La lettre n°37 de MOM, 25 octobre 2016

dimanche 23 octobre 2016

I. Guyane : accueil des migrants fermé ou dégradé

A. Fermeture de l’accueil des demandeurs d’asile pendant plusieurs mois

Le gouvernement avait été alerté notamment par une question écrite du sénateur Karam (22 octobre 2015) puis par la Cimade (27 janvier 2016) : une augmentation importante des demandes d’asile en Guyane constatée depuis 2015 exigeait un important renforcement de toutes les structures d’accueil.
Pourquoi ? Il s’agit notamment de Haïtiens menacés par une situation politique chaotique (communiqué « Crise politique et tensions : les expulsions vers Haïti doivent cesser », 17 février 2016 - GARR, La Cimade, Collectif Haïti de France, Gisti, LDH, Assoka, Union des Femmes de la Martinique).

Malgré ces alertes, le gouvernement et la préfecture n’avaient rien fait pour améliorer le dispositif d’accueil... Il était plus simple de tarir la demande d’asile en la rendant impossible :

Ensemble, la CFDA et MOM, on dénoncé une « violation manifeste du droit d’asile » (Guyane : violation manifeste du droit d’asile, communiqué du 17 septembre).
Extrait : « Les ressortissants haïtiens, qui fuient la crise que ce pays traverse depuis de nombreuses années, sont les premières victimes. Ces dernières semaines, la préfecture de Guyane a fait procéder à près de cent interpellations ciblant des ressortissants haïtiens, en vue d’organiser leur expulsion. Ceux qui avaient trouvé porte close au service chargé d’enregistrer les demandes d‘asile, ont donc été contraints de déposer leur demande depuis le centre de rétention dans des conditions bien plus défavorables.
Dans le même temps, les conditions d’entrée de ces mêmes ressortissants au Suriname, point d’entrée majeur de la Guyane, viennent d’être renforcées par l’instauration d’un visa spécifiquement à l’encontre de cette nationalité. »

B. Dégradation globale de l’accueil des migrants :asile, santé, école

« Plus globalement, c’est tout le système d’accueil des demandeurs d’asile qui se dégrade en Guyane en raison de la carence des financements de l’État. Ainsi, début septembre deux structures essentielles pour les droits sociaux des primo-arrivants ont dû fermer leurs portes ou restreindre leur activité : d’abord le CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés) ; puis le centre de prévention santé de la Croix-Rouge à Cayenne qui permettait à tous de se faire vacciner et dépister facilement. Ces événements surviennent dans un contexte où la situation sanitaire guyanaise est déjà très critique, avec des structures de soins de première ligne qui sont saturées, n’arrivant pas à répondre aux besoins. » (suite du communiqué précédant).

Le RESF de la Guyane suit de près ces questions ce que traduisent deux communiqués d’octobre 2016 :

II. Mayotte : de la grève générale aux « décasages »

En 2016, la bombe à retardement que fut la décolonisation partielle et la fracture de l’archipel des Comores a produit, à Mayotte, deux vagues de violence.

A. Grève générale pour l’égalité réelle

C’est d’abord la violence d’une société mahoraise - notamment de sa jeunesse - disloquée par une départementalisation précipitée et porteuse d’espoirs déçus. Elle s’est exprimée pendant plusieurs mois par une grève générale « pour l’égalité réelle ».

Plusieurs éclairages peuvent aider à comprendre les motifs de ce mouvement et les perspectives. Pour sa part, Mom a publié un communiqué le 22 mai :

B. Décasages

Quel meilleur bouc émissaire que l’« invasion » supposée de Mayotte par les voisins et cousins comoriens devenus étrangers depuis qu’une frontière française divise l’archipel. Progressivement, depuis le début de 2016, la « comoro-phobie » s’est amplifiée : blocages de l’accès à l’école des enfants comoriens et « décasages » - ratonnades organisées par des comités de villageois couverts par la passivité des institutions :

C’est toujours le même rituel : les comités d’habitants préviennent deux semaines à l’avance par des lettres et tracts annonçant des expulsions le 5 juin. Appel aux personnes qui hébergent ou offrent des terrains aux "clandestins" à se charger eux-mêmes d’expulser leurs hôtes ou locataires avec menace de dénonciation et à une manifestation 15 jours plus tard : ces "clandestins" sont tous les "Comoriens" souvent en situation régulière ou de nationalité française.

Puis, au jour fixé, cassent et brûlent les maisons à leur guise sans que les « forces de l’ordre » interviennent. De nombreux « décasés » sont sans abri aux portes des villages - proies faciles pour les contrôles et l’expulsion immédiate de ceux d’entre eux qui étaient sans-papiers.

