Rapport du sénateur Félix Desplan sur les départements d’outre-mer (21 novembre 2013)

jeudi 21 novembre 2013

Avis n° 162 (2013-2014) de M. Félix DESPLAN, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 novembre 2013 relatif aux départements d’outre-mer
présenté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014

EXTRAITS

Les spécificités de l’immigration illégale à Mayotte et en Guyane

Les spécificités géographiques de Mayotte et de la Guyane, en particulier leur forte proximité avec des pays au niveau de vie inférieur, y rendent la pression migratoire exceptionnellement élevée et la mise en œuvre de toute politique de contrôle de l’immigration plus difficile. Ainsi, la Guyane représente un territoire d’attractivité économique pour les populations des États du Brésil, du Suriname et du Guyana. Le produit intérieur brut par habitant est trois à quatre fois plus élevé en Guyane qu’au Suriname ou dans l’État frontalier brésilien de l’Amapa.

Cette particularité se traduit notamment, pour ces deux départements, par :

  • une proportion de ressortissants étrangers dans la population totale beaucoup plus forte qu’en métropole et dans les autres départements d’outre-mer.

En Guyane, elle atteint près de 30 % de la population soit entre 40 000 et 60 000 personnes dont 3500 à 5000 vivent en forêt et travaillent sur les sites d’orpaillage clandestin.

La situation particulière de Mayotte en matière d’immigration illégale a fait l’objet de nombreux développements dans le rapport consécutif à la mission de votre commission à laquelle a participé votre rapporteur pour avis en mars 20125(*). Cette île subit une forte pression migratoire en provenance principalement de l’Union des Comores, plus particulièrement de l’île d’Anjouan, et également depuis Madagascar, via les Comores. L’estimation du nombre d’immigrés clandestins à Mayotte est rendue difficile en raison de son insularité, qui ne facilite pas la surveillance des frontières. La population immigrée clandestine est estimée entre 50 000 et 60 000 personnes, soit environ un tiers de la population officielle mahoraise.

  • des éloignements d’étrangers en situation irrégulière en nombre plus important.

Mayotte et la Guyane totalisent à elles-seules près de 95 % du total des reconduites. De surcroît, en 2012, les nationalités comorienne, brésilienne et surinamais, qui sont frontalières avec ces deux départements, ont représenté plus de 88 % du volume des éloignements en outre-mer.

En Guyane, le taux d’exécution des arrêtés de reconduite à la frontière y est élevé et supérieur à 97 % pour les nationalités brésilienne et surinamaise. Le nombre d’éloignements en Guyane est en légère hausse en 2012 (9 741 contre 9 410 en 2011).

À Mayotte, le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une reconduite à la frontière demeure important malgré une diminution constante. En 2012, la baisse a été de 20,6 % contre 19,85 % en 2011. Le nombre total de personnes reconduites s’élève à 16 707 dont 3 706 mineurs contre 21 763 personnes et 5 389 mineurs en 2011. S’agissant de la lutte contre l’immigration clandestine par voie maritime, 412 embarcations de type « kwassa kwassa » ont été interceptées en 2012 à Mayotte, contre 449 en 2011, soit une baisse de 8,24 %, représentant 10 134 migrants interpellés, soit une baisse de 10,14 % par rapport à 2011. Pour mémoire, 100 embarcations avaient été interceptées en 2006, 179 en 2007, 256 en 2008, 290 en 2009, 341 en 2010 et 449 en 2011.

Reconduites à la frontière en Guyane

Nationalité 2011 2012 Évolution 2012 2013 [1] Évolution
Total 9 410 9 757 3,69% 6 416 4 416 - 31,2%
Brésilienne 5 137 5 211 - 3 409 2 065 -
Surinamienne 3 561 3 070 - 1 981 1 536 -
Guyanienne 341 764 - 511 421 -
Haïtienne 135 391 - 293 201 -
Chinoise 79 136 - 82 107 -

Source : Ministère des outre-mer

Reconduites à la frontière à Mayotte

Nationalité 2011 2012 Évolution 2012 2013 [2] Évolution
Total 16 374 13 001 -20,60 % 7 514 6 502 -13,5 %
Comorienne 16 094 12 818 -  7 404 6 461 -
Malgache 280 181 - 108 41 -
Camerounaise - 1 - 1 - -
Tanzanienne - 1 - 1 - -

Source : Ministère des outre-mer

LE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION ILLÉGALE

Afin d’endiguer l’immigration clandestine, a été mise en place une politique active de reconduite à la frontière qui s’est concrétisée par un renforcement des moyens humains, matériels et opérationnels.

Toutefois, votre rapporteur pour avis estime que toute politique de lutte contre l’immigration illégale, consistant à renforcer les moyens de répression, doit être couplée à une politique de coopération régionale. Plusieurs projets sont actuellement mis en œuvre, notamment en Guyane et à Mayotte, et qui représentent une avancée bienvenue.

