Guyane, Martinique, Guadeloupe : L’évolution institutionnelle, une opportunité, pas une solution miracle

Rapport d’information de MM. Christian COINTAT et Bernard FRIMAT, fait au nom de la commission des lois - 6 avril 2011
mercredi 6 avril 2011

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EXTRAIT - LES SERVICES DE L’ÉTAT CONFRONTÉS À DES DÉFIS DE PLUS EN PLUS PRÉOCCUPANTS

Conformément à l’habitude prise au cours de leurs diverses missions outre-mer, vos rapporteurs ont souhaité rencontrer les responsables des services de l’État dont les missions relèvent du champ de compétence de votre commission. Ces rencontres leur ont permis de prendre la mesure des défis à relever et des difficultés à surmonter.

A. DES MISSIONS DE PLUS EN PLUS DIFFICILES POUR LES FORCES DE L’ORDRE FACE À LA MONTÉE DE LA VIOLENCE

Dans les trois départements, vos rapporteurs ont entendu, sous forme de tables-rondes, la direction départementale de la sécurité publique, le commandement de la gendarmerie nationale et la direction départementale de la police aux frontières. En Guyane, compte tenu de l’appui des forces armées aux opérations Harpie de lutte contre l’orpaillage clandestin, vos rapporteurs ont également souhaité entendre le commandant supérieur des forces armées.

  • 1. La montée rapide de la violence

Dans les trois départements, les violences volontaires aux personnes sont en progression. Les représentants de la police comme de la gendarmerie ont fait connaître à vos rapporteurs que leurs moyens d’action se révélaient souvent insuffisants pour y faire face. A titre d’exemple, en Guadeloupe, les unités territoriales de gendarmerie sont sous-dimensionnées, c’est la présence permanente de gendarmes mobiles qui permet, alors que ce n’est pas leur vocation, de remplir les missions quotidiennes.
Les violences et la drogue représentent 95 % des affaires pénales en Martinique, avec une augmentation de 22 % du nombre de saisines du parquet de 2007 à 2010. Les drogues consommées, en provenance des îles voisines notamment de Sainte-Lucie, sont principalement le crack, le cannabis et la cocaïne, ce qui accentue les comportements violents du fait de la dépendance physique et psychique, mais également du besoin de trouver de l’argent. La drogue donne lieu à des trafics de stupéfiants en bande organisée.
Selon les magistrats rencontrés en Martinique, la délinquance juvénile est très élevée et il existe une forte pression de la criminalité. La violence est extrême et armée, avec beaucoup d’armes à feu de quatrième catégorie. Selon le procureur adjoint près le tribunal de grande instance de Fort-de-France, alors que la Martinique est le département français où il y a le moins de mineurs en proportion de la population, c’est le cinquième département en termes de violences, soit presque au niveau que la Seine-Saint-Denis.
Les violences conjugales et intrafamiliales sont aussi extrêmement fréquentes en Martinique et en Guadeloupe. Grâce à l’action des pouvoirs publics, elles sont davantage déclarées aujourd’hui, ce qui pèse sur les statistiques. Les violences en milieu scolaire sont également préoccupantes.
De l’avis unanime des personnes rencontrées par vos rapporteurs, la violence quotidienne est très présente en Martinique. Selon l’adjoint du commandant de la gendarmerie, un gendarme a sept fois plus de risque d’être blessé en opération que dans l’hexagone.
Selon les magistrats rencontrés en Guadeloupe, ce département est le deuxième département le plus violent de France. Dans le ressort de la cour d’appel de Basse-Terre, Saint-Martin souffre d’une délinquance endémique et extrêmement violente, que l’absence de frontière avec la partie néerlandaise accentue. Saint-Martin est un carrefour stratégique pour le trafic de stupéfiants, malgré l’installation sur place d’une antenne de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS).

    • Quelques indicateurs peuvent illustrer le niveau de la violence.

Au tribunal de grande instance de Cayenne, le tribunal correctionnel siège tous les jours et la cour d’assises a traité 65 dossiers en 2010. Selon M. François Schneider, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Cayenne, le taux des infractions violentes en Guyane est le triple de celui de la métropole, ce qui illustre le caractère endémique de la violence en Guyane. En Guadeloupe, en zone police, le nombre de vols à main armée a augmenté de 72 % en 2010, soit environ 900 faits.
Selon M. Henry Robert, premier président de la cour d’appel de Basse-Terre, les sessions d’assises en Guadeloupe sont très rapprochées. La session a été permanente en 2010.
Compte tenu de l’ampleur de la violence, en Martinique comme en Guadeloupe, beaucoup d’affaires criminelles sont « correctionnalisées », alors que ce ne serait pas le cas pour les mêmes affaires dans l’hexagone. Même des vols à main armée passent en comparution immédiate.
Selon les interlocuteurs de vos rapporteurs, tant élus que magistrats et responsables de police ou de gendarmerie, la croissance rapide de la violence se nourrit d’un contexte social aujourd’hui très dégradé, dans les Antilles mais aussi en Guyane : déstructuration des familles, désœuvrement de la jeunesse, consommation élevée de drogue, notamment de crack, et d’alcool, faiblesse du tissu associatif, notamment en complément de l’activité judiciaire, et plus généralement de l’encadrement associatif de la société.
Enfin, à titre d’anecdote, vos rapporteurs ont été surpris d’être mis en garde, en vue de leur entretien, par le président des chambres régionales des comptes, dont les locaux sont situés au centre de Pointe-à-Pitre, contre l’insécurité qui y règne. Ceci illustre bien le climat de violence.

