Mayotte : les villageois de Bouéni et Mzaouazia chassent les sans-papiers

La préfecture intervient ... pour mieux expulser
vendredi 8 mars 2013

Population étrangère chassée à Bouéni : la Préfecture réagit

par Anne Lafond
Malango actualité, 21 Février 2013

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C’est une agression de trop qui a poussé les habitants d’un petit village du sud-ouest de l’île à se faire justice eux-mêmes en chassant des « clandestins » et en sortant manu militari leurs enfants de leur groupe scolaire. L’Etat remet les pendules à l’heure, pour les dérégler plus tard…

« Un de nos enfants s’est fait agresser sur la plages par six autres. Les parents sont tous en situation irrégulière » s’exclame Mohamed Youssouf, le maire de Boueni. C’est à Mzouazia que les faits se sont produits la semaine dernière, ne faisant qu’amplifier le ras le bol des habitants face aux cambriolages à répétition. Ils ont décidé de se faire justice eux-mêmes, non pas envers les délinquants, mais contre une population qu’ils accusent de tous les maux : « nous faisons du porte à porte pour inciter les clandestins à partir ! » lance Said Hamidou, l’un de leurs porte-paroles. Point d’orgue de l’action : 57 enfants ont été sortis de force d’une école de la commune, des soupçons d’irrégularité de situation pesant sur leurs parents !

Les services de l’État ont bien sûr condamné vigoureusement les faits : «  il est inacceptable que des enfants aient été pris ainsi en otage parce que d’origine étrangère. C’est une ségrégation qui relève de la loi pénale ! » s’exclame Jean-Paul Frédéric, directeur de cabinet du préfet, qui rajoute que l’exaspération serait partie d’un cambriolage « classé sans suite par le parquet ». Les écoles, fermées de force depuis deux jours, seront donc rouvertes, et l’État va déployer des forces de l’ordre supplémentaires sur le village : « nous ne laisserons pas les communautés s’affronter. Les reconduites à la frontière sont une compétence de l’État ! ». Mais il annonce dans le même temps des actions ciblées « au cours desquelles les habitants vont nous indiquer où se trouve les gens qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire »… ce qui ressemble à s’y méprendre à la même ségrégation dénoncée plus haut…

Car on mélange ici délinquance et situation irrégulière. Si cette dernière est illégale pour l’Etat, le simple citoyen n’a pas à s’en mêler, sauf s’il a subi une agression de la personne désignée. De plus, s’il est indéniable que le poids humain et économique que la population en situation irrégulière fait peser sur Mayotte devient ingérable, aucune statistique ne prouve que la délinquance est commise par des personnes en situation irrégulière, ils ne représentent d’ailleurs que la moitié des détenus de la prison de Majicavo (50% d’étrangers, dont une bonne partie est constituée de ’’passeurs’’, ce qui ne veut pas dire en outre qu’ils sont tous en situation irrégulière). Jean-Paul Frédéric en convenait et compte se rendre sur place samedi après-midi pour se rendre compte des nuisances que la population fait remonter.

« Ce qui s’est passé est intolérable ! » s’exclamait François Coux, le vice recteur de Mayotte, « tout enfant est en situation régulière dans une école. Ceux qui ont été retirés, devront réintégrer un établissement scolaire quel qu’il soit ». Il glissait que le nombre d’enfants scolarisés dans cette école dont les parents sont en situation irrégulière « sont beaucoup plus nombreux que la moyenne de l’île ». L’inscription étant de la compétence du maire, et, toujours selon François Coux, les papiers nécessaires à l’inscription mentionnant tous une adresse, on peut penser que la plupart des familles sont hébergées, gracieusement ou contre loyer, par des familles mahoraises…

Mais ce sont ces mêmes familles qui assurent : « nous dormons dans la même pièce que nos enfants la nuit par peur des agressions », c’est Bourasalifa qui s’exprime en rajoutant qu’«  avant le village était calme alors qu’il y avait déjà des étrangers en situation irrégulière ». La population est exaspérée selon elle, alors que Said Hamidou compare le flux migratoire « à une maladie qui va faire mourir Mayotte ».

