La situation des Haïtien-ne-s en Outre-mer racontée par des Haïtien-ne-s ultramarin-e-s

jeudi 14 novembre 2013

En novembre 2012, le Collectif Haïti de France organisait les 4° rencontres nationales de la solidarité avec Haïti à Paris. A cette occasion, il avait convié deux jeunes Haïtiens, l’une vivant en Guadeloupe, l’autre vivant en Guyane, afin d’évoquer la situation de leurs congénères sur ces deux territoires.

Les Actes des 4° rencontres nationales de la solidarité avec Haïti ont été publiés un an plus tard.

En Guadeloupe

  • Marie-Speranta SAINT- VICTOR est étudiante en droit et en sciences politiques, secrétaire de l’association de coordination Tèt-Kole en Guadeloupe. Elle milite pour une intégration des émigrés haïtiens dans la société guadeloupéenne et pour leur insertion sociale grâce aux échanges culturels. A cet effet, l’association : tient des permanences ; organise des manifestions de revendications et propose des temps forts à caractère socioculturel aux acteurs guadeloupéens et aux Haïtiens.

La Guadeloupe est une île de la Caraïbe. Elle est formée de deux îles principales, Basse-Terre et Grande-Terre, séparées par un bras de mer, la Rivière Salée, et de plusieurs petites îles.
Malgré son nom, la Basse Terre est la plus élevée (volcan de la Soufrière, 1467 m) ; Grande-Terre est un plateau qui dépasse à peine 100m. Plusieurs îles complètent l’archipel : La Désirade, Marie-Galante, les Saintes et Petite-Terre.

La Guadeloupe compte 11 500 Haïtiens en situation régulière selon les statistiques de L’INSEE. On y retrouve 4 000 à 5 000 en situation irrégulière selon les chiffres du consulat haïtien en Guadeloupe.

Comme pour le cas de la Guyane, l’arrivée des migrants haïtiens dans le département de la Guadeloupe est liée à l’activité économique d’un exploitant français, anciennement installé en Haïti dans la région de Léogane, qui choisit de venir en Guadeloupe pour monter une nouvelle exploitation agricole. Il recruta alors des travailleurs de la région haïtienne d’où il venait.

Tout comme en Guyane, les Haïtiens en Guadeloupe travaillent majoritairement dans le milieu agricole. Mais on en recense également parmi la main d’œuvre attachée à la construction. Les femmes se retrouvent généralement à tirer un revenu de petits commerces. En Guadeloupe, les attitudes et les discours stigmatisants voire xénophobes, font partie du quotidien des migrants haïtiens.
« Venir d’Haïti est porteur d’un capital symbolique négatif qui augmente la stigmatisation » précise l’anthropologue Maud Laëthier. Et comme les Haïtiens de Guyane, ceux de Guadeloupe rencontrent de très importantes difficultés administratives.

La Coordination Tet-Kole en Guadeloupe, première association d’Haïtiens créée en Guadeloupe, est une association qui a vu le jour le 13 octobre 1991, et qui a été fondée par des Haïtiens : M. Théodore, M. Astrel notamment ainsi que par des Guadeloupéens comme le père Céleste et Mme Dany qui souhaitaient s’impliquer dans une action pour le respect de la dignité des Haïtiens.
L’association Tèt Kole est affiliée à d’autres organisations comme Saint-Vincent-de-Paul et Secours Catholique. Cette association est organisée de façon satellitaire : autour de cinq cellules à Prise-d’eau, Capesterre, Petit-Canal, Pointe-à-Pitre et Morne-à-l’Eau.

L’association vise à aider les ressortissants haïtiens à s’intégrer dans la société guadeloupéenne, tout en valorisant leurs compétences, leurs qualités, en leur faisant connaître leurs droits et devoirs et en mettant en valeur leur culture.
Les cellules travaillent auprès de différentes catégories de bénéficiaires : des Haïtiens en situation régulière, des Haïtiens en situation irrégulière et des étudiants en situation irrégulière.

En ce qui concerne les migrants en situation irrégulière, la majorité d’entre eux sont analphabètes. Ils ne savent ni parler ni lire ni écrire le français, ce qui complique grandement leur situation. Ils ont peur de se présenter dans un bureau pour demander de l’aide, car la xénophobie anti-haïtienne est très forte en Guadeloupe, parfois aussi ils ne savent pas où aller, à quelle structure s’adresser.
Il est à noter que ces personnes vivent des situations dramatiques : certaines par exemple sont arrêtées sur le chemin du travail et sont renvoyées directement en Haïti (recours non suspensif). Pour se présenter à la préfecture, les gens sont obligés de passer la nuit devant, parfois même sous la pluie, sans toutefois avoir la certitude de pouvoir atteindre le guichet.