  • 2. Les particularités de la Guyane
    • a) L’immigration illégale, facteur d’aggravation de la délinquance

Le poids et la présence de l’immigration clandestine dans la société guyanaise se retrouvent dans les actes de violence. Un grand nombre de faits de violence ne sont pas déclarés car ils touchent des immigrés clandestins. Et pourtant, les statistiques montrent un nombre de faits de violence contre les personnes déjà très élevé.
Selon le directeur départemental de la sécurité publique, si l’on ne tient pas compte des infractions à la législation sur les étrangers, les mineurs sont moins impliqués dans la délinquance que dans l’hexagone, 12 à 14 % des délits contre 18 à 20 %, mais la délinquance des mineurs connaît une forte progression, avec une violence importante.
Les services de police sont confrontés à une violence importante de la part des immigrés illégaux, notamment du Guyana. Les Guyaniens sont en effet surreprésentés dans la délinquance générale.
Concernant la répartition des zones entre police et gendarmerie, vos rapporteurs ont observé un accord sur l’extension de la zone de compétence de la police, actuellement limitée à la ville de Cayenne, à toute l’agglomération de Cayenne, c’est-à-dire Rémire-Montjoly et éventuellement Matoury, dans une logique de continuité territoriale entre les lieux de commission des délits et les lieux de résidence des délinquants.
Il convient enfin de mentionner, au titre des particularités guyanaises, la présence du centre spatial guyanais, à Kourou, qui bénéficie d’une vigilance particulière en matière de sécurité publique.

    • b) Des dérogations au droit commun

Comme dans le droit commun, les services de l’État peuvent éloigner un étranger sans attendre le délai de quarante-huit heures et donc sans le présenter devant le juge des libertés et de la détention. En revanche, l’appel de la décision d’éloignement n’est pas suspensif. Sans cette dérogation, le centre de rétention administrative de Cayenne serait très vraisemblablement engorgé.
Une autre dérogation notable, par analogie avec les interpellations en haute mer, réside dans le fait que les dispositions relatives à la garde à vue ne s’appliquent qu’à partir d’un délai de vingt heures après l’interpellation en cas d’exploitation minière illégale, sur autorisation expresse du parquet, de façon à permettre d’extraire de la forêt amazonienne les personnes interpellées et de les transférer à Cayenne.
Au titre des dérogations par rapport au droit commun, on peut aussi relever l’existence d’une zone à accès réglementé, accessible sur autorisation préfectorale, au sud d’une ligne Maripasoula-Camopi.
Enfin, deux postes de contrôle routier intérieurs, tenus par la gendarmerie nationale, contrôlent tous les véhicules. Ils sont situés l’un sur la RN 1 de Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni, dans le bourg de la commune d’Iracoubo, sur le pont qui enjambe le fleuve qui a donné son nom à la commune, et l’autre sur la RN 2 de Cayenne à Saint-Georges-de-l’Oyapock à Bélizon, sur la commune de Régina. Toutefois, sans mettre en cause le travail des gendarmes, on peut s’interroger sur la réelle efficacité de postes fixes, plus aisés à contourner dès lors qu’ils sont connus, alors qu’au demeurant ils constituent une entrave à la liberté de circulation sur le territoire.

    • c) Les opérations Harpie de lutte contre l’orpaillage clandestin

La richesse aurifère de la Guyane attire de nombreux orpailleurs illégaux, le plus souvent des immigrés irréguliers brésiliens ou surinamiens. Outre le pillage des ressources, l’exploitation illégale constitue une source de pollution pour la faune et les populations, essentiellement amérindiennes, qui en vivent, en raison de l’utilisation du mercure qui se disperse dans les cours d’eau et intègre la chaîne alimentaire.
C’est ainsi un enjeu majeur écologique et sanitaire. Les orpailleurs perturbent le mode de vie et portent atteinte, y compris par la violence, aux populations qui vivent dans la forêt, notamment dans les communes de Maripasoula et Camopi. Nos collègues Josselin de Rohan, Bernadette Dupont, Jacques Berthou et Jean-Etienne Antoinette, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont également pu, lors de leur mission en décembre 2010, apprécier cette réalité.
Engagées depuis 2008, les opérations Harpie visent à détruire les sites d’orpaillage illégal, avec leur matériel, dispersés dans toute la forêt amazonienne guyanaise, ainsi qu’à interpeller les orpailleurs. Elles sont un exemple réussi d’approche transversale d’une problématique et de coopération entre services, en mobilisant, sous la coordination du préfet, outre la gendarmerie nationale qui en assure le pilotage, les forces armées et, depuis 2009, la police aux frontières. Ainsi que l’a expliqué à vos rapporteurs le général Jean-Pierre Hestin, commandant des forces armées en Guyane (FAG), les opérations Harpie sont les seules opérations non militaires auxquelles participent l’armée française. Ce sont des opérations de police administrative et judiciaire destinée à lutter contre l’orpaillage clandestin.
Selon les statistiques transmises à vos rapporteurs, Harpie a permis de saisir en 2010 plus de 200 armes à feu, près de 250 véhicules, dont de nombreux quads13(*), 288 pirogues et seulement 10,6 kilogrammes d’or. Cette faible quantité laisse penser que l’or extrait, le plus souvent alluvionnaire, est quotidiennement sorti des sites d’orpaillage. On recense également 3 288 carbets détruits et 1 413 personnes mises en cause, dont 1 226 étrangers en situation irrégulière. L’objectif est en effet de porter atteinte à l’organisation et à la logistique des orpailleurs.
La récente remontée des cours internationaux de l’or rend en outre plus attractif l’orpaillage clandestin en Guyane. Compte tenu de la rentabilité, les orpailleurs clandestins sont prêts à supporter de lourdes pertes causées par les forces françaises pour poursuivre leur activité.

