A Mayotte, la chasse aux sans-papiers dicte sa loi

Rémi Carayol, Libération, 31 juillet 2009
vendredi 31 juillet 2009

Commentaire sur le score impressionnant d’expulsions à partir de Mayotte annoncé par la préfecture pour le premier semestre 2009

A Mayotte, la politique du chiffre menée par le ministère de l’Immigration prend tout son sens. Lors des six premiers mois de cette année, 9 019 personnes (dont 1 310 mineurs) ont été reconduites à la frontière, a claironné la préfecture de Mayotte la semaine dernière. A ce rythme, 18 000 l’auront été à la fin de l’année. Le record national de 16 000 éloignements, réalisé dans l’île en 2006, 2007 et 2008, devrait ainsi être largement battu.

« A Mayotte,nous sommes dans des proportions phénoménales », indique un militant de la Cimade qui a accès au centre de rétention administrative de Pamandzi. « 18 000 expulsions, poursuit-il, c’est 10 % de la population de l’île » qui compte 186 000 habitants - dont un tiers serait en situation irrégulière. Cela représente aussi plus du double des expulsions (8 085) enregistrées en 2008 en Guyane, le deuxième territoire ultramarin dans le palmarès du ministère ; et près du tiers des éloignements comptabilisés dans tout l’Hexagone (29 799).

« Traque » : La lutte est engagée sur tous les fronts. A terre, des contrôles quotidiens sont menés sur les routes et dans les quartiers connus pour abriter des sans-papiers. Les accès aux dispensaires et aux écoles sont régulièrement contrôlés. Cette « politique de la traque », comme la qualifient des militants de la Cimade, a abouti, lors de ces six premiers mois, à l’arrestation et l’expulsion de 6 116 personnes. Dans le même temps, l’Etat a, en outre, multiplié ses interventions en mer : 129 embarcations clandestines (appelées kwassa), en provenance de l’île voisine d’Anjouan, ont été interceptées. Leurs 2 903 passagers ont été refoulés.

Le gouvernement a consenti de gros efforts financiers : depuis 2004, les effectifs de la police et de la gendarmerie ont presque triplé ; trois radars et quatre vedettes ont été achetés. Lors de sa visite à Mayotte, le 11 juillet, le Premier ministre, François Fillon, a annoncé la mise en place, avant la fin de l’année, d’un quatrième radar, qui permettra de couvrir l’ensemble du territoire.

La législation aussi a été modifiée, pour permettre aux forces de l’ordre d’effectuer des contrôles d’identité en tout lieu et à tout moment. Mais, pour obtenir de tels résultats, « l’Etat ne peut pas respecter la loi », estime-t-on à la Cimade. Un magistrat le reconnaît : « Nous faisons tout notre possible pour que la loi ne soit pas enfreinte. Et la préfecture, lorsque nous la saisissons sur des cas précis, comme ceux des mineurs isolés, s’y attelle. Mais la pression d’en haut est trop forte… »« Nous jouons aux cow-boys ici », confirme un agent de la Police aux frontières (PAF). « Tout le monde sait que les chiffres obtenus depuis trois ans seraient irréalisables à Mayotte si on respectait la loi », assure-t-il. Et d’évoquer les agents (parfois des policiers municipaux) qui « pénètrent dans les domiciles sans autorisation » et en tirent des hommes et des femmes « à moitié dévêtus », les « faux PV d’audition », les signatures « bidons » prêtées aux sans-papiers, la modification de l’âge des mineurs…
Enfants. Ces trois dernières années, près de 9 000 enfants ont été expulsés. Si certains accompagnent leur(s) parent(s), d’autres sont des mineurs isolés, « envoyés dans une île qu’ils n’ont bien souvent jamais vue », affirme-t-on à la Cimade. « La PAF emploie deux procédés, révèle un officier. Le premier consiste à faire accompagner le mineur par un adulte qu’il ne connaît pas, en faisant signer à l’adulte un document dans lequel il reconnaît en être le tuteur. » Un document « qu’ils ne lisent même pas », jure-t-il. Le deuxième consiste à changer la date de naissance du mineur pour en faire un majeur. Le 11 mars, la préfecture a, pour la première fois, été reconnue coupable par le tribunal de première instance de Mamoudzou d’avoir falsifié l’âge d’un enfant de 13 ans contrôlé près de son collège.

« Pour la hiérarchie, une seule chose compte : le chiffre », avoue un autre policier. Même quand la presse en fait état, elle reste muette. Quant aux agents qui n’acceptent pas, « ils doivent se taire », poursuit-il. « Depuis des années, on nous oppresse. Celui qui n’est pas jugé assez efficace dégage ou se fait harceler. Mais pour être efficace, il faut outrepasser la loi ! ».


Rémi Carayol, Libération, 31 juillet 2009