Article paru dans la version électronique du Monde le 20 mai 2012 selon le blog Notre vie à Mayotte
Cinq personnes sont mortes et quinze autres sont portées disparues dans le naufrage d’une embarcation venue d’Anjouan, aux Comores, survenu samedi au large de Mayotte, a annoncé dimanche 20 mai le ministère des Outre-mer. Ce "kwassa-kwassa" (canot de pêche à moteur) transportait, "selon les premiers témoignages, 43 personnes dont quatre enfants", précise un communiqué. Parmi les trois enfants décédés, figure un bébé.
Le naufrage a eu lieu samedi en fin d’après-midi. "Les premiers rescapés ont été secourus par le club de plongée de l’hôtel Jardin Maore à Ngouja sur la commune de Boueni", au sud-ouest de cette île française de l’Océan indien. Victorin Lurel, nouveau ministre des Outre-mer, "s’est assuré du déclenchement immédiat du plan Secmar (sécurité en mer)", a ajouté le ministère. "Les moyens aériens et nautiques nécessaires sont en place et seront maintenus le temps qu’il faudra", selon le communiqué officiel.
D’après le ministère, ont été déployés sur place, pour tenter de retrouver des disparus, un hélicoptère, une embarcation de type Zodiac, une barge. Les naufrages de pirogues "kwassa-kwassa" (du nom d’une danse anjouanaise, évoquant leur balancement dans la houle) sont fréquents près de Mayotte. Poussés par la misère, les immigrants, pour la plupart venus de l’île d’Anjouan, à quelque 100 kilomètres de Mayotte, tentent régulièrement de débarquer illégalement sur l’île française, pour travailler ou s’y faire soigner.
Sur les 200 000 habitants de Mayotte, 40 % seraient des clandestins. Surchargés, les "kwassa-kwassa" naviguent au ras des flots. Beaucoup chavirent en passant les barrières de récifs coralliens. En janvier 2012, deux de ces naufrages meurtriers avaient été enregistrés, l’un faisant trois morts et dix disparus, l’autre provoquant cinq décès.
La Cimade : A Mayotte des morts encore
Dimanche 20 mai, la presse annonçait un énième naufrage de kwassa-kwassa à Mayotte. Empruntant un passage dangereux au sud de l’île, pour tenter d’échapper aux murs de radars que dresse la France dans le bras de mer d’une soixantaine de kilomètres entre Anjouan et Mayotte, la barque chargée de 43 personnes a chaviré sur un coup de vent puis s’est brisée. 5 personnes sont mortes, 15 sont toujours portées disparues. La dépêche AFP a jugé bon de souligner que c’est un club de plongée qui a découvert les naufragés. Les lagons idylliques qui bordent Mayotte, 101ème département français, sont devenus le plus grand cimetière marin de l’océan indien. Depuis 1995 et l’instauration du visa Balladur, on estime à plus de 7 000 le nombre de personnes ayant perdu la vie en tentant la traversée pour Mayotte.
Mais si ces chiffres effrayent, ils racontent peu la réalité de ces traversées entreprises pour la plupart par des personnes à qui est refusé le droit de vivre à Mayotte. Des personnes qui ont construit toute leur vie à Mayotte et qui sont expulsés manu militari vers Anjouan où ils n’ont rien. Ainsi, sur ce kwassa-kwassa qui a fait naufrage, se trouvait Chadia, une jeune maman de 20 ans arrivée à Mayotte à l’âge de 13 ans. Elle y a fait toute sa scolarité, a eu son bac, s’est mariée et a eu un enfant en novembre 2010. En décembre 2011 pourtant, elle a été expulsée à Anjouan qu’elle connaît à peine. Alors elle a déboursé 200 euros et pris ce kwassa en espérant revoir enfin son enfant dont elle a été séparée il y a cinq mois. Aujourd’hui, après avoir survécu toute la nuit dans l’eau, en assistant à la noyade de ses compagnons d’infortune, elle attend, enfermée dans l’innommable centre de rétention de Pamandzi. La préfecture de Mayotte n’a pas daigné examiner les pièces apportées par son mari, ni même recevoir la demande de surseoir de La Cimade. Ils sont cinq naufragés à y être encore enfermés dans l’attente d’une probable expulsion. Leurs proches n’ont pas eu le droit de les visiter. Car tous ou presque venaient comme Chadia retrouver de la famille, une vie interrompue par une expulsion arbitraire. Soudati espérait revoir son enfant dont il est séparé depuis son expulsion en 2010. Faika, 14 ans venait rejoindre son père etc.