Si les moyens déployés pourraient être encore renforcés, les limites des opérations Harpie résident désormais dans l’approche internationale. En effet, à ce jour, le Brésil et le Surinam, d’où sont originaires l’essentiel des orpailleurs clandestins, qui vivent en situation irrégulière et travaillent parfois dans d’effroyables conditions d’exploitation, n’ont pas une conception de l’orpaillage illégal aussi aiguë que celle des autorités françaises.
Le coût de la reconduite à la frontière d’un « garimpeiros » est extrêmement élevé pour les finances publiques, compte tenu des moyens notamment aériens mis en œuvre, a fortiori s’ils peuvent revenir facilement sur le territoire français.
Le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord avec le Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial est actuellement en cours d’examen par l’Assemblée nationale. L’accord vise à renforcer la coopération en matière de répression des activités d’exploitation aurifère illicites, à mieux sanctionner pénalement l’orpaillage illégal et à mieux encadrer l’activité de négoce de l’or ainsi que les activités connexes de l’orpaillage que sont la commercialisation de matériels d’exploitation et le transport sur le fleuve.

B. LE DÉFI PERMANENT DE L’IMMIGRATION CLANDESTINE

La Guadeloupe et surtout la Guyane sont confrontées à un problème de maîtrise des flux migratoires irréguliers. Plusieurs personnes rencontrées par vos rapporteurs, en Guyane comme en Guadeloupe, ont d’ailleurs utilisé l’expression « vider la mer avec une petite cuillère » pour évoquer l’ampleur de la tâche à accomplir, dans les conditions actuelles. La Martinique, quant à elle, demeure nettement moins concernée par l’immigration clandestine.
Dans son rapport public annuel pour 2011, la Cour des comptes a d’ailleurs relevé les carences et les faiblesses de la politique de l’État pour la maîtrise des flux migratoires illégaux en Guyane. Avant de formuler plusieurs recommandations, elle relève notamment que « les flux migratoires irréguliers présentent (...) des spécificités qui rendent leur maîtrise difficile », de sorte que « les résultats sont peu satisfaisants ».

  • 1. L’illusion de la frontière en Guyane

Alors que la population officielle guyanaise est de 220 000 personnes, on évalue, selon les différentes informations données à vos rapporteurs, de 30 000 à 60 000 voire 80 000 le nombre d’immigrés illégaux, soit de l’ordre de 20 à 30 % de la population totale. Cette proportion est plus importante dans les communes de l’ouest, notamment Saint-Laurent-du-Maroni.
Porte d’entrée de l’Union européenne en Amérique du sud, la Guyane est le seul territoire de l’Union européenne à avoir une frontière terrestre - et fluviale pour l’essentiel - avec l’Amérique du sud.
La Guyane représente un territoire d’attractivité économique pour les populations des États voisins, en particulier le Brésil, le Surinam et le Guyana. Selon les informations données à vos rapporteurs, le produit intérieur brut par habitant est trois à quatre fois plus élevé en Guyane qu’au Surinam ou dans l’État frontalier brésilien de l’Amapa.

La construction en cours entre le Brésil et la France du pont sur l’Oyapock, que vos rapporteurs ont pu observer en se rendant dans la commune brésilienne d’Oiapoque depuis Saint-Georges-de-l’Oyapock et dont l’achèvement est prévu dans le courant de l’année 2011, devrait amplifier les flux économiques et démographiques vers la Guyane, d’autant que l’État de l’Amapa a construit une route entre la capitale de l’État, Macapa, et Oiapoque, de façon à tirer bénéfice de ce nouveau pont international, le premier qui relie la Guyane française à un État frontalier.
Selon le directeur départemental de la police aux frontières, le chiffre de 9 000 reconduites à la frontière a été atteint en 2010, à comparer aux 4 000 réalisée en 2002. Sans remettre en cause les efforts très importants déployés par les services de l’État engagés dans la lutte contre l’immigration illégale, ces chiffres sont cependant à relativiser fortement, compte tenu de la facilité avec laquelle peut revenir un étranger reconduit simplement de l’autre côté du fleuve, à Albina s’il est surinamien ou à Oiapoque s’il est brésilien.

    • a) La nécessité de renforcer la coopération internationale régionale

La population étrangère en situation irrégulière présente en Guyane est principalement constituée de Brésiliens, de Surinamiens et, dans une moindre mesure, de Guyaniens et d’Haïtiens. Les deux seuls États limitrophes de la Guyane française que sont le Brésil, à l’est et au sud, et le Surinam, à l’ouest, représentent environ 80 % de l’immigration illégale, selon les statistiques d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière transmises à vos rapporteurs. A ce jour, les éloignements s’effectuent par pirogue de Saint-Laurent-du-Maroni vers la ville limitrophe d’Albina, pour les Surinamiens, et de Saint-Georges-de-l’Oyapock vers la ville limitrophe d’Oiapoque pour les Brésiliens.
Dans ces conditions, il est impératif d’avoir avec les pays d’origine des relations qui permettent le retour dans des conditions satisfaisantes de leurs ressortissants en situation irrégulière. Sur ce plan, l’année 2010 a connu deux tendances contradictoires, ainsi que l’a exposé à vos rapporteurs M. Philippe Duporge, directeur départemental de la police aux frontières.
D’une part, des pistes de coopération policière sont apparues avec le Surinam et le Guyana. Les autorités surinamiennes semblent désireuses de développer la coopération avec la France et prêtes à faire avancer en matière de retour de leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire de la Guyane française.
Ainsi, depuis octobre 2010, le consul général du Surinam collabore avec la police aux frontières pour permettre le retour par avion à Paramaribo des détenus surinamiens en situation irrégulière à leur libération du centre pénitentiaire de Guyane, ce qui ouvre une possibilité plus efficace que la reconduite à Albina, ville en face de Saint-Laurent, de l’autre côté du fleuve. Les autorités du Guyana, quant à elles, ont accepté en novembre 2010, pour la première fois, une reconduite par avion à Georgetown, après avoir délivré un laissez-passer consulaire, pour un ressortissant guyanien en situation irrégulière qui était recherché dans son pays. Au-delà de ces premiers signes encourageants, cette tendance positive doit être maintenant confirmée et amplifiée, grâce à une action diplomatique appropriée.

