Le 10 décembre, le Conseil d’État a choisi, une fois encore, de ne pas sanctionner les illégalités commises par la préfecture de Mayotte pour éloigner les étrangers.
À l’aube du 14 novembre 2013, un « kwassa » (fragile embarcation) est intercepté par la gendarmerie au large de Mayotte. À son bord, deux enfants de 3 et 5 ans, nés à Mayotte mais expulsés deux ans plus tôt vers Anjouan avec leur mère qui, par la suite, s’en est désintéressée : leur père, résident régulier à Mayotte, tentait ainsi, en désespoir de cause, et après plusieurs vaines tentatives pour obtenir leur retour par des voies moins périlleuses, de les faire revenir auprès de lui.
Après leur interpellation, ces enfants sont enfermés illégalement en rétention [1] dans un local de la gendarmerie érigé pour l’occasion en local de rétention administrative. Le jour même, alors que leur père est présent et les attend, muni de leurs actes de naissance, ils sont rembarqués vers les Comores, « rattachés » à un adulte sans lien de parenté avec eux – selon à une pratique courante sous ces latitudes –, dans le cadre de l’expulsion collective de plus d’une centaine de personnes.
Le tribunal administratif, immédiatement saisi, ne se prononce que quatre jours plus tard (en matière de référé-liberté le délai imparti au juge pour statuer est de 48 h !) : il constate que la procédure est « manifestement illégale » mais rejette le référé liberté au motif qu’il n’y a plus urgence puisque les enfants sont déjà repartis…
Bilan : violation du droit à un recours effectif, violation du droit au respect de la vie familiale, absence de prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants qui ont été de surcroît soumis à un traitement inhumain et dégradant, violation de l’interdiction des expulsions collectives.
Cette pratique est emblématique du traitement quotidiennement réservé à des milliers de mineurs et d’adultes expulsés [2] depuis Mayotte, sans possibilité d’exercer un recours [3].
Les associations, les institutions de défense des droits de l’Homme et des parlementaires dénoncent depuis longtemps ce fonctionnement inhumain et dégradant.
Or, pour une fois, les conditions étaient réunies pour que le Conseil d’État, saisi en appel par le père, avec intervention volontaire à ses côtés de la Cimade et du Gisti et celle du Défenseur des droits, constate et condamne solennellement ces pratiques.
Le Conseil d’État s’y est refusé. Sans même examiner les griefs fondés sur la violation manifeste de plusieurs droits fondamentaux, il a pris prétexte des vagues assurances données pendant l’audience par le ministère de l’intérieur selon lesquelles « une demande de regroupement familial présentée par [le requérant] auprès des autorités consulaires françaises aux Comores […] serait examinée avec l’attention requise dans les meilleurs délais » pour en déduire que la situation ne faisait apparaître aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et rejeter la requête.
Ce faisant, le Conseil d’État couvre donc les illégalités commises à Mayotte, et se décrédibilise gravement. Qui peut encore croire, lorsqu’il prend le parti de l’administration sur des questions aussi essentielles, qu’il est le gardien de la légalité ?
En attendant une nécessaire réforme de la législation et un changement des pratiques de l’administration, la France pourrait bien être condamnée dans cette affaire par la Cour européenne des droits de l’Homme pour les graves violations perpétrées chaque jour à Mayotte.
13 décembre 2013
Organisations signataires :
- La Cimade
- Le Gisti