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Aéroport de Pointe-à-Pitre, Pôle Caraïbes, il est 15h30 et je m’apprête à monter dans l’avion qui me ramènera à Port-au-Prince. Je viens de passer cinq jours en Guadeloupe à échanger sur les difficiles conditions de vie des Haïtien-ne-s de Guadeloupe mais aussi à discuter d’égalité, de collaboration, d’inclusion, et de solidarité avec la communauté. J’ai le cœur joyeux, plein d’espoir et d’idées pour la suite. Mais il se serre, quand le salarié de la Cimade m’appelle : la PAF (police aux frontières) va reconduire un jeune Haïtien de 20 ans, dans mon avion.
Arrêté le matin, il s’est fait tabasser pendant l’arrestation et la clinique où il s’est fait ausculter n’a pas voulu lui délivrer de certificat attestant de ces blessures. Tous les recours possibles ont été déposés et une plainte va être portée, mais malgré cela, le jeune homme va être reconduit.
Révoltée, je monte dans l’avion et demande à parler au pilote. J’explique à la toute mignonne (en apparence) hôtesse de l’air que je ne veux pas que le jeune homme soit reconduit par ce vol. Je précise qu’il a été brutalisé et qu’il faut le laisser partir pour qu’il puisse faire valoir son droit, qu’il n’a rien fait de mal, si ce n’est de ne pas avoir de papier. Mais le pilote ne souhaite pas me parler. J’insiste mais c’est non. Furieuse, je file vers l’arrière de l’avion qui bizarrement est totalement vide, sauf le dernier rang, où 3 hommes sont assis. Je me présente aux deux policiers en civil et demandent à discuter avec monsieur B. Le grand garçon lève les yeux sur moi et son calme me déboussole. Il est assis, là, tranquille, des écouteurs aux oreilles, avec un œil au beurre noir (son œil est gonflé et tout rouge). Je lui demande s’il va bien et s’il veut vraiment s’en aller, parce que s’il ne veut pas, il peut encore le dire. Je n’ai pas le temps d’en dire plus, l‘hôtesse (finalement pas si mignonne) débarque suivie de près par le pilote. Tiens, il daigne m’adresser la parole celui-là ? Ah, non il est venu m’aboyer dessus. Je dois arrêter mon cirque et regagner mon siège. Une bouffée de colère m’envahit et je commence à rétorquer mais il m’arrête : le jeune homme sera ramené à Port-au-Prince avec ou sans moi à bord de l’avion…
Écœurée, je rejoins ma place, les larmes aux yeux et la tête fourmillant de questions écrasantes. Qu’est-ce que cela pouvait bien lui coûter de laisser sortir le jeune Haïtien, comment peut-on rester de marbre face à une telle situation ? Pourquoi la police en plus d’arrêter un jeune éprouve-t-elle le besoin de le passer à tabacs ? Comment mon État peut-il laisser faire ça ? Je n’ai même pas envie d’inscrire que je suis française sur le formulaire d’entrée en Haïti, mais ce n’est pas comme si j’avais le choix…
J’attends monsieur B. à la sortie de l’avion. Les policiers l’ont relâché à la porte de l’avion pour se dépêcher de regagner la salle d’embarquement et prendre leur vol pour Miami : le pays est suffisamment sûr pour y ramener un Haïtien et qu’il y passe le reste de sa vie, mais pour qu’un policier français y passe la nuit, non surtout pas…
Je l’aide à remplir son formulaire, il est totalement hébété, et moi je ne peux détacher mes yeux de son œil au beurre noir. Heureusement, quelqu’un est venu le chercher pour le ramener dans sa ville natale.
Victor Schoelcher a dit : « La violence commise envers le membre le plus infime de l’espèce humaine affecte l’humanité entière ». Apparemment, le pilote du vol AF 3988 du 15 avril 2013 ne connaît pas Victor Schoelcher.
Aujourd’hui, j’ai pris l’avion avec un Haïtien reconduit depuis la Guadeloupe et j’ai les nerfs.