D’autre part, la situation s’est dégradée avec le Brésil. Comme les y autorise l’accord bilatéral relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé en 1996, les autorités fédérales brésiliennes ont décidé en janvier 2011 que le port d’Oiapoque, sur le fleuve Oyapock, en face de Saint-Georges, serait le seul point de réadmission des Brésiliens reconduits depuis la Guyane. Or, jusque là, les reconduites pouvaient se faire par avion vers les villes de Macapa, Belém ou Manaus, dont l’éloignement était plus dissuasif pour les personnes tentées de revenir en Guyane.
Vos rapporteurs, qui se sont rendus à Oiapoque en pirogue, n’ont pu que constater effectivement la facilité avec laquelle un Brésilien qui y était reconduit par la police aux frontières pouvait revenir sur le sol français. Il en est de même sur le Maroni pour le Surinam, alors que dans l’hexagone la reconduite à la frontière est intercontinentale.
L’amplification des mesures d’éloignement par avion vers leur pays d’origine des ressortissants brésiliens, surinamiens et guyaniens, plus efficaces pour dissuader le retour des étrangers en situation irrégulière que la simple reconduite à la frontière fluviale aisément franchissable, suppose de renforcer la coopération bilatérale, car les États concernés ne sont pas tenus d’accepter les modalités des mesures d’éloignement. Les représentants de la gendarmerie, confrontés quotidiennement à l’immigration irrégulière, insistent eux aussi pour qu’une action soit menée à destination des pays d’origine, sans quoi il reste illusoire et inefficace de reconduire à la frontière simplement de l’autre côté du fleuve, en pirogue.

Vos rapporteurs invitent le Gouvernement à déployer tous les efforts diplomatiques nécessaires pour obtenir du Brésil, du Surinam et du Guyana des modalités satisfaisantes d’éloignement de leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire de la Guyane française, faute de quoi l’éloignement, non seulement continuera à mobiliser d’importants crédits publics, mais n’aura pas de réelle efficacité.

    • b) La « culture du fleuve » et la perméabilité des frontières

Vos rapporteurs, au cours de leurs déplacements le long du Maroni et de l’Oyapock, ont pu expérimenter la « culture du fleuve », c’est-à-dire le fait que les fleuves ne sont pas perçus comme des frontières mais comme des voies de communication et d’échange. Ils ont pu le vérifier par eux-mêmes.
A cet égard, il convient de distinguer les trajets d’une rive à l’autre des populations et des familles, en particulier amérindiennes et bushinenge, qui habitent de part et d’autre du fleuve, et l’utilisation du fleuve comme porte d’entrée pour une immigration clandestine provenant du Brésil et du Surinam, qui grossit ensuite les rangs des orpailleurs clandestins (les « garimpeiros »), des travailleurs clandestins de la région de Cayenne et des bâtisseurs d’habitats illégaux le long de la route du littoral.

La facilité de navigation sur les deux fleuves frontaliers, qui permet de les franchir aisément en pirogue, rend illusoire la maîtrise complète des flux migratoires entre les deux rives, malgré le dévouement des fonctionnaires que vos rapporteurs ont rencontrés, en particulier des gendarmes.
A Saint-Laurent-du-Maroni, dans les bourgs d’Apatou, de Papaïchton et de Maripasoula ou encore à Saint-Georges-de-l’Oyapock, on ne peut que constater les trajets incessants d’une rive à l’autre. Ceux-ci sont d’autant plus fréquents sur le Maroni que les prix des produits de consommation sont bien inférieurs dans les nombreux commerces installés sur la rive surinamienne, de sorte que de nombreux habitants de la rive française se rendent sur l’autre rive, comme vos rapporteurs l’ont observé par eux-mêmes. Selon les informations qui leur ont été données, les commerçants installés sur la rive surinamienne en face de Maripasoula mettent gratuitement à disposition des pirogues pour traverser pour accueillir aussi bien des Français que des « garimpeiros ». La présence d’hôtels atteste de l’existence d’un phénomène de prostitution.
Certains élus des communes du littoral ont expliqué à vos rapporteurs que les habitants du fleuve vont dépenser au Surinam les revenus des transferts sociaux qu’ils perçoivent en France, au détriment du développement local. On constate même que de nombreuses familles qui habitent au Surinam, dans la commune d’Albina face à Saint-Laurent-du-Maroni, perçoivent des allocations familiales sans résider sur le territoire français. Vos rapporteurs appellent à une prise en compte plus stricte de cette situation pour y apporter les réponses appropriées, le cas échéant en se référant aux pratiques en vigueur pour les frontaliers lorsque les personnes sont de nationalité française.

