L’asile en Outre-mer, une situation d’exception

Lettre bimestrielle de France terre d’asile, n° 47, juillet 2011
dimanche 31 juillet 2011

En Outre-mer, l’accès à la protection internationale est devenu en quelques années un sujet brûlant. Face à une hausse croissante des demandes d’asile, les pouvoirs publics peinent à assurer un traitement des dossiers conforme aux standards nationaux, tandis que le dispositif d’accueil se révèle insuffisant.

Bien que peu médiatisée en métropole, la demande d’asile en Outre-mer était en 2010 la troisième plus importante en France, après celles de l’Île-de-France et de la région Rhône-Alpes : 2 764 demandes de protection internationale
ont été déposées dans les DROM-COM1, soit 7% des demandes adressées à la France. Ce phénomène est plutôt récent. La demande en Outre-mer ne s’élevait qu’à 23 dossiers en 1990 et 558 en 2003. La Guyane concentre
la plupart des demandes (44%), suivie de Mayotte (33%), de la Martinique (15%) et de la Guadeloupe (7,5%). Dans les départements français d’Amérique (DFA)2, les Haïtiens sont largement majoritaires parmi les demandeurs d’asile. Dans l’océan Indien, Mayotte connaît une explosion des demandes d’asile ces dernières années : les 852 dossiers enregistrés en 2010
représentent une augmentation de 50% par rapport à 2009. Plus des deux tiers des demandeurs proviennent de l’île d’Anjouan, dans les Comores.

Un traitement particulier des demandes d’asile

L’éloignement géographique entre les demandeurs d’asile et les institutions chargées d’examiner leur situation – Office français de protection
des réfugiés et apatrides (Ofpra) et Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – pose un certain nombre de difficultés pratiques
en termes de procédure. Afin de réaliser les entretiens avec les demandeurs sans que ceux-ci aient à se déplacer en métropole, l’Ofpra utilise essentiellement deux méthodes : les missions d’instruction foraines et la visioconférence.

Par souci d’économie, cette dernière est d’ailleurs devenue la règle pour la plupart des entretiens à l’Ofpra en Guyane et à Mayotte.
Face à la hausse de la demande, l’Ofpra a également ouvert début 2006 une antenne décentralisée en Guadeloupe, chargée de traiter
l’ensemble des demandes déposées dans les trois DFA. L’objectif poursuivi est triple : simplifier la procédure, diminuer les délais de traitement et rationaliser les dépenses. Désormais, un demandeur d’asile en Guadeloupe attend la décision de l’Ofpra seulement 47 jours, contre un an et demi à Mayotte. En revanche, le taux de reconnaissance par cette antenne est particulièrement faible puisque seulement 3,9% des demandeurs d’asile ont été
admis en 2010 (contre 13,5% en métropole).
Par contraste, le taux d’admission est plus élevé dans l’océan Indien (19,1%), en raison d’une forte proportion de demandeurs de la région des Grands Lacs.

La CNDA, pour sa part, peut appeler le demandeur à se déplacer en métropole
à ses propres frais. Ce fonctionnement est problématique puisque, d’une
part, les demandeurs ne peuvent généralement pas financer le déplacement en métropole et, d’autre part, se voient souvent refuser le laissez-passer
de la part de la préfecture. La CNDA peut également organiser des missions foraines. Cependant, celles-ci sont trop rares pour permettre un traitement adéquat des dossiers.
Ainsi, la CNDA, se déplace en Guyane tous les deux ans environ, ce qui allonge les délais de traitement. Lors de sa dernière visite en mai 2011, elle a dû examiner plus de 450 dossiers en deux semaines.

La loi Besson a récemment introduit la possibilité pour la CNDA d’avoir également recours à la visioconférence, malgré les critiques des
associations et de certains parlementaires. L’utilisation de la visioconférence soulève en effet les problèmes de la confidentialité et d’éventuels aléas techniques lors de l’entretien – mauvaise acoustique, rupture de transmission.
Par ailleurs, le risque existe que cette forme d’échange entre le demandeur et les officiers de protection (dans le cas de l’examen par l’Ofpra) ou les juges (dans le cas du recours à la CNDA) constitue un obstacle au bon déroulement
de l’instruction de la demande.

Pas de dispositif national d’accueil pour les DROM-COM

Les DROM-COM se caractérisent en outre par un régime juridique d’exception. La législation française doit y être transposée par voie d’ordonnance, certaines dispositions pouvant être modifiées ou mises de côté à cette occasion. Conséquence de ce régime, la situation des demandeurs d’asile est particulièrement dramatique dans certains DROM-COM car le dispositif national d’accueil n’y est pas toujours existant. En Guyane par exemple, aucune offre de prise en charge n’est faite par la préfecture : aucun centre d’accueil pour demandeurs d’asile n’y est implanté alors que le dispositif
d’hébergement d’urgence est complètement saturé. La prise en charge est restreinte à la seule allocation temporaire d’attente (ATA).

Les demandeurs s’abritent dans des squats, des quasi-bidonvilles, dont ils sont fréquemment délogés par la police. La plate-forme interassociative
d’accueil et d’orientation où la Cimade et la Ligue des droits de l’homme
assuraient la domiciliation et l’assistance juridique et sociale, Médecins du monde les soins médicaux, le Secours catholique l’hébergement et L’arbre fromager accompagnait spécifiquement les femmes en détresse, a perdu ses
financements débuts 2011. En conséquence, la plupart des demandeurs d’asile ne bénéficient ni d’un hébergement stable, ni d’un suivi médical, juridique et social adapté. Lors du déplacement de la CNDA en Guyane en mai,
certains demandeurs ont dû préparer leur audience seuls, dans une situation de grande précarité.

L’accès à de nombreux autres droits, tels que la scolarisation des enfants, est difficile. Suite à une saisine par un groupement d’associations, la Halde a demandé fin 2009 à des mairies de Guyane de cesser d’exiger la régularité du séjour des parents pour inscrire leurs enfants.
L’obtention de soins peut également être semée d’embûches. À Mayotte, un demandeur d’asile n’a droit à la couverture médicale universelle que pendant la période de validité de son autorisation provisoire de séjour, soit trois mois,
contre une couverture d’un an en métropole. Pendant le renouvellement de son affiliation à la Sécurité sociale, qui peut prendre plusieurs semaines, l’étranger malade ne peut recevoir aucun soin, car l’aide médicale d’État n’est pas mise en œuvre sur l’île.

Quant aux déboutés sous le coup d’une mesure d’éloignement, ils n’ont souvent pas la possibilité matérielle de contester cette décision : dans la plupart des DROM-COM, le recours n’est pas suspensif. Les personnes qui se maintiennent irrégulièrement sur le territoire se retrouvent
en situation d’autant plus difficile que contrairement à la métropole, les contrôles d’identité sont autorisés sans réquisition du procureur.
Fréquemment, des étrangers sont interpellés, contrôlés et éloignés en quelques heures. Les conditions de rétention sont par ailleurs déplorables : surpopulation, épidémies, accès mixte aux chambres et sanitaires, etc. La
commission nationale de déontologie de la sécurité, dans un avis de 2008, considérait ainsi que le centre de Mayotte était « indigne de la
République ».

Les associations d’aide aux migrants ont dénoncé à maintes reprises les graves insuffisances des services publics dans les DROMCOM
qui condamnent les demandeurs