Interpellations dérogatoires aux frontières de la Guadeloupe et de Mayotte pérennisées

Un grave droit d’exception sans le moindre contrôle parlementaire
mercredi 27 juillet 2011

Une mesure introduite subrepticement dans une loi qui n’avait aucun rapport

Depuis le 27 Juillet 2011, l’article 78-2 du code de procédure pénal (alinéas 10 à 14) prévoit la possibilité de contrôles par le police, sans réquisition préalable du procureur, « en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi » :

  • dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral du département de la Guyane et une ligne tracée à vingt kilomètres en-deçà, et sur une ligne tracée à cinq kilomètres de part et d’autre, ainsi que sur la route nationale 2 sur le territoire de la commune de Regina ;
  • en Guadeloupe, dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà, ainsi que dans une zone d’un kilomètre de part et d’autre, d’une part, de la route nationale 1 sur le territoire des communes de Basse-Terre, Gourbeyre et Trois-Rivières et, d’autre part, de la route nationale 4 sur le territoire des communes du Gosier et de Sainte-Anne et Saint-François ;
  • à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin dans une zone comprise entre le littoral et une ligne tracée à un kilomètre en deçà.

Ce dispositif qui autorise des interpellations par les forces de l’ordre sans contrôle du procureur sur l’essentiel des zones accessibles de ces territoires était déjà pérenne en Guyane. Il avait été introduit, à titre expérimental, par la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration en Guadeloupe et à Mayotte que pour cinq ans... jusqu’au 25 juillet 2011.
Une ordonnance du 14 mai 2009 l’avait transposé à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, là encore jusqu’au 25 juillet 2011.

Le 27 juillet 2011, les députés adoptaient la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique. Celle-ci, prenant acte de la mise en place de deux collectivités territoriales de la République régies par l’article 73 de la Constitution qui exercent les compétences attribuées à un département d’outre-mer et à une région d’outre-mer, adaptait la législation en conséquence avec un grand nombre de dispositions techniques.

Quel député aura remarqué un bref article 14 de cette loi qui ne concernait d’ailleurs ni la Guyane, ni la Martinique selon lequel "Au début du dixième alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale, les mots : « Pendant cinq ans à compter de la publication de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, » sont supprimés" ?


Pourquoi cette réforme n’est-elle pas issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration ?

En effet, l’amendement n°23 présenté le 1er septembre 2010 par le gouvernement au projet de loi « Besson » prévoyait :

  • la pérennisation du dispositif sur toutes toutes les zones mentionnées (incluant une bande d’un kilomètre le long du littoral de Saint-Martin ou de Saint-Barthélemy) ;
  • une extension du territoire de Mayotte couvert par ces contrôles d’identité dérogatoires sur les rares zones accessibles distantes de plus d’un kilomètre de la côte : « dans une zone d’un kilomètre de part et d’autre de la route nationale 2 sur le territoire des communes de Barakani, Coconi, Ongojou et Tsararano, dans une zone d’un kilomètre de part et d’autre du chemin de collectivité territoriale 1 sur le territoire des communes de Kahani et de Combani, dans une zone d’un kilomètre de part et d’autre du chemin de collectivité territoriale sur le territoire des communes de Miréréni et de Vahibéni ».

Cet amendement avait été abandonné par la commission des lois peut-être parce qu’il aurait été aisé de l’introduite dans la loi Loppsi 2 (Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, art. 69) qui réforme d’autres alinéas de ce même article du code de procédure pénale.

Ce n’est qu’en seconde lecture à l’assemblée nationale de l’amendement initial du gouvernement réapparaissait par un amendement n° 205 présenté par M. Estrosi, M. Garraud, M. Ciotti et M. Goujon complétant l’article n° 82 du projet de loi et modifiant l’article 78-2 du code de procédure pénale.
Cet amendement devait être sans encombres adopté après - au mieux - un très court débat, comme c’est l’usage lorsqu’il s’agit de mesures concernant l’Outre-mer.

MAIS, le 10 mars 2011, lorsque le moment d’aborder cet amendement est arrivé, les quatre députés censés le présenter avaient mieux à faire que de siéger au parlement. L’amendement est mort par absence de ses auteurs !

D’où l’introduction discrète de la pérennisation dans une loi qui n’avait rien à voir votée le 27 juillet... A quand l’extension territoriale concernant Mayotte ?


Complément : exposé des motifs de l’amendement du gouvernement en date du 1er septembre 2010

L’article 78-2 prévoit la possibilité de contrôler, sans autres modalités que celles prévues par son premier alinéa, toute personne en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents sur une zone délimitée de la Guyane (article 78-2 alinéa 9)
ainsi que, de manière expérimentale pour une durée de cinq ans à compter de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, sur une zone délimitée de la Guadeloupe, de Mayotte, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy (article 78-2 alinéa 10 à 14).

Le présent amendement tend à pérenniser cette expérimentation.

Le dispositif dérogatoire est en effet très efficace puisqu’une part importante - voire la quasi totalité à Mayotte - des interpellations terrestres est effectuée sur la base de l’article 78-2 alinéa 10 à 14.
En ce qui concerne Mayotte, le bilan des cinq années d’application doit même conduire, au regard de la situation extrêmement préoccupante du point de vue de l’immigration irrégulière, à étendre le champ du texte actuel. Ce dernier contraint en effet les services de police à travailler dans la bande
dite « d’un kilomètre » alors que les clandestins peuplent également l’intérieur de 1’île.
La nouvelle disposition a donc vocation à faciliter les contrôles à l’intérieur des terres, dans les zones où les problèmes inhérents à la multiplication des habitats sauvages, des « bangas », se posent avec le plus d’acuité.