Compte tenu des effectifs de fonctionnaires affectés en Guyane dans les zones frontalières et dans l’intérieur, il serait vain de croire possible de contrôler réellement les flux migratoires ou frontaliers. Dans ces conditions, l’objectif consiste plutôt à tenter de les limiter pour éviter qu’ils s’amplifient. A cet égard, selon le directeur départemental de la police aux frontières, le taux de réitération en matière d’immigration irrégulière serait passé de 70 % à 50 % en quelques années, ce qui pourrait illustrer l’effet dissuasif de l’action intensive des services de l’État.
A long terme, cependant, l’immigration irrégulière va s’avérer de plus en plus coûteuse pour l’économie et la société guyanaises, car les immigrés illégaux cherchent à s’installer sur le territoire de la Guyane et ne constituent pas une immigration de transit. Vos rapporteurs invitent le Gouvernement à renforcer significativement les effectifs de la police et de la gendarmerie, en tenant compte de la population réelle de la Guyane et de sa croissance rapide, pour faire face certes à la force de la pression migratoire, mais également au contexte plus général de violence.

c) L’impact de l’immigration clandestine sur la question du logement

L’immigration irrégulière est responsable de l’essentiel de l’habitat illégal en Guyane. Selon les informations données à vos rapporteurs, aucun jugement ordonnant la destruction d’une construction illégale n’a été exécuté depuis cinq ans en Guyane.
Lors de son entretien avec vos rapporteurs, à l’hôtel de ville de Cayenne, Mme Marie-Laure Phinéra-Horth, maire de Cayenne, a fait état des conséquences de la présence massive de populations immigrées sur le territoire de la commune, par exemple dans le quartier de la Mâtine où vivent de nombreux Brésiliens. Alors que la population officielle de Cayenne est de 57 000 personnes, il faut y ajouter environ 20 000 immigrés illégaux, soit une population totale avoisinant les 80 000 personnes, ce qui pèse lourdement sur les dépenses de la commune, en raison par exemple de l’impact financier de la scolarisation des enfants étrangers (construction de bâtiments scolaires et recrutement de personnels municipaux).
De nombreuses plaintes proviennent des administrés à l’encontre du comportement de ces populations brésiliennes, qui occupent de force et illégalement des terrains, et n’hésitent pas à menacer les habitants. La plupart des constructions du quartier de la Mâtine est illégale, seule une minorité est autorisée, mais les procédures judiciaires ne suivent pas. Dans ce quartier sans eau ni électricité, des bornes d’eau ont néanmoins été installées pour la population, mais nombreux sont les branchements illégaux sur les réseaux d’eau et d’électricité, générant alourdissement des factures d’eau et baisses de tension sur le réseau électrique.

Devant la quasi impossibilité de fait d’expulser les occupants sans titre - qui ne sont pas tous des immigrés clandestins - et l’absence pour la ville de capacités de relogement, a été prise la décision, en accord avec le préfet, de régulariser certaines constructions, pour certaines familles.
Mme Marie-Laure Phinéra-Horth a affirmé à vos rapporteurs que ce lourd problème pénalise toutes les communes, car elles accueillent toutes une forte population étrangère irrégulière, notamment Macouria et Saint-Laurent.
Lors de leurs trajets par la route du littoral entre Cayenne et Saint-Laurent, vos rapporteurs ont pu constater la multiplication et l’ampleur de l’habitat illégal ou « spontané », à l’exception du secteur de Kourou, qui ne connaît pas ce problème, en raison de la vigilance particulière autour du site du centre spatial, ainsi que l’a fait observer notre collègue Jean-Étienne Antoinette.
C’est pourquoi, sous l’autorité du préfet, a été constituée une cellule dédiée de lutte contre l’habitat illégal. Compte tenu de l’ampleur de la tâche à accomplir, un nombre limité de secteurs ont été définis dans un premier temps, sur les communes de Macouria, Rémire-Montjoly puis Cayenne. A Macouria par exemple, on évalue à 550 le nombre d’habitations illégales, pour environ 2 000 habitants. La cellule, dont la mission est de parvenir à la destruction des constructions illégales, travaille avec toutes les administrations concernées, y compris avec le parquet, mais elle est confrontée à l’insuffisance des moyens de la justice : malgré son travail les décisions de justice ne suivent pas. Seule la comparution immédiate permet d’obtenir la rédaction rapide d’un jugement, sans quoi les délais sont extrêmement longs et les jugements ordonnant la destruction ne sont pas exécutés parce qu’ils ne sont même pas rédigés.

  • 2. Un répit relatif en Guadeloupe

En Guadeloupe, la population étrangère en situation irrégulière est composée majoritairement d’Haïtiens, pour lesquels, en raison du séisme de janvier 2010, les mesures d’éloignement ont été suspendues par les autorités françaises, suscitant un répit artificiel pour les fonctionnaires concernés. Selon les informations données à vos rapporteurs par la direction départementale de la police aux frontières, cette suspension devrait durer longtemps compte tenu de la situation actuelle en Haïti.
Cette situation apparaît dans les statistiques d’éloignement données à vos rapporteurs : après 1 700 en 2008, elles diminuent à environ 800 en 2009 - alors d’ailleurs que le séisme a eu lieu en 2010 - pour tomber à 300 en 2010. Ces chiffres d’éloignement illustrent bien la différence de situation entre la Guadeloupe, même avant la suspension de l’éloignement des Haïtiens, et la Guyane.
Dès lors, l’effort de lutte contre l’immigration clandestine se porte sur les autres nationalités représentées, en particulier les Dominiquais, originaires de l’île voisine de la Dominique, les Dominicains, issus de la République dominicaine, et diverses autres nationalités qui viennent par Saint-Martin.
Le taux de réitération est assez important chez les étrangers provenant des îles voisines de la Guadeloupe, par bateau. La majorité des éloignements se fait par avion.
Comme en Guyane, il existe une difficulté pour l’éloignement de certaines nationalités qui ne disposent pas d’une représentation consulaire en Guadeloupe, par exemple le Guyana et la Chine. Dans ces conditions il est extrêmement difficile d’obtenir un laissez-passer consulaire car, pour la Chine, il faut présenter l’étranger au consulat à Paris, qui peut refuser de délivrer le laissez-passer, de sorte que l’étranger est relâché à Paris. En revanche, les nombreux accords passés avec les États voisins de la Caraïbe permettent d’éviter ce problème et de reconduire sans laissez-passer consulaire.
Alors que les Haïtiens sont très peu impliqués dans les phénomènes de violence, les Dominiquais commettent la grande majorité des crimes et délits commis par des étrangers, souvent des violences avec arme. Beaucoup de réseaux d’immigration clandestine passent par la Dominique, où transitent des étrangers venus d’ailleurs pour se rendre en Guadeloupe.
L’absence de contrôle de la frontière à Saint-Martin crée un problème spécifique d’immigration, du fait des entrées par la partie néerlandaise. Elles sont généralement le fait d’étrangers qui s’installent dans la partie française, mais ne se rendent pas en Guadeloupe.

