Kafka aux portes des consulats de France : en Haïti plus encore qu’ailleurs

Un rapport de la Cimade ; des exigences totalement inaccessibles en Haïti
jeudi 2 septembre 2010

"Visa refusé" : Enquête sur les pratiques des consulats de France en matière de délivrance des visas

Rapport d’observation de la Cimade juillet 2010
Analyse des politiques et des pratiques consulaires téléchargeable

La lecture de l’ensemble du rapport est intéressante et prouve que les difficultés rencontrées par les Haïtiens sont partagées par bien d’autres migrants même si elles sont dans leur cas, notamment depuis le séisme, particulièrement absurdes et souvent dramatiques. Ci-dessous quelques extraits où Haïti est mentionné.

DES LISTES DE PIÈCES JUSTIFICATIVES ÉTABLIES DE MANIÈRE ALÉATOIRE
La liste des pièces justificatives à fournir à l’appui d’une demande de visa symbolise parfaitement cette opacité : il n’existe aucune liste nationale et la réglementation reste muette sur cette question. Résultat : les consulats établissent eux-mêmes ces listes, sans aucun encadrement législatif.
Lorsque les exigences sont abusives, disproportionnées ou intrusives, ce qui est souvent le cas, le recours à la justice est généralement inopérant lorsque l’on veut faire reconnaître leur illégalité.
Un certain nombre de justificatifs sont exigés alors qu’ils n’ont aucun rapport avec le motif de la demande. (...)
En Haïti par exemple, l’état civil étant considéré comme peu fiable, les autorités françaises ont élaboré une liste de pièces à fournir spécifique : acte d’état civil accompagné d’un extrait des archives nationales d’Haïti, extrait d’archives établi après le 1er février 2008, double légalisation des documents, certificat de baptême ou de présentation au temple… Ces demandes
étaient déjà excessives avant le séisme qui a frappé Haïti en janvier 2010. Elles sont aujourd’hui impossibles à satisfaire pour les Haïtiens qui ont tout perdu sous les décombres. Pourtant les autorités françaises n’ont pas allégé le dispositif, empêchant de nombreux Haïtiens de rejoindre leur famille en France.

  • Complément : voir sur la liste officielle des documents à présenter pour l’obtention d’un visa
    http://www.migrantsoutremer.org/IMG/pdf/note_2010-06-1_annexeIII.pdf
    Cinq documents requis par l’ambassade de France en Haïti pour l’octroi d’un visa de court séjour à un enfant mineur
    • acte de naissance de l’enfant établi dans les deux années de la naissance
    • extrait d’archives établi après le 1er février 2008
    • certificat de baptême ou de présentation au temple
    • autorisation de sortie du territoire de l’I.B.E.S.R. (Institut du Bien-Être Social et de Recherches)
    • autorisation parentale (signature légalisée).

DES EXIGENCES ABUSIVES QUI PEUVENT RENDRE LES DEMANDES DE VISA
IMPOSSIBLES

(...) L’inorganisation, la corruption, la mauvaise tenue des registres, l’absence ou l’inadaptation de l’informatique, tout concourt à ce que les documents d’état civil ne soient pas réguliers : lorsqu’un acte de naissance est
frappé avec une antique machine à écrire, que le dactylo est peu habile ou change tous les jours à la mairie, que les fautes de frappe ne sont pas rares et sont rectifiées par grattage ou surcharge… Pour le consulat, tout ceci
peut constituer un document apocryphe, prouver la fraude et, puisque fraude il y a, entraîner le rejet de la demande de visa.
(...) Dans certains consulats, tout se passe comme si l’administration devait désespérément faire face à une avalanche de fraudeurs et que pour la repousser, tous les prétextes étaient bons. Tout se passe comme si le rôle du consulat n’était pas de déterminer si la famille est authentique, mais d’abord et avant tout de la refouler en se limitant à invoquer une fraude sans même
l’établir.
(...) Mme J. est haïtienne, elle a deux enfants de 14 et 17 ans. Son mari a été tué à cause de son engagement politique dans un parti chrétien. Elle-même menacée de mort, elle a dû fuir son pays et est en France depuis
2002. Elle tente depuis de faire venir ses deux enfants. Cependant les visas lui sont refusés car elle n’est pas en mesure de présenter les extraits de naissance remis lors des déclarations de naissance. Or ces documents
ont disparu lors de l’assassinat de son mari. Ses deux enfants sont donc livrés à eux-mêmes, hébergés par un oncle dans l’attente de la délivrance des visas.
Au retour de l’école, sa fille a été violée et est tombée enceinte. Face à ce changement de situation, le ministère de l’Immigration a été interpellé, en vain. Le bébé est né, mais faute d’hospitalisation, il est décédé quelques jours plus tard.
Quand est survenu le séisme, les promesses du Président de la République ont suscité un nouvel espoir. Pourtant, rien ne bouge. Mme J. et ses filles ne
peuvent que se téléphoner, désespérément, jour après jour. Ni la détresse manifeste de la mère, ni le viol de son enfant, ni la mort du bébé, ni le traumatisme du séisme, ni les nombreuses interventions de toutes parts n’auront ébranlé la conviction consulaire. La seule chose qui compte est l’acte de naissance original.


2 millions d’Haïtiens sans papiers, 250 000 décès lors du séismes impossibles à enregistrer, des registres d’état civil délabrés ...

Extraits : propos du directeur des archives nationales d’Haïti
« 2 millions de Haïtiens ne sont inscrits nulle part, ni sur les registres de baptême ni sur les registres d’état civil. Ils n’existent pas (...), et ça encourage un nouvel esclavage puis ces gens ne peuvent prétendre à aucun droit ».
« Je ne comprends pas que depuis vingt-sept ans les archives soient toujours dans le même état. Le séisme à bon dos. (...) C’est un casse-tête. Un chantier qui nécessiterait un effort national. Comment enregistrer plus de 250 000 décès ? Sans compter les rectifications innombrables apportées aux registres de naissances. »


Commentaires de Mom

Sans cesse, des Haïtiens de France pour lesquels l’accueil d’un proche relève depuis le séisme de l’urgence humanitaire se heurtent à des exigences abusives et totalement inaccessibles de documents d’état civil.
Comment s’étonner dès lors qu’ils s’adressent à des intermédiaires se disant aptes à leur délivrer les précieux sésames moyennant de fortes sommes d’argent ? Comment s’étonner que ces "sésames" ne soient souvent pas jugés authentiques ?

Il est temps que l’administration française tienne compte de la situation et entende plusieurs décisions du Conseil d’État qui rappellent l’essentiel :