Haïti : L’émigration pour fuir les catastrophes, la diaspora pour faire marcher l’économie

IRI News, 22 février 2010
lundi 22 février 2010

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Lire en anglais : HAITI : Disasters fuel migration, diaspora fuels economy

NAIROBI, 22 février 2010 (IRIN)
Depuis 1994, huit catastrophes naturelles se sont abattues sur Haïti. Le tremblement de terre du mois de janvier risque de provoquer l’émigration de centaines de milliers d’Haïtiens supplémentaires qui cherchent à se soustraire aux conséquences de la dernière catastrophe, mais aussi à échapper à la prochaine – ainsi qu’aux conflits politiques et à la pauvreté.
Selon une étude récente réalisée par la Banque interaméricaine de développement (BID), le coût de la reconstruction en Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier, qui a fait 217 000 morts et 511 405 déplacés, pourrait atteindre 14 milliards de dollars.
L’exode a commencé : les Haïtiens sont nombreux à fuir le pays pour s’installer à l’étranger, légalement ou non. Par ailleurs, les Nations Unies estiment à plus de 500 000 le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays.

« Au cours des dix dernières années, un grand nombre d’Haïtiens sont partis vivre à l’étranger, mais nous savions que la diaspora augmenterait plus rapidement après le tremblement de terre de janvier », a dit Mark Turner, porte-parole de l’Office des migrations internationales (OMI) à Haïti.
Selon Kathleen Newland et Elizabeth Grieco, de l’Institut des politiques de migration, les principales destinations sont les États-Unis et la République dominicaine. D’autres Haïtiens choisissent la Guyane française, la Guadeloupe, la Martinique, la France métropolitaine et les Bahamas.
Des statistiques compilées en 2009 par la Banque mondiale montrent qu’environ un million d’Haïtiens vivaient déjà à l’étranger en 2009. Environ la moitié d’entre eux habitaient les États-Unis.

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les gouvernements étrangers ont commencé, quelques jours après le tremblement de terre du mois de janvier, à renforcer le contrôle aux frontières et à mettre en place de nouvelles procédures de sécurité en prévision de l’afflux de migrants en provenance de Port-au-Prince.

D’après les informations diffusées par les médias, un million d’Haïtiens vivaient déjà en République dominicaine avant le 12 janvier. Après le tremblement de terre, le pays a suspendu le rapatriement des Haïtiens clandestins et ouvert ses frontières pour laisser entrer les blessés. Il a également traité les dossiers des Haïtiens qui cherchaient à légaliser leur séjour au pays pour pouvoir visiter leur famille en Haïti.
Selon les médias, entre 30 000 et 50 000 Haïtiens auraient pénétré en territoire dominicain au cours du dernier mois, incluant entre 15 000 et 20 000 blessés.

Importance des transferts de fonds privés

Les économistes de la Banque mondiale estiment que le fait de permettre à un grand nombre d’Haïtiens de vivre à l’étranger pourrait contribuer au développement économique du pays. En effet, une diaspora plus nombreuse permettrait d’augmenter les transferts de fonds privés et de diminuer les pressions sur le gouvernement haïtien.
D’après Dilip Ratha, économiste en chef pour la Banque mondiale, Haïti reçoit chaque année entre 1,5 et 1,8 milliard de dollars d’envois de fonds. Si on calcule une augmentation de 20 pour cent du transfert de fonds moyen par migrant, l’exode de 200 000 nouveaux migrants pourrait rapporter à Haïti 360 millions de dollars de plus que l’an dernier.

Selon une étude publiée par le Bureau du recensement américain, les États-Unis ont accueilli, en 2008, 535 000 Haïtiens. Seuls 230 000 d’entre eux étaient des résidents permanents légaux.
L’étude indique également que les Haïtiens formaient, en 2008, le quatrième groupe d’immigrés (aux États-Unis) en provenance des Caraïbes après les Cubains (975 000), les Dominicains (771 910) et les Jamaïcains (636 589).

Adoption de mesures spéciales aux États-Unis

Le 15 janvier, le Département américain de la sécurité intérieure a annoncé que les Haïtiens qui résidaient aux États-Unis avant le 12 janvier pouvaient demander le Statut de protection temporaire (Temporary Protected Status, TPS). Le pays s’attend à accueillir 200 000 nouveaux immigrés haïtiens.
Jusqu’à présent, ce statut a été accordé aux citoyens d’Haïti, du Salvador, du Honduras, du Nicaragua, de la Somalie et du Soudan qui satisfont aux conditions.
Les Haïtiens qui en font la demande obtiennent un permis de travail valide pendant 18 mois. On suppose en effet que leur sécurité personnelle pourrait être compromise s’ils retournaient à Port-au-Prince.
Selon le Bureau américain de la citoyenneté et de l’immigration, 12 000 Haïtiens en avaient fait la demande le 12 février. Cinquante mille autres personnes avaient été autorisées à rejoindre leur famille aux États-Unis mais attendaient toujours leur visa en Haïti.

Réfugiés au sens strict du terme

Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels permettant de connaître le nombre total d’Haïtiens qui ont fui le pays depuis le mois de janvier, la Garde côtière américaine a arrêté, dans les dix derniers jours seulement, deux bateaux avec à leur bord 78 et 88 Haïtiens.
Les deux groupes ont été immédiatement rapatriés au Cap-Haïtien. L’événement a suscité les critiques de la communauté internationale, qui s’insurge contre un manque de tri des demandes d’asile. Compte tenu de la situation d’urgence, le HCR a appelé les gouvernements étrangers, le 12 février, à suspendre tous les retours involontaires et à assurer une protection temporaire à tous les Haïtiens, indépendamment de leur statut légal.

D’après le HCR, certains pays voisins d’Haïti planifiaient de forcer les Haïtiens [qui se sont réfugiés sur leur territoire] à retourner chez eux malgré le fait que plus de 1,2 million d’habitants sont toujours sans abri et que les conditions sont toujours précaires.

Selon la Convention de 1951 sur les réfugiés, le terme de « réfugiés » comprend les individus victimes de persécution, mais pas ceux qui fuient les catastrophes naturelles. Par conséquent, les Haïtiens qui émigrent à la suite du tremblement de terre ne sont pas considérés comme des réfugiés.

Loren B Landau, directrice du programme d’étude des migrations forcées de l’université de Witwatersrand, à Johannesbourg, a dit à IRIN : «  Même si certains Haïtiens ne sont clairement pas victimes de persécutions politiques et fuient seulement à cause du tremblement de terre, nous avons la responsabilité morale et politique de nous assurer que ces gens sont en sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Même s’il ne s’agit pas d’un exemple de migration climatique, la façon dont la communauté internationale réagit à cette crise pourrait nous montrer comment les pays riches voisins de pays pauvres ou qui se trouvent sur une île risquent de réagir lorsque ceux-ci ne seront plus capables d’assurer la survie de leur peuple ».