Prisonnier comoriens au port
Prison : le choc des communautés
- Une enquête de Flavien OSANNA
- Depuis 2008, les détenus comoriens sont transférés massivement de la prison de Majicavo à Mayotte au centre de détention à responsabilité du Port. Des clandestins sans ressources et loin de leurs familles. Ils sont aujourd’hui près d’une centaine à vivre au beau milieu de la population pénale réunionnaise. Une cohabitation difficile dans un cadre surprenant...
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En quête menée dans le cadre du Master pro "métiers du journalisme" de la Réunion - 22 avril 2012
Des cases colorées, des jardins... Le décor a des allures de carte postale pour taulards. Au milieu des potagers, 284 détenus vaquent librement à leurs occupations. Ils ont la clé de leur box ! Pas de mirador à l’horizon, les gardiens patrouillent seulement à trois dans la cour. Dans cette drôle de prison (voir ci-dessous), certains travaillent quand d’autres palabrent sous les manguiers ou jouent aux dominos. Ici, les longues peines côtoient les petits délinquants, et depuis peu les clandestins.
Ces derniers arrivent par vagues intenses de Majicavo, la prison mahoraise surpeuplée qui ne sait plus quoi faire d’eux. Actuellement, près d’une centaine de Comoriens sont enfermés au centre de détention à responsabilité du Port. Tous ou presque sont des pilotes de kwassa-kwassa, ces barques de fortune transportant des misérables en quête de l’eldorado. Jugés à Mayotte, ils purgent une peine de trois à quatre ans à La Réunion quand ils sont en situation de récidive. « On les affecte au régime semi-ouvert du CDR dit aussi quartier haut, car cette population ne présente pas de problèmes de discipline particulier » explique Pierre Oddou, le directeur du centre de détention du Port.
Ces Comoriens, principalement originaires de l’île d’Anjouan, ont emmené dans leurs valises un mode de vie que les Réunionnais ne connaissaient pas. Le premier surveillant Baret raconte. « On avait beaucoup de mal à se comprendre au début, il a fallu faire un gros travail d’explication ». Un peu gêné, il poursuit. « Ces gens n’utilisent pas de papier mais de l’eau quand ils font leurs besoins. Les autres détenus se sont plaints à cause des saletés laissées ». Dépossédés de leur culture d’origine, les nouveaux arrivants ont mis un certain temps à s’adapter. La peur de l’autre a généré des violences verbales et parfois même physiques. « Il y a eu un repli naturel des deux côtés. La prison est un monde de souffrance où la culture de la parole n’est pas toujours présente. Un conflit devient vite exacerbé. », témoigne l’aumônier catholique Joséphine.
Pour Eric*, joueur de pétanque, les Comoriens n’ont rien à faire ici : « Si deux ou trois arrivent, c’est bon, mais là il y a un problème. Le Réunionnais perd un peu de sa culture », constate-t-il. Comme n’importe quel détenu étranger, les Comoriens se regroupent pour faire face aux discriminations.
Un mode de vie communautaire
A la cantine, les « sans porc » passent les portes en premier. Au menu du jour : riz, grain, rougail et dindonneau. Pour les autres, ce sera rougail saucisses. De confession musulmane, les Comoriens mangent dans leur coin avec les mains comme le veut la tradition religieuse. Très souvent, ils ajoutent du manioc ou de la banane dans leur gamelle et n’hésitent pas à récupérer le « rab » des Réunionnais pour le cuisiner ensuite dans leur box. En général, on ne s’attarde pas trop au réfectoire. La salle de culte le vendredi après-midi affiche complet.
L’imam M’Bae s’en réjouit. « Quand j’arrive, ils m’attendent déjà tous. Je fais l’appel doucement pour ne pas déranger les autres détenus dehors. Ensuite on prie. » Chez eux, la fibre communautaire s’est forgée dès leur plus jeune âge sur les bancs de l’école coranique. « Si jamais on en touche un, on touche tout le lot. », observe le Capitaine Zaanou, adjoint du chef de détention. Bernard, l’ancien qui jardine dans son coin, a lui aussi son avis. « Ils mangent ensemble, ils vont tous à la prière avec leurs habits. Chacun a sa façon de vivre, on ne peut rien y faire. »
Dans ce quartier, les détenus ont le droit de cultiver la terre. Des pieds de maniocs fleurissent un peu partout devant le Bâtiment A. Derrière, les pilotes de kwassa-kwassa ont l’habitude de se retrouver autour d’une table en bois. Le groupe compte dans ses rangs quelques leaders qui prennent souvent la parole. Mouhamadi, un détenu à la carrure solide joue le rôle d’interprète pour ses frères . « Le bâtiment A, c’est pour conserver notre culture. On est différent » indique-t-il.
La loi pénitentiaire oblige un traitement égal de tous les détenus. Mais face à une montée de la violence, la direction a créé un pavillon spécifiquement comorien. « Nous avons pris l’initiative de les mettre ensemble, car il y avait au début des bagarres quotidiennes avec les Réunionnais » reprend le Capitaine Zaanou.