En tout cas, c’est une nouvelle fois la preuve de l’échec de la politique migratoire menée par l’État depuis des années, et bien la preuve qu’il faut des solutions courageuses, que tout le monde attend en mars d’un rapport de mission d’Alain Christnacht, alors que celui-ci nous avait avoué son impuissance : « tout le monde a intérêt à ce que ça ne marche pas » en parlant des différents acteurs en présence.

Des expulsions en nombre devraient donc avoir lieu à Mzazouia, «  après étude de chaque situation particulière » concluait Jean-Paul Frédéric.


Communiqué du RESFIM

Le Réseau d’Éducation Sans Frontière Île de Mayotte regrette les nombreux cambriolages qui ont eu lieu ces derniers jours dans la commune de Mzouazia et compatit avec les victimes de ces délits dont les auteurs devront être fermement condamnés par la justice. En attendant, les villageois doivent à tout prix éviter de faire justice eux-mêmes en stigmatisant une partie de la population et en les désignant de manière totalement arbitraire comme coupables. Il est d’autant plus grave de s’en prendre à de simples enfants qui ne peuvent en aucun cas faire les frais de réactions xénophobes punies par la loi.

Nous ne saurions accepter dans notre département que de très jeunes enfants scolarisés se fassent sortir manu militari de leurs salles de classe. Le Resfim, tout en condamnant fortement ce genre d’agissements, tient à rappeler que l’article L131-1 du Code de l’éducation fait état de l’obligation de scolarisation pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, âgés de 6 à 16 ans. Il ne semble pas judicieux de lutter contre les délits en se plaçant soi même en infraction. Il est important que chacun reprenne ses esprits, soutienne les forces de l’ordre et la justice dans ses enquêtes et ce afin d’interpeller les véritables responsables.

Si nous voulons que cessent les délits sur notre île, commençons par respecter nous mêmes les lois de notre république.

Le Réseau d’Éducation Sans Frontières Île de Mayotte.


Mésentente entre communauté : quand la population réinvente la loi

Par Anne Lafond
Malango actualité, dimanche 3 Mars 2013

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A chaque problème son CLSPD. Bouéni a eu le sien, pour contrer le phénomène d’exclusion de la population clandestine chassée par les habitants mahorais du village et qui se répand peu à peu sur l’île. Une tentative pour réinstaurer la loi.
Les services de l’État se sont penchés de nouveau sur la commune de Bouéni en y installant un CLSPD (Conseil local de Sécurité et de prévention de la délinquance), la fameuse boite à outil de l’État que les maires doivent s’approprier, sans grande conviction pour l’instant.

Celui qui a été activé vendredi soir devrait aider à réconcilier la population mahoraise avec « les autres », « les clandestins », ceux qu’ils dénoncent en sortant leurs enfants des écoles, qui viennent d’Anjouan, qu’ils emploient pourtant et logent souvent moyennant espèces excessivement sonnantes et trébuchantes. Les représentants de l’État et de la justice, respectivement Jean-Pierre Frédéric, directeur de cabinet du préfet et le procureur Philippe Faisandier, se sont retrouvés devant une population qui désire changer la loi pour se réapproprier la prérogative de l’expulsion… Sous prétexte de régler une délinquance le plus souvent perpétrée par des locaux.

La définition de « local » est en elle même difficile à définir tant les populations, toutes d’origine comorienne à Mayotte, sont mélangées, tel ce Mahorais qui voulait déposer plainte pour un vol et dont la femme est anjouanaise, en situation « irrégulière » à Mayotte.
« Déposez une plainte lorsqu’une case habitée par un étranger en situation irrégulière se trouve sur votre terrain » répète inlassablement Jean-Pierre Frédéric. « Ne donnez pas vos factures d’eau et d’électricité pour inscrire vos enfants à l’école » martelait encore Ibrahim Boinahery, président de l’association des maires lors de l’émission Kalaoidala sur Mayotte 1ère.

Les formules n’ont pas l’air de faire mouche dans cette histoire sans fin…


Communiqué de la LDH

A Mayotte, des enfants victimes des « voisins vigilants »
8 mars 2013