut relever ce défi.

Jean-Pierre SUEUR Président de la commission des lois du Sénat, sénateur du Loiret et Thani Mohamed SOILIHI Sénateur de Mayotte