Au final, sur la centaine de Comoriens présente au CDR, une vingtaine vit dans le bâtiment A et constitue aujourd’hui le noyau dur de la communauté. « C’est royal pour eux ! Ils peuvent manger à leur faim, travailler, envoyer des mandats » s’exclame le premier surveillant Baret. Les Comoriens ne regrettent sans doute pas Majicavo où ils étaient entassés à quarante dans une cellule. Au- delà de ce confort tout relatif, ces jeunes hommes ont laissé femmes et enfants derrière eux.
Rupture totale avec la famille
Contrairement à leurs camarades Créoles, les Comoriens ne reçoivent aucune visite, ce qui pèse sur leur état de santé. « On retrouve des maladies psychosomatiques qui entraînent des douleurs abdominales comme chez les migrants maliens en métropole » note Olivier Gillodes, psychiatre au service médico- psychologique régional (SMPR).
Aussi, l’imam M’Bae n’endosse pas uniquement le rôle de prêcheur ou de traducteur. Il intervient auprès de quatre- vingt cinq familles comoriennes. « Je les appelle régulièrement pour les rassurer. Au pays, on pense que c’est Guantanamo ici . » Presque tous analphabètes, le téléphone devient le seul moyen de communiquer pour les Comoriens. Le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) leur fournissait avant des cartes prépayées d’un montant de dix euros par mois. Des cartes qui n’existent plus aujourd’hui faute de moyens. Les détenus comoriens ont trouvé la parade. Le bureau de l’assistant social sert de cabine gratuite. Une tolérance pour éviter que la marmite n’explose.
Devant la porte, c’est la cohue. Ils sont des dizaines à taper du poing. La solidarité ne tient plus lorsqu’il s’agit de passer un coup de fil.
Certains inventent des histoires pour pouvoir appeler. D’autres non, comme Adama, 21 ans, qui souhaite joindre son père dont il n’a plus de nouvelles. Mais ce dernier ne répond pas. L’Anjouanais tombe finalement sur son frère. Il lui annonce que leur père est mort il y a trois jours. « C’était un homme malade » confie le détenu. Sans cet appel fortuit, Adama ne l’aurait sans doute jamais su. Ce cas loin d’être isolé pointe du doigt l’incapacité de l’administration pénitentiaire à maintenir les liens familiaux. Le reste de la population locale dénonce de son côté un régime de faveur. « Le Comorien est comme une espèce protégée parce qu’il n’a ni parloir, ni permission de sortie », lance Thierry, incarcéré depuis six ans. Selon David Calogine, secrétaire général de l’Union fédérale autonome pénitentiaire à La Réunion, les Comoriens sont surtout favorisés à l’embauche. « Il y a un ratio important de ces détenus sur certains types de postes proposés en prison comme les espaces verts ou les auxiliaires bâtiment ».
Expulsés à leur sortie
Le turbin alimente les jalousies. La liste d’attente est longue, entre six et douze mois. « Au départ, on voulait aider cette population étrangère qui compte énormément d’indigents. On ne l’a pas fait car cela aurait été très mal vu », évoque Bertrand Rakoteaumamonjy, le gradé responsable de l’atelier travail et formation. Sur soixante-quinze postes disponibles au CDR, une trentaine sont attribués aux Comoriens. Toutefois, la barrière de la langue les freine terriblement. « Ils ont acquis quelques compétences de base en français. C’est plus facile pour eux d’apprendre le créole au contact des autres détenus » révèle Jean Sauget, professeur des écoles spécialisé.
Frappés de l’interdiction temporaire ou définitive du territoire français, les clandestins ne peuvent prétendre à la D128 qui autorise un détenu à travailler à l’extérieur de l’enceinte. Ils n’ont d’autres choix que d’occuper des postes au service général. Si on les retrouve souvent aux espaces verts, c’est parce qu’aucune formation particulière n’est demandée. Les salaires varient entre trois cents et six cents euros. Les Comoriens dépensent tout leur argent dans le téléphone ou dans les mandats envoyés à la famille. Une fois dehors, pas de réinsertion possible ; ils sont expulsés dans leur pays.
