De Maalouf à Mayotte : le français accentué

Article de Michel Launey, Libération, 13 juillet 2011
mercredi 13 juillet 2011

Article publié par Libération, le 13 juillet 2011

Par MICHEL LAUNEY
Professeur de linguistique université Paris-VII, directeur de recherches, IRD-Guyane

Vendredi 1er juillet 2011. Amin Maalouf, récemment élu à l’Académie française, est l’invité de France Culture. Ses propos sont d’une haute tenue. Deux détails : il est binational, et il parle avec un accent assez prononcé. Comme, avant lui, Léopold Sédar Senghor. L’Académie sait accueillir comme l’un des siens quelqu’un qui vient de loin et qui s’exprime selon une phonétique non standard.

Cinq semaines plus tôt, le vice-recteur de Mayotte, sur une radio locale, émettait l’avis que les élèves mahorais devraient pouvoir « s’exprimer couramment, sans accent, devant les gens qui vont leur donner un travail et devant l’ensemble de la société ». Thème repris par son chef de cabinet : « Quand on passe un concours, ça peut être nuisible » (cités sur Mediapart le 9 juin). [1]

Il y a donc en France deux points de vue sur les accents : l’un éclairé et ouvert, l’autre méprisant et discriminatoire. Le vice-recteur n’adopte pas clairement le second, mais il le relaie, en invitant les Mahorais à accepter les préjugés dont ils peuvent être la cible. Dans son esprit, ce n’est pas aux tenants de tels préjugés d’y renoncer, ni à l’autorité de les amener à y renoncer, mais à leurs victimes de ne pas y donner prise.

On attendrait plutôt de l’école de la République qu’elle lutte contre ces attitudes. Elle pourrait sensibiliser les élèves à la diversité interne de la langue française et légitimer ainsi les accents ultramarins, comme ceux des provinces hexagonales ou d’autres pays francophones. Elle pourrait surtout tenir compte de ce qu’en Outre-mer beaucoup d’enfants français ne parlent pas français en arrivant à l’école, et développer à leur intention des formes d’enseignement qui, au lieu d’exclure la langue maternelle, première expérience qu’un être humain fait du langage, s’appuient sur elle pour faciliter l’accès au français, et les aider à se construire comme bilingues. Essentielle dans les petites classes, une telle approche, pédagogiquement réfléchie et non purement symbolique, existe un peu partout dans le monde, et même, dans le cadre français, dans les territoires océaniens ou en Guyane. Mais à Mayotte, elle se heurte à un blocage institutionnel absurde.

On attendrait aussi de la République qu’elle envoie dans des endroits sensibles des représentants plus respectueux et plus instruits de ce que sont leurs habitants. Comment les Mahorais pourraient-ils ne pas se sentir blessés, quand, après leur vote pour la France et le statut départemental, une autorité qualifiée leur signifie qu’ils ne sont pas les bienvenus ? Quand, disons, Charles Pasqua peut parler avec un fort accent, mais que l’accent mahorais, « devant l’ensemble de la société » et non en son sein, n’est pas un accent régional légitime, bref, que l’identité mahoraise ne sera pas reconnue comme composante de la nation ? Sur quelle base repose cette discrimination entre des accents autorisés et des accents stigmatisés ? On n’ose trop formuler la réponse. Et on voudrait leur faire regretter leur choix qu’on ne s’y prendrait pas mieux.



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