Les hommes et les femmes qui meurent noyés à quelques encablures de Mayotte, meurent à cause d’une politique migratoire toujours plus répressive et inhumaine. C’est l’administration française, qui en refusant de leur délivrer des visas, en les expulsant aveuglement et précipitamment sans prendre le temps de comprendre leur situation, en dressant un mur de patrouilles et de radars au beau milieu d’un archipel, mu historiquement par des va et vient permanents de la population, provoque ces drames devenus trop nombreux et trop banals.
L’horreur n’est pas terminée pour les rescapé-e-s du naufrage. A lire ci-dessous une actu de la Cimade avec des témoignages recueillis par les bénévoles au CRA de Mayotte.
Communiqué de la LDH : A Mayotte ce n’est pas la mer qui tue, c’est la politique
Samedi soir 19 mai 2012, une embarcation s’est renversée dans le sud de Mayotte.
Elle arrivait d’Anjouan, chargée de quarante-trois personnes, dont quatre enfants. On compte cinq morts et quinze disparus. Autrement dit, la moitié des passagers a perdu la vie. La LDH considère que la responsabilité de la France est engagée, et qu’elle ne peut la rejeter sur la mer dangereuse ou sur la sécurité du territoire.
C’est, dit-on, « Un drame de plus, avant d’autres à venir ». La phrase peut paraître juste. Mais elle ne prend de sens que si l’on dit la nature du drame. Il ne s’agit pas de misère, de naufrage de clandestins voulant rejoindre la France qui ne peut, tout le monde le sait « accueillir toute la misère du monde ». En réalité, les personnes embarquées sur ce « kwassa » sont celles auxquelles un simple accès au droit a été refusé. Certains demandaient une régularisation de leur situation, d’autres que l’on fasse accueil à la demande de délivrance de leur carte nationale d’identité (CNI).
Ce ne sont pas les « clandestins » de Mayotte, ceux qui auraient tenté de « débarquer illégalement sur l’île pour y travailler et s’y faire soigner », ceux dont on dit qu’ils n’ont ni attache ni connaissance de la France que de savoir que l’on y rase gratis ! Nombre d’entre eux ont des liens profonds avec Mayotte (une île parmi d’autres d’un archipel qui s’appelle les Comores) mais ils n’arrivent pas à se faire entendre. D’abord parce que le droit à Mayotte est dérogatoire et qu’on y applique une réglementation qui n’a rien à voir avec la loi commune, ensuite, faute de personnels suffisamment qualifiés et en nombre pour traiter leur demande. Ainsi plusieurs milliers de Français de droit n’ont pas accès à la CNI et sont donc expulsables sans recours suspensif, selon les consignes expresses de l’administration et leur application par les services de police et de gendarmerie.
A raison de plus de vingt mille expulsions par an – dont la plupart dans la plus grande illégalité–, les « sans-papiers » de Mayotte ont déjà été expulsés plusieurs fois et cette politique conduit à la mort : le mur de radars ne laisse de passages que dans les zones les plus dangereuses où viennent se disloquer les barques sans que rien ne change dans la politique et le droit, loin, si loin de la France…
La LDH demande au gouvernement le rétablissement de la loi et des règles de droit sur tout le territoire de la République. Elle s’adresse à Victorin Lurel, ministre de l’Outre-mer, pour qu’il entame une approche, par les droits, de la situation mahoraise.