Commentaires :

  • Pour les ministres de l’intérieur et des outre-mers (communiqué du 17 mai),, il s’agit de renforcer encore la chasse aux étrangers : « L’action déterminée des forces de sécurité intérieure, qui s’est notamment traduite dans la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte par l’éloignement de 18 763 personnes en 2015 et de 6 587 personnes depuis le 1er janvier 2016, sera encore rehaussée par l’arrivée de 76 policiers et gendarmes cette année. Ces nouveaux effectifs s’ajouteront aux 59 postes d’ores et déjà créés en 2015 ».
    Ils ajoutent « Sous l’autorité du préfet, 221 gendarmes et 499 policiers, renforcés par 102 gendarmes mobiles, soit 822 policiers et gendarmes au total, sont mobilisés pour rétablir l’ordre républicain, mettre fin à ces exactions inadmissibles et protéger l’ensemble de la population de Mayotte »... sans préciser que ces forces ne s’étaient jamais opposées aux décasages.

C. Un campement de « décasés » à Mamoudzou

Parmi les nombreuses personnes délogées, quelques centaines se sont réunies à Mamoudzou. Un véritable camp s’est improvisé dans des conditions sanitaires déplorables. Pour faire cesser cette situation, la Cimade, le Gisti, le Secours Catholique, Médecins du Monde et la Ligue des droits de l’Homme ont déposé un référé-liberté rejeté car, in extremis, la préfecture annonçait un relogement provisoire.

D. Après le Ramadan

Le mois de Ramadan a créé, depuis le 6 juin, une accalmie.
Pourtant, un mois après, rien n’avait changé ... sauf pour les nombreux « décasés » sans-papiers qui ont été expulsés (ou vivent cachés sur place).

La Cimade témoigne des conditions de vie déplorables dans du gîte "Bengali" où, en juin, ont été relogés les « décasés » en situation régulière ou Français :
convention occulte entre la préfecture et la Croix rouge, entrée interdite aux associations,refus d’attestation d’hébergement rendant problématique toute démarche administrative (renouvellement de titre de séjour, inscription scolaire).
De nombreux enfants ne vont pas à l’école en raison de la distance des collèges et de la déficience des transports.

Depuis la rentrée scolaire au mois d’août les blocages de l’entrée des écoles et les dissuasions accroissent la déscolarisation de tous les non mahorais.

III. Vers plus d’égalité réelle en outre-mer : pour tous ???

A. Pour l’« égalité réelle » en outre-mer

1. Projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer
... et portant autres dispositions en matière sociale et économique (projet présenté le 3 août 2016)

2. Protection de l’enfance à Mayotte : une convention entre le CD976 et l’État (30 septembre 2016)
Le Défenseur des droits s’en félicite mais reste vigilant (communiqué du 4 octobre)

B. Mais pas pour tous, notamment à Mayotte

1. Amendements pour moins de droit encore pour les étrangers à Mayotte

Plusieurs combats d’arrière garde ont été menés, notamment par des parlementaires mahorais, pour que certaines dispositions de la loi du 7 mars 2016 ne s’appliquent pas à Mayotte ou soient retardées.
Ainsi, le 11 octobre, l’Assemblée nationale adoptait un amendement au projet de loi relative à l’égalité réelle en outre-mer qui maintiendrait, à Mayotte seulement, le délai de rétention administrative sans contrôle du JLD à 5 jours (alors qu’il sera de 2 jours à partir du 1er novembre).

2. L’éloignement d’un enfant isolé cautionné par la justice

« À Mayotte, un enfant de cinq ans seul face à son juge : ou est le problème ? » (communiqué de l’Anafé et du Gisti, 11 avril)
Le Conseil d’État venait en effet de rejeter « au tri » une requête introduite en appel par l’avocate, au nom de l’enfant et avec une intervention volontaire des deux associations (CE, 13 avril 2016, n° 398612). Auparavant un référé-liberté avait été rejeté par le tribunal administratif à la suite d’une audience audiovisuelle surréaliste, cet enfant étant interrogé seul face à un écran. Plutôt que d’envisager un accompagnement de cet enfant isolé, les juges ont cautionné son embarquement sur un « kwassa », seul et, selon la coutume de la préfecture de Mayotte, artificiellement rattaché à l’OQTF d’une personne n’ayant aucune autorité parentale à son égard.
Dossier complet

IV. Publications

A. Documentation

  • Interpellation, régularisation : le guide des bons réflexes
    Une plaquette réalisée par La Cimade et adaptée au régime d’exception outre-mer, qui regroupe les informations utiles en cas d’interpellation et les premiers conseils sur les démarches de régularisation en Guyane, Guadeloupe et à Mayotte - Téléchargeable en plusieurs langues.

B. Roman et analyses

  • Nathacha Appanah, Tropique de la violence, coll. Blanche, Gallimard, août 2016
  • Idriss Mohamed Chanfi et Marie Duflo, « La diplomatie par les jeux à Mayotte »,
    Plein droit n°108