Droits, polygamie et rapports de genre en Guyane

Marie-Josée Jolivet et Diane Vernon, cahier d’études africaines 187-188
mercredi 26 septembre 2007

Cahiers d’études africaines
Numéro 187-188 (2007)

Les femmes, le droit et la justice

Marie-José Jolivet et Diane Vernon
Droits, polygamie et rapports de genre en Guyane

Document accessible en ligne sur http://etudesafricaines.revues.org/8942

Présentation

1. Le propos qui suit porte sur une population des Guyanes qui pratique aujourd’hui encore la
polygamie, quoique de manière non systématique, y compris dans le cadre de sa migration
sur la côte où elle est alors plus directement confrontée à la culture occidentale et, partant,
aux pratiques, aux devoirs et aux droits afférents. Il s’agit des Ndjuka qui constituent l’une
des sociétés nées des grands mouvements de marronnage qui affectèrent les plantations
surinamiennes aux xviie et xviiie siècles. Au cours d’une histoire particulièrement complexe,
les descendants de ces esclaves fugitifs ont constitué six groupes distincts, dont quatre sont
présents sur le territoire de la Guyane : les Aluku, les Paramaka, les Ndjuka et les Saramaka.
Venus au temps des grandes ruées vers l’or, ces derniers ont essaimé en divers points de la
côte guyanaise jusqu’à la frontière du Brésil. Les trois autres, en revanche, sont largement
(quoique non exclusivement) concentrés dans la région du Maroni, à la frontière entre le
Surinam et la Guyane, avec une prédilection de plus en plus marquée pour la zone côtière de
Saint-Laurent-du-Maroni et de Mana.

2 Bien individualisés en raison d’itinéraires différents, parfois opposés, toujours difficiles – des
itinéraires que n’épargnèrent en effet ni les guerres fratricides, ni les errances en quête d’asile,
ni les migrations en vue de trouver de nouveaux lieux d’implantation ou d’autres moyens
de subsistance –, ces Marrons se désignent néanmoins souvent, quand ils sont jeunes, par
le vocable général de Businenge (litt. Nègres des bois) dont les Aluku ont promu l’usage
en Guyane. Il n’empêche qu’ils relèvent de statuts divers. Ainsi, les Bonis (ancien nom des
Aluku) qui demandèrent asile à la colonie française dès la fin du xviiie siècle et finirent par
obtenir satisfaction plus tard, sous la forme d’une sorte de protectorat, jouissent désormais de
la nationalité française au titre de leur présence ancienne sur le territoire de Guyane. Parmi
les autres, quelques-uns ont également la nationalité française parce qu’ils sont nés sur la
rive droite (guyanaise) du Maroni ou, plus en amont, du Lawa. Tel est notamment le cas de
nombre de Ndjuka vivant actuellement dans le quartier marron de la Charbonnière à Saint-
Laurent-du-Maroni. Le fait est beaucoup plus rare parmi les immigrants, même parmi ceux
qui sont installés là depuis plus de vingt ans. La plupart d’entre eux restent officiellement
considérés comme des étrangers, leurs statuts étant néanmoins également très divers : il y a
ceux qui disposent d’une carte de séjour (de dix ans au maximum), ceux qui ne possèdent que
l’attestation de demande de régularisation ; ceux, enfin, que l’administration française classe
désormais dans la catégorie des « sans papiers », soit qu’ils ne parviennent pas à en obtenir,
soit qu’ils aient finalement renoncé à en demander.

3 Nous reviendrons plus loin sur la question centrale de ces « papiers » quant au(x) droit(s) – au
singulier et au pluriel selon qu’il s’agit de statut juridique ou de mesures sociales – concernant
les immigrants, hommes et femmes, implantés en Guyane. Nous en verrons l’illustration à
travers le cas des Ndjuka arrivés à l’époque de la guerre civile qui frappa le Surinam entre 1986
et 1992, sans oublier le point de vue si bien partagé de ceux pour qui le Maroni est moins une
frontière qu’une voie de communication. En effet, il faut remonter le Maroni en pirogue pour
gagner les villages ancestraux du Tapanahoni, au Surinam. Mais on traverse aussi le fleuve en
des va-et-vient incessants qui scellent un espace transfrontalier que les intéressés perçoivent
comme un seul et même territoire. Dans l’immédiat, contentons-nous de remarquer que, eu
égard au sujet traité, les différences sont sans doute davantage marquées entre les générations –
niveau où intervient la question de la scolarisation, elle-même liée à celle de la migration et des
papiers – qu’entre les groupes. C’est ce qu’attestent les observations et les enquêtes que nous
avons faites au cours de ces dernières années et qui portent sur une population essentiellement
Droits, polygamie et rapports de genre en Guyane 3
Cahiers d’études africaines, 187-188 | 2007
ndjuka, à laquelle viennent s’ajouter quelques cas d’Aluku ou de Paramaka dont la similitude
est plus notable que la différence.

4 Avant d’en venir au coeur du sujet, il faut encore préciser un dernier point concernant
l’inclusion de ce propos dans un cahier centré sur l’Afrique. Qu’il n’y ait pas de malentendu :
si le géographe Jean-Marcel Hurault a fait connaître les Aluku à travers une remarquable étude
de leur vie matérielle et une approche (plus discutée) de leur art, en mettant l’accent sur le
caractère africain de cette population et de sa culture jusqu’à désigner ces gens comme « Les
Africains de Guyane »1, d’autres, tels Sidney W. Mintz et Richard Price (1992), ont au contraire
insisté sur le caractère créatif dont font montre toutes les cultures « africaines américaines ».
Sans vouloir nier l’influence africaine qui marque les cultures marronnes, nous croyons bon
de rappeler, singulièrement dans le cas de la polygamie et des rapports de genre auxquels
nous nous intéressons ici, l’importance des processus de création et des ajustements répétés
au changement dont ces sociétés sont capables.

5 Au cours de cet article, nous traiterons la question des femmes ndjuka et du droit sous trois
angles. Le premier sera celui de la tradition, telle qu’elle s’est construite au cours des trois
siècles d’histoire marronne, ou plus précisément telle que nous avons pu y avoir accès à travers
les témoignages des intéressés (femmes surtout, mais hommes aussi) véhiculant, outre leurs
propres expériences, celles de leurs parents au sens large ou parfois même le discours de la
tradition orale à ce sujet ; l’observation directe menée par l’une d’entre nous (Diane Vernon)
de la vie d’un village au pays des ancêtres sur le Tapanahoni (le Ndjuka liba, c’est-à-dire
le fleuve ou le pays ndjuka, en amont du Maroni), dans les années 1970, a en outre permis
d’étayer solidement le propos. Le deuxième angle retenu sera celui du droit français et de la
capacité qu’ont certaines femmes ndjuka d’en user de nos jours, en certaines circonstances,
dans le cadre de pratiques qui, toutefois, peuvent aussi se retourner contre elles. Le dernier
angle d’approche sera celui des situations que connaissent actuellement beaucoup de femmes
marronnes de Guyane, qui accommodent droit traditionnel et droit français dans de nouvelles
pratiques attestant le caractère vivant de cette culture.

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