  • 3. Les deux centres de rétention administrative de Guyane et de Guadeloupe

Vos rapporteurs ont visité les deux centres de rétention administrative implantés dans ces départements, à Rémire-Montjoly (Guyane) et aux Abymes (Guadeloupe), la Martinique n’étant pas dotée d’un tel centre. La pression migratoire de la zone s’exerce en effet sur la Guyane et, dans une mesure moindre bien sûr, en Guadeloupe.
Le centre de rétention de Guyane compte trente-huit places, capacité qui n’est jamais dépassée selon le directeur départemental de la police aux frontières. En effet, la plupart des reconduites s’effectuent sans passage par le centre de rétention, dans un délai de moins de quarante-huit heures, donc sans passage non plus devant le juge des libertés et de la détention. Une part significative des étrangers retenus au centre de rétention sont sans documents d’identité, de sorte qu’ils sont ensuite relâchés sur le territoire français s’il est impossible de déterminer leur identité et leur pays d’origine. Compte tenu du taux élevé de réitération, le matériel de collecte de données biométriques dont dispose le centre permet d’identifier plus facilement les étrangers.
Malgré la présence de plusieurs préfabriqués hébergeant des bureaux pour le personnel et le cabinet médical, vos rapporteurs ont pu apprécier la bonne tenue du centre. Les quartiers femmes et hommes sont convenablement séparés. Vos rapporteurs ont rencontré une représentante de la Cimade, qui a déploré que seule une minorité des étrangers en situation irrégulière passe par le centre de rétention, la majorité étant éloignés en moins de quarante-huit heures directement après leur interpellation.
Ouvert en 2008, le centre de rétention de Guyane a succédé, après une mise aux normes des bâtiments et des conditions d’accueil, à un local de rétention administrative qui se trouvait dans les mêmes locaux. Il doit faire l’objet d’une extension prochaine, en vue de porter à soixante-quatre places ses capacités, afin de faire face dans de meilleures conditions à l’afflux d’étrangers en situation irrégulière, notamment de familles pour la rétention desquelles il n’est pas autorisé actuellement.
Le centre de rétention de Guadeloupe peut accueillir jusqu’à quarante personnes. Il n’est pas autorisé à accueillir des familles. Les quartiers femmes et hommes sont convenablement séparés. Contrairement au centre de Guyane où les délais d’éloignement sont plus rapides, les étrangers y restent en moyenne trois jours, de sorte que 60 % d’entre eux sont présentés, après quarante-huit, devant le juge des libertés et de la détention.
Le centre a été ouvert en 2005. Un projet d’extension est à l’étude actuellement, couplé avec la création d’une zone d’attente sur le même site du Morne Vergain, aux Abymes, la mise aux normes de la zone d’attente située dans l’aéroport ayant été jugée impossible par manque de place.

C. UN ÉTAT DE LA JUSTICE EXTRÊMEMENT INQUIÉTANT

Dans les trois départements, vos rapporteurs ont tenu à rencontrer les chefs de juridiction et les responsables du parquet (cours d’appel et tribunaux de grande instance). A cet égard, ils déplorent que le président du tribunal de grande instance de Cayenne ne se soit pas rendu à leur invitation, pour motif de grève dans la juridiction selon les informations fournies, de même que les responsables de la mission de préfiguration de la cour d’appel de Cayenne.
En Martinique, en Guadeloupe et encore davantage en Guyane, les moyens de la justice ont paru tellement insuffisants à vos rapporteurs qu’ils en nourrissent une grande inquiétude sur la réalité de l’accès des citoyens à la justice comme sur le respect par l’État des droits des justiciables.

  • 1. L’insuffisance générale des moyens de la justice

L’insuffisance des moyens de fonctionnement de la justice, dans les trois départements français d’Amérique, conduit à sacrifier le contentieux civil pour pouvoir traiter les affaires pénales, alors que le premier est le plus important pour le quotidien de la population. Les juridictions civiles paraissent dans une situation sinistrée.
Vos rapporteurs estiment qu’il manque de très nombreux postes de magistrats et de personnels de greffe pour, dans ces départements, rendre la justice dans des conditions dignes pour les justiciables et acceptables pour les personnels. Cette situation dégradée accentue, en outre, la difficulté de trouver des magistrats et des greffiers souhaitant venir en poste dans les Antilles et en Guyane.