1. Le renforcement des moyens humains, matériels et opérationnels

Dans les départements d’outre-mer, les effectifs de la police aux frontières ont été significativement renforcés, principalement en Guyane et à Mayotte.

Ainsi, en Guyane, ils ont augmenté de près de 46 % entre 2004 et 2010 et à Mayotte, au cours de la même période, de 337 %.
Par ailleurs, entre 2006 et 2009, la police aux frontières a fait évoluer ses structures : par exemple, une nouvelle antenne a été créée en Guyane, à Saint-Georges de l’Oyapock, dans le cadre de l’achèvement de la construction du pont frontière entre le Brésil et la France.

À Mayotte, différents moyens opérationnels ont été mis en œuvre afin de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière. La surveillance des eaux territoriales est actuellement assurée par quatre radars fixes assurant la couverture d’une grande partie du territoire. Toutefois, un cône d’ombre subsiste dans le sud de l’île (Petite terre à l’Est, M T’Sahara au Nord, Accoua à l’Ouest et Choungui au Sud).
La surveillance des eaux mahoraises est également assurée par deux vedettes de la gendarmerie nationale, une de la gendarmerie maritime, une de la marine nationale, une des douanes, deux vedettes de la police aux frontières. Un hélicoptère de la gendarmerie nationale, un groupe d’intervention régional (GIR) au niveau de la gendarmerie et une brigade mobile de recherche (BMR) au sein de la police aux frontières complètent utilement le dispositif.

Outre la lutte contre l’immigration illégale, l’accent est également mis, en Guyane, sur la répression des réseaux de trafiquants, en raison, à la frontière brésilienne, de la convergence entre orpaillage clandestin et immigration irrégulière.
Au premier semestre 2013, la direction départementale de la police aux frontières de Guyane a initié onze opérations « Harpie » de lutte contre l’immigration irrégulière liée à l’orpaillage illégal. Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, ces opérations ont permis la garde à vue de 53 immigrés clandestins, dont quatre sont écroués, 54 reconduites à la frontière, la saisie de 1 124,70 grammes d’or et 550 grammes de mercure, et la destruction de 5 700 litres de carburant, de 38 moteurs, de 53 carbets, de 12 armes à feu et de 4,5 tonnes de marchandises.

2. Le nécessaire renforcement de la coopération régionale

L’immigration clandestine en direction des départements d’outre-mer étant essentiellement d’origine régionale, les principales actions de coopération régionale sont organisées en matière de formation, d’audits et d’échanges de bonnes pratiques. Ces différentes actions complètent les accords de réadmission déjà existants ou facilitent, dans certains cas, leur signature. Les officiers de liaisons en poste dans les pays d’où est originaire l’immigration illégale jouent à cet égard un rôle déterminant.

Ainsi, parmi les actions menées, on retiendra :

  • les actions de formation pour lutter contre la fraude documentaire au profit des services d’émigration et des personnels des compagnies aériennes (avec la République Dominicaine et Haïti notamment) ;
  • les actions de formation pour lutter contre les filières (avec le Guyana) ;
  • les audits de gestion des frontières terrestres, maritimes et aériennes (avec Haïti) ;
  • et les échanges de bonnes pratiques (avec le Brésil).

Selon les informations fournies par le Gouvernement, plusieurs actions de coopération sont actuellement menées en Guyane avec ses voisins.
Une commission mixte transfrontière réunit chaque année la France et le Brésil et de nombreux accords ont été signés entre les deux pays. La France et le Brésil ont ainsi conclu, le 15 juillet 2005, un accord relatif à la construction d’un pont routier sur le fleuve Oyapock, reliant la Guyane française et l’État de l’Amapa (Brésil). Suite à cet accord, a été créé un centre de coopération policière (CCP) installé en territoire français, ayant pour mission l’échange d’informations en appui aux services territoriaux, à l’exclusion de toute coopération opérationnelle. Ce CCP a ouvert le 1er août 2010. La France, qui a mis à disposition des locaux, le matériel et des effectifs, y est représentée par un fonctionnaire de la police aux frontières. Un représentant brésilien a intégré cette structure en juillet 2013 ; deux fonctionnaires brésiliens sont déjà en poste à Saint-Georges et à Cayenne.
Par ailleurs, un séminaire sur l’immigration illégale dans le plateau des Guyanes a été organisé en octobre 2011, réunissant la France, le Surinam, le Guyana et le Brésil, afin de mettre en place une approche coordonnée de cette problématique. Lors du séminaire régional sur la criminalité transfrontalière et l’entraide pénale internationale, qui s’est tenu à Paramaribo, du 19 au 21 juin 2013, regroupant des représentants du Suriname, du Brésil, du Guyana et de la France, il a été proposé au Guyana des formations dispensées par la police aux frontières dans les domaines de la fraude documentaire et de la sûreté aéroportuaire. A également été évoquée la problématique d’éloignement des ressortissants guyaniens en situation irrégulière sur le territoire national, notamment pour les personnes troublant l’ordre public.
Enfin, un groupe de travail franco-brésilien de concertation sur les questions migratoires a été mis en place en 2010. Sa cinquième réunion s’est tenue à Paris le 29 janvier 2013. Les travaux des deux délégations portent essentiellement sur la circulation des personnes entre le Brésil et la Guyane, avec la création d’un régime spécial pour les frontaliers, et les points de passage frontaliers.