En Guyane

  • Milot OXYGENE est enseignant, doctorant en gestion de la santé publique, il représente le KAM (Kollectif Aji pou Moun) de Guyane où il milite pour les droits humains. Il voudrait que les populations vulnérables, notamment les Haïtiens, puissent bénéficier des droits de base. Pour cela, les membres de son association organisent des manifestations de soutien, des tournées dans les quartiers populaires et tiennent des permanences pour accompagner les personnes en difficultés.

L’origine de l’immigration haïtienne en Guyane française remonte aux années 1963-1965 [PIANTONI, 2009], où une cinquantaine d’immigrés s’établissent. Venus principalement des sections communales des villes d’Aquin, de Miragoâne, dans le sud d’Haïti, les Haïtiens deviennent en deux décennies une main-d’œuvre essentielle pour la construction du centre spatial guyanais (1965-1970) puis aux grands travaux d’infrastructures initiés par la décentralisation (1985-1995). Il s’agit d’une filière migratoire principalement clandestine [GORGEON, 1987]. Les immigrés arrivent en avion par le Surinam, puis traversent le fleuve Maroni illégalement pour se rendre à Kourou et à Cayenne.

epuis le séisme de 2010, une nouvelle filière clandestine s’est créée via le Brésil. Certains migrants arrivent légalement par avion en Guyane depuis Haïti avec un statut de touriste puis « se fondent dans la nature » au bout de trois mois. La grande majorité des candidats au départ sont des ruraux, pas forcément les plus démunis car ils possèdent des biens [CALMONT, 1993]. En effet, pour payer leur voyage, les paysans peuvent vendre ou hypothéquer leurs biens. L’immigration haïtienne se développe rapidement en Guyane grâce au regroupement familial. Le flux augmente et se diversifie dans les années 1980-1990 pour atteindre les chiffres de 14 143 personnes en 1999 et 20 471 en 2008 selon l’INSEE.
Un phénomène de rejet

Les immigrés haïtiens issus de la paysannerie (région d’Aquin dans le sud d’Haïti) s’installent dans des bidonvilles à la périphérie de Cayenne (Eau-Lisette, Cité-Bonhomme, Les Manguiers…). Ils sont majoritairement analphabètes ou illettrés et travaillent dans l’agriculture, la maçonnerie ou comme jardiniers ou femmes de ménage... Des conditions précaires propices à l’exclusion. Cette situation favorise également le rejet par la population d’accueil. Les Haïtiens sont accusés de tous les maux du département : « ils nous envahissent avec leurs maladies », « ils viennent nous voler notre travail ». Il s’agit d’une véritable stigmatisation d’un groupe socioculturel.

La Guyane, durant la décennie 1980-1990, a connu successivement plusieurs crises économiques touchant tous les secteurs d’activité. La plupart des Haïtiens qui travaillaient dans les bâtiments ou travaux publics comme manœuvres, se sont vite retrouvés au chômage. Les contrôles administratifs augmentent et les emplois de domestique, de jardinier ou d’homme à tout faire, qu’ils occupent chez les particuliers, se raréfient. Assujettis aux bonnes dispositions de leurs employeurs, les conditions de vie de ses « jobeurs », deviennent de plus en plus précaires. Un grand nombre d’entre eux, touchent les allocations familiales et le R.M.I ;une situation qui contribue à stigmatiser davantage cette population, la rendant responsable des déficits publics. Ce phénomène de rejet se ressent beaucoup moins aujourd’hui avec l’intégration sociale et professionnelle des Haïtiens. Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont chefs d’entreprise et participent activement à la vie économique du pays. D’autres générations d’Haïtiens intègrent la société guyanaise qui se retrouve en pleine mutation.
Ceci étant dit, il perdure d’importants obstacles, en Guyane, à l’épanouissement des migrants haïtiens. Le plus important est lié aux problématiques de droit au séjour.

Problématiques liées au territoire

La Guyane, comme tous les départements français d’outre-mer, fait l’objet, en matière de droits des étrangers, d’un régime dérogatoire. Ainsi, ils ne disposent pas d’un droit au recours suspensif et les procédures d’interpellation et d’expulsion sont facilitées.
Les Haïtiens, de part les conditions matérielles et les conditions de leur départ, subissent une exclusion sociale et administrative et font l’objet d’une maltraitance importante.