    • a) La situation des juridictions en Guyane

L’activité du tribunal de grande instance de Cayenne est comparable à celle d’une très grosse juridiction, avec 30 000 affaires chaque année. Selon M. François Schneider, procureur de la République, le service public de la justice ne peut plus être assuré, en raison du grave sous-dimensionnement des effectifs (cinq magistrats du parquet et dix-sept magistrats du siège). Le climat moral est très mauvais chez les magistrats comme chez les personnels du greffe. Une aggravation des dysfonctionnements est à craindre pour l’avenir.
La situation du greffe du tribunal de grande instance de Cayenne est plus que préoccupante, avec 48 fonctionnaires (dont six en longue maladie), contre 90 au tribunal de grande instance de Fort-de-France, pour une activité, à titre de comparaison, de 12 000 gardes à vue et 780 comparutions immédiates à Cayenne, contre 5 000 gardes à vue et 500 comparutions immédiates à Fort-de-France. Comme le personnel de greffe, les magistrats du parquet devraient être deux fois plus nombreux. La comparution immédiate, à laquelle il est recouru de façon dans une proportion élevée de dossiers, est devenue le seul moyen d’obtenir un jugement pénal signifié dans des délais normaux.
De plus, compte tenu de ces graves sous-effectifs et de la fréquence des mutations des magistrats, que la dégradation de la situation ne contribue pas à ralentir, le parquet n’est pas réellement en mesure de conduire des enquêtes complexes, notamment en matière de délinquance financière, qui est très présente en Guyane.
La perspective de la création, au 1er janvier 2012, d’une cour d’appel à Cayenne, en lieu et place d’une chambre détachée de la cour d’appel de Fort-de-France, qui siège de façon intermittente, ne pourra apporter qu’une réponse partielle et indirecte, sans renforcement suffisant des effectifs du tribunal.

    • b) La situation des juridictions en Martinique

Le premier président de la cour d’appel de Fort-de-France, M. Hervé Expert, a déploré la baisse des effectifs des juridictions en Martinique, alors que la charge de travail comme les attentes des justiciables augmentent. Selon lui, pas un seul secteur du ressort de la cour d’appel ne fonctionne bien.
Pour gagner du temps dans les délais de jugement en matière pénale, il y a une tendance forte à « correctionnaliser » les crimes, de façon à ne pas avoir à réunir davantage la cour d’assises, avec la mobilisation en personnel que cela suppose, et à donner une réponse pénale plus rapide. Ainsi, même les vols à main armée passent en comparution immédiate. On assiste au même phénomène en Guadeloupe. Pour autant, les délais d’audience sont toujours d’environ deux ans pour les criminels mineurs.
Le premier président de la cour d’appel a aussi souligné la récurrence du thème de la « justice coloniale », y compris de la part de certains avocats35(*). Les magistrats affectés en Martinique subissent une mise en cause de l’institution judiciaire, qui tend à s’accroître depuis quelques années malgré une bonne entente aujourd’hui avec le barreau de Fort-de-France.
Les magistrats sont régulièrement mis en cause, les requêtes en récusation, les provocations et les suspicions sont nombreuses. Il existe une revendication récurrente, certes chez une minorité de la population, d’être jugé par des juges antillais, ce qui tend à perturber et biaiser le fonctionnement de la justice localement et, en tout état de cause, nécessite de motiver sérieusement les décisions et demande beaucoup d’écoute et d’explications. La crise de début 2009, lors de laquelle la justice a correctement joué son rôle en tenant les audiences de comparution immédiate lorsque c’était nécessaire, demeure dans les esprits. Ainsi, la politisation de l’audience est fréquente, de sorte que tout procès peut avoir une forte résonance politique dans l’opinion publique locale.
Le statut de juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Fort-de-France requiert de la part des personnels un investissement supplémentaire et occupe chaque année huit personnes pendant des mois. Cela conduit à développer des relations avec les autorités judiciaires étrangères de la région, a fortiori lorsqu’il n’existe pas de conventions internationales de coopération judiciaire comme c’est le cas malheureusement avec Sainte-Lucie.

    • c) La situation des juridictions en Guadeloupe

La situation des juridictions en Guadeloupe n’est guère meilleure que celle en Martinique, et ce d’autant que le ressort de la cour d’appel s’étend à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ce qui pose d’importantes difficultés, d’un point de vue matériel notamment.
Les deux tribunaux de grande instance de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre rencontrent, comme ailleurs, des problèmes de locaux et de ressources humaines, mais celui de Pointe-à-Pitre présente l’activité la plus soutenue, compte tenu de la concentration humaine et économique ainsi que de la délinquance. Selon la présidente du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, un récent rapport de l’inspection générale des services judiciaires a conclu qu’il manquait deux magistrats et huit fonctionnaires de greffe.
Le tribunal de grande instance de Basse-Terre rencontre, quant à lui, des difficultés du fait du rattachement à son ressort du tribunal d’instance de Saint-Martin (deux juges d’instance et un greffier), qui engendre des coûts importants de transport, d’autant que le moyen de transport depuis Saint-Martin est l’avion et que l’aéroport de Guadeloupe est à Pointe-à-Pitre et non à Basse-Terre.

Pour les affaires criminelles et complexes, Saint-Martin dépend du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre. Il existe dans les faits à Saint-Martin un embryon de chambre détachée du tribunal de grande instance de Basse-Terre, avec deux magistrats sur place (un vice-procureur et un vice-président chargé des enfants), sans greffe. Le transit des dossiers entre Saint-Martin et Basse-Terre est très compliqué, et ce d’autant que le service d’exécution des peines est à Basse-Terre. Les audiences correctionnelles pour Saint-Martin se tiennent à Basse-Terre, ce qui pose des problèmes pratiques.
Il n’est pas possible de faire des comparutions immédiates à Saint-Martin. Selon la présidente du tribunal de grande instance de Basse-Terre, la solution serait la création d’une véritable chambre détachée à Saint-Martin, de façon à correctement rendre la justice sur place, car les besoins sont importants : il existe un vrai problème de visibilité de l’autorité de la justice pour les habitants de Saint-Martin, alors que la délinquance y est endémique. En outre, il n’existe pas de lieu de détention à Saint-Martin, ce qui impose le transport des personnes prévenues, avec le coût et les risques que cela représente, qui s’ajoutent au coût des trajets sur place pour les juges d’instruction ou à l’impossibilité de procéder à des autopsies sur place. Le contentieux des étrangers est également complexe pour les étrangers en situation irrégulière interpelés à Saint-Martin, qui relèvent de la compétence du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre : si l’étranger est conduit devant le juge des libertés et de la détention et que celui-ci n’ordonne pas le placement en rétention, il est livré à lui-même sans pouvoir retourner à Saint-Martin par manque de moyens.
Vos rapporteurs ne peuvent qu’approuver la proposition de créer une chambre détachée à Saint-Martin, de façon à y assurer un accès plus efficace et plus effectif à la justice.