Les commissions mixtes transfrontalières sont plus récentes avec le Suriname et le Guyana. Toutefois, la nécessité d’un mécanisme d’échanges bilatéral tendant au règlement des problématiques préoccupant ces pays (notamment en matière de santé, d’éducation, de sécurité...) a abouti à la tenue de la première commission mixte franco-surinamienne le 24 novembre 2009 à Paramaribo et à la première commission mixte France-Guyana le 10 mai 2010.
En outre, à la suite de la signature en juin 2006 d’un accord relatif à la coopération transfrontalière en matière policière - cet accord n’ayant toujours pas été ratifié par le Suriname - des patrouilles mixtes sont organisées depuis 2007 sur le fleuve Maroni afin de renforcer la lutte contre les flux clandestins vers la Guyane. La commission mixte France-Suriname a, entre autres, permis la création d’un conseil du fleuve chargé de définir les moyens visant à faciliter les échanges aux abords du Maroni et l’amélioration de l’organisation des patrouilles militaires fluviales conjointes. Ce conseil participe à l’amélioration des relations bilatérales portant notamment sur la coopération opérationnelle, avec l’organisation de patrouilles fluviales entre les services de la police aux frontières et la police militaire du Suriname.
Il n’existe pas d’accord bilatéral de coopération en matière de sécurité intérieure avec le Guyana. La police aux frontières de Guyane entretient des relations ponctuelles de coopération policière bilatérale avec ce pays, se traduisant principalement par des visites réciproques de délégations. L’ambassade de France à Paramaribo a reçu en juin 2011 un accord de principe pour l’affectation d’un officier de liaison guyanien à Cayenne au sein de la « maison de la coopération policière » France-Guyana-Suriname. Ce projet n’a cependant toujours pas abouti.

Bien qu’il n’existe aucun accord de coopération en matière de sécurité intérieure avec Haïti, la police aux frontières entretient des relations régulières de coopération avec les services haïtiens, notamment la direction de l’immigration et de l’émigration. Un « expert technique international », chef de projet et d’appui aux autorités haïtiennes en matière de contrôle des frontières, a pris ses fonctions en Haïti en novembre 2012, avec pour principale mission d’engager des actions de formation dans le domaine de la police aux frontières. A l’issue de sa mission (novembre 2013), ce poste devrait être transformé en poste d’officier de liaison immigration avec une compétence à la fois sur Haïti et la République Dominicaine, afin de renforcer la lutte contre les flux en provenance ou transitant par cette île. Enfin, la police aux frontières a proposé son assistance pour la création d’un centre de coopération policière et douanière à la frontière entre ces deux pays.

A Mayotte, afin de faciliter la circulation des personnes entre les Comores et Mayotte, l’antenne consulaire située sur l’île d’Anjouan a ré- ouvert en décembre 2008. Il n’existe pas, en revanche, d’accord bilatéral de coopération en matière de sécurité intérieure. Toutefois, un groupe de travail de haut niveau (GTHN) franco-comorien a été créé en 2007 afin de dégager des pistes d’amélioration de la circulation des personnes et des biens dans cet archipel et lutter plus efficacement contre les flux clandestins. En juin 2012, une mission d’audit de la BRIMAD (Brigade mixte anti-drogue) de la police comorienne a été menée par un expert de la police aux frontières de Mayotte.
L’État a engagé des négociations avec les Comores pour un accord global sur la normalisation des relations et l’intensification des échanges entre les îles de l’archipel. Le 21 juin 2013 à Paris, les chefs d’État français et comorien ont signé la déclaration de Paris sur l’amitié et la coopération ainsi qu’un Document Cadre de Partenariat qui comporte des stipulations sur la sécurité et la défense, mettant l’accent sur la coopération dans le domaine de la sécurité intérieure, la lutte contre le trafic des êtres humains et l’immigration illégale.

Enfin, conformément aux préconisations du rapport de nos collègues MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et votre rapporteur pour avis, la coopération régionale en faveur des Comores est orientée sur des projets de développement locaux.


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[2janvier à juillet


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