Problématiques de reconnaissance sur le territoire

Depuis 2010, la police aux frontières de St Georges de l’Oyapock ne délivre plus de laisser passer provisoire qui permettait aux demandeurs d’asile de se rendre à la préfecture de Cayenne pour y remplir une demande. Empêchés par les contrôles routier de la PAF, les demandeurs sont obligés d’emprunter les voies maritimes pour se rendre à Cayenne. Ces dispositions policières ont pour effet d’entraîner les nouveaux arrivants vers des filières clandestines, dangereuses et onéreuses de passeurs.

Hormis l’arrêt des expulsions vers Haïti à la suite du séisme de 2010, aucune mesure de facilité d’obtention d’une régularisation n’a été mise en place. A peine quelques dizaines de familles haïtiennes ont pu obtenir une protection temporaire du fait de l’action des associations de défense des droits humains en Guyane et Guadeloupe. Pire, les refoulements d’Haïtiens arrivés aux frontières des départements d’outre-mer et de métropole se sont poursuivis et d’énormes difficultés ont été recensées pour permettre le regroupement familial dans cette période dramatique.

Les autorités françaises ont pris la décision de reprendre les reconduites d’Haïtiens. Plusieurs cas ont été recensés sur le territoire français. En Guyane, on s’attend à un retour prochain des mesures d’éloignement.

Problématiques d’obtention d’un titre de séjour

Le cadre des régularisations et des délivrances de titre de séjour des Haïtiens adultes fait très souvent références à des mesures exceptionnelles. En dehors des titres « parent d’enfant français », « double droit du sol », « étudiant »,…. l’ensemble des mesures invoquées issues du CESEDA sont livrées à l’appréciation du Préfet.
Les cas les plus difficiles de régularisation sont observés pour les célibataires sans enfant et sans famille, contraints de faire valoir leur ancienneté sur le territoire (au moins 10 ans) et de démontrer des preuves flagrantes d’« intégration » dans la société française

La délivrance systématique d’OQTF (obligation de quitter le territoire français) et IRTF (interdiction de retour sur le territoire français, complexifie grandement les démarches de demande de titre de séjour. Chaque arrêté portant les mentions OQTF et IRTF entraîne une démarche de contestation et de recours auprès du tribunal administratif. Sans l’annulation de la délivrance du refus de la préfecture, aucune démarche de régularisation ne peut aboutir favorablement. Les délais de réponse de délivrance d’un titre sont de fait allongés. La délivrance systématique d’OQTF et IRTF participe à la dissuasion de régularisation mis en place par l’administration.
Dans de très nombreux cas, à la suite d’une demande de régularisation, la préfecture convoque le demandeur par courrier, en vu de délivrer un refus de délivrance de titre de séjour assorti d’OQTF et d’IRTF.

Problématiques d’aide et d’orientation des ressortissants

En Guyane, plusieurs structures d’accompagnement et d’information des demandeurs de carte de séjour et demandeurs d’asile sont présentes sur le territoire.
Ces structures ne sont pas réparties de manière homogène sur le territoire et sont fortement concentrées sur l’île de Cayenne. L’aide à la régularisation d’une situation administrative est difficile dans les communes éloignées des grands centres urbains, alors que des populations importantes de ressortissants haïtiens y résident.

Les structures d’aide à la régularisation administrative sont de natures diverses. Elles remplissent des objectifs et des prérogatives associatives variés.
Lorsque les Haïtiens ont recours à des avocats, des entreprises privées d’écrivain public les tarifs sont souvent élevés pour un service rendu qui n’est pas toujours à la hauteur du prix payé et jouent sur le manque de connaissance de leurs clients.

Pour conclure cet exposé, il est à rappeler qu’un nombre conséquent d’Haïtiens ne maîtrisent pas la langue française, n’a pas la culture de l’écrit et ignore le fonctionnement des institutions françaises. Or, face à une administration française complexe, chaque jour plus exigeante, qui ne communique qu’à travers des écrits, la communauté haïtienne se retrouve rapidement en difficulté. Malheureusement, en Guyane, il y a très peu de médiateurs, de personnes ou associations intermédiaires pouvant aider la communauté dans un processus d’intégration par l’accès aux droits communs, et ce malgré la présence de nombreuses associations haïtiennes sur le territoire. Les associations communautaires qui existent manquent de compétence en la matière. C’est pourquoi il serait intéressant d’explorer la possibilité d’échanges, de partenariats et de concertations entre les associations de la France hexagonale et des outre-mer.

Version intégrale des Actes : http://www.collectif-haiti.fr/calepin/files/actes_4rnet20anschfversion_finale_hKCAjmFiOG.pdf


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