« On a déplacé le problème »
Mêmes si les tensions persistent, Réunionnais et Comoriens apprennent à vivre ensemble. Johnny Hertereau, directeur du quartier haut : « A leur arrivée, je n’ai pas eu peur de gérer les deux communautés. Je savais que ça n’allait pas trop mal se passer connaissant la mentalité réunionnaise », rapporte-t-il. Les parties de football sur un bitume brûlant en témoignent. « On mélange les équipes, les mauvais coups sont bannis. Cela se passe bien avec eux », décrit Pierre le Saint-Paulois avant d’ajouter : « Il y en a trois dans mon bâtiment. Parfois, ils cuisinent des bouts de manioc et nous font goûter ! »
Tout comme la prison de Majicavo, le CDR du Port n’est pas préparé à accueillir autant de sans- papiers. Soyfoudine Abdou Razak, ancien chargé de communication du Conseil Général de Mayotte : « On a tout simplement déplacé le problème. Ce sont les Réunionnais qui payent désormais. » En restructuration, la prison mahoraise devrait faire peau neuve d’ici 2014. Cela ne signifie pas pour autant l’arrêt des transferts de ressortissants comoriens. Le nœud du problème concerne directement la politique française en matière d’immigration. Depuis 1995, le visa Balladur restreint la circulation des personnes et des biens entre Mayotte et ses trois îles sœurs. Les pilotes de kwassa- kwassa interceptés dans les eaux territoriales de l’île aux parfums sont interpellés pour séjour irrégulier et jugés ensuite par une juridiction française. Ce qui serait contraire au droit international, selon l’Union africaine. Pour Maître Mihidoiri Ali, avocat spécialisé en droit des étrangers au barreau de Saint-Denis, on se trouve dans une situation entachée d’illégalité : « Les Nations unies ainsi que toutes les organisations internationales considèrent Mayotte comme un territoire annexé par la France. On ne peut donc pas criminaliser un Comorien qui tente de s’y rendre. Rentrer chez soi ne constitue pas une infraction... » Dans cette optique, les clandestins comoriens incarcérés au Port seraient détenus illégalement...
Flavien OSANNA
* Les prénoms des détenus ont été changés
Le CDR : Un régime semi-ouvert
Ce modèle de prison village est une exception française, au même titre que le centre de détention de Mauzac près de Bordeaux. Au Port, il existe trois régimes différenciés ; « prenant en compte la personnalité, la dangerosité, et les efforts en matière de réinsertion du détenu », d’après la loi pénitentiaire de 2009. Un texte flou qui laisse toute latitude à l’administration pour classer ses prisonniers.
Une commission pluridisciplinaire unique se réunit toutes les semaines pour discuter des affectations. Les individus jugés turbulents sont enfermés au CDC (Centre de détention contraint), à côté du CDI (Centre de détention intermédiaire). Enfin le CDR (Centre de détention à responsabilité) accueille les condamnés qui ne présentent pas d’agressivité.
D’une capacité de 310 places, le CDR construit en 1976 est le plus grand des trois quartiers. 12 bâtiments chacun dotés de 26 box individuels d’environ 7 m2, d’une cuisine commune avec évier, d’un réfrigérateur et de deux plaques chauffantes. Chaque détenu dispose de la clé de son box, peut travailler, suivre des formations ou se promener librement dans la cour qui ressemble à un vaste jardin.
Dès l’origine, cet établissement a une vocation agricole : on y assure la culture et la récolte mangues, brèdes, aubergines, ou citrouilles. Contrairement à un régime de détention classique, le détenu se rend lui même à ses activités. Un système d’interphone le prévient lorsqu’il est demandé quelque part, chez le médecin par exemple. Déjeuner 11h30, et dîner 17h30 ; la population pénale est alignée en plein air pour l’appel nominatif avant d’entrer dans la salle de réfectoire. A 18h30, les gardiens ferment tous les bâtiments et les rouvrent le lendemain à 6h30. Au moindre écart de comportement, direction le régime contraint du quartier bas surnommé « Bagdad ».
Des Comoriens presque tous analphabètes
« Aujourd’hui, on apprend le vocabulaire de la maison pour ceux qui souhaitent travailler à l’atelier de construction », chuchote Nathalie Cerneaux. Le cours s’appelle « sensibilisation à la langue française » et se destine au public comorien. Un enseignement inédit pour les quelques détenus présents mais également pour leur professeur. « J’ai suivi une petite formation de trois semaines en shimaore. Et là, ils se moquent de moi à cause de mon accent ! » plaisante la jeune Créole. Si certains se débrouillent mieux que d’autres, la plupart n’ont jamais mis les pieds à l’école. « La prononciation en français leur pose problème ainsi que les repères spatiaux comme la gauche, la droite,ou en haut, en bas. La première fois, ils ont pris leur cahier à l’envers et ont écrit dans le mauvais sens », explique Nathalie Cernaux, qui entame sa seconde année au CDR. « Ils sont très respectueux comme nous pouvions l’être à l’époque avec le professeur. On sent leur envie d’apprendre. A la fin, je leur remets un petit diplôme d’initiation à la langue française ; ils sont fiers. » Même si parfois, elle ne peut s’empêcher de penser au détenu qui se cache derrière l’étudiant modèle : « Je ne cherche pas à savoir ce qu’ils ont fait. Ils ont peut-être commis des actes durs mais c’est ce qui se passe là qui est intéressant ».
Les Comoriens vont en classe à défaut de trimer. Ne rien faire de la journée est une honte pour eux. « J’ai travaillé un peu dans le bâtiment, puis je me suis retrouvé sans rien par la suite. J’ai préféré revenir à l’école pour apprendre la langue », dit Ahmed *. Premier tremplin vers la réinsertion, l’action pédagogique demeure ponctuelle en prison. Nathalie Cernaux n’intervient qu’une fois par semaine au CDR, où seul un enseignant permanent s’occupe d’une centaine de détenus. Difficile d’avoir un véritable suivi des élèves.
* Prénom d’emprunt