Le contentieux civil est très lourd et complexe en Guadeloupe, nourri notamment par les questions foncières (indivisions, indigence du cadastre). Il représente une grosse activité, rapporté à la population. Néanmoins, du fait du manque de moyens et du développement rapide du contentieux pénal, la justice civile, justice du quotidien, est de plus en plus délaissée, au détriment de la population. En cas de pénurie, selon M. Henry Robert, premier président de la cour d’appel de Basse-Terre, la priorité est donnée à la justice pénale et à la justice des enfants.
Le premier président a également signalé l’insuffisance chronique des frais de justice dans le ressort de la cour d’appel, générant de tels retards de paiement, notamment en matière d’expertise psychiatrique, indispensable pour toute affaire criminelle et de nombreuses décisions en matière d’aménagement de peine, qu’à ce jour les experts psychiatres refusent de travailler pour la justice. De même, une société spécialisée refuse de poursuivre des écoutes téléphoniques en raison du même défaut de paiement. _ Avec les crédits affectés, il n’est pas possible de régler les seuls arriérés de frais de justice.

Concernant enfin le tribunal administratif de Basse-Terre, le seul dont vos rapporteurs aient pu rencontrer le président, ils ont pu constater le stock des affaires par magistrat. Les délais moyens de jugement y sont de deux ans et demi, contre onze mois en moyenne en métropole grâce aux efforts mis en œuvre ces dernières années en vue de les réduire. Sont encore traitées des dossiers de la fin des années 1990. L’objectif fixé par la présidente du tribunal pour la fin de l’année 2011 est de juger tous les dossiers de 2006 : si les délais moyens de jugement sont de deux ans et demi, ils sont en effet de cinq ans pour les dossiers non urgents. Créé en 2007 après avoir été une dépendance du tribunal administratif de Fort-de-France, le tribunal administratif de Basse-Terre serait peu attractif pour les magistrats administratifs, de sorte que ce sont toujours des magistrats en début de carrière qui y sont affectés.

  • 2. La défaillance de l’exécution des jugements

La Guyane est particulièrement touchée par ce phénomène, du fait de l’engorgement et de l’insuffisance de moyens humains du greffe du tribunal de grande instance de Cayenne. Lorsque les audiences ont lieu et que les jugements sont prononcés, il existe un tel retard dans la frappe des jugements par le greffe qu’en pratique, ils ne sont pas rédigés et donc ne peuvent pas être signifiés et encore moins mis à exécution.
Vos rapporteurs ont été particulièrement choqués de cette situation de « justice virtuelle » que vit la Guyane, qui existe également en Guadeloupe, dans une moindre mesure semble-t-il, alors même que les faits de délinquance y sont particulièrement graves et nombreux.
Concernant les procédures engagées en matière d’habitat illégal, la maire de Cayenne a d’ailleurs signalé à vos rapporteurs que, si le travail se faisait dans un esprit de dialogue avec la préfecture, les procédures souvent ne parvenaient pas à aboutir, du fait de l’engorgement de la justice.
Selon le premier président de la cour d’appel de Fort-de-France, le conseil de prud’hommes de Cayenne ne rend plus de décisions depuis trois ans, faute de personnel. Il confirme que le tribunal de grande instance de Cayenne n’arrive plus à fonctionner et ne peut plus signifier les jugements.

La Martinique est également touchée par les difficultés d’exécution des peines, en raison du manque de personnel pour le suivi de l’exécution, mais également du fait de la surpopulation du centre pénitentiaire de Ducos : pour ne pas faire « péter Ducos », selon l’expression imagée souvent utilisée par les interlocuteurs de vos rapporteurs, les peines de prison ne sont pas exécutées, au risque de laisser les condamnés continuer à vivre librement près de leurs victimes. Selon M. Tristan Gervais de Lafond, président du tribunal de grande instance de Fort-de-France, en raison du manque de magistrats et surtout de greffiers, on court le même risque qu’en Guyane de ne plus pouvoir signifier et donc exécuter les jugements, car les mesures d’urgence prises pour gérer l’engorgement au quotidien sont au bout de leurs effets et la désorganisation s’amplifie.

En Guadeloupe, au tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, selon sa présidente, 650 décisions sont en attente d’exécution en matière correctionnelle : les jugements ne sont pas rédigés faute de personnels. Ainsi, de nombreuses peines ne sont pas exécutées. Au service de l’exécution des peines, 300 dossiers sont en situation non traitée.

Vos rapporteurs appellent avec gravité l’attention du Gouvernement sur la situation extrêmement préoccupante de la justice en Guyane et dans les Antilles, qui porte manifestement atteinte à l’égalité devant la justice, car la mission régalienne qu’est la justice n’est plus en mesure d’être remplie. Il n’est pas acceptable que nos compatriotes n’aient pas accès à la justice dans des conditions normales.

  • 3. Des personnes françaises sans état civil en Guyane

Plusieurs personnes ont signalé à vos rapporteurs un phénomène de portée limitée mais préoccupant, qui n’est pas lié à l’immigration clandestine mais à la géographie de la Guyane. Des personnes, pourtant nées en Guyane et d’origine française, ne disposent pas d’un état civil, faute de déclaration de naissance dans le délai légal. Il en résulte de nombreux jugements déclaratifs de naissance pour permettre l’attribution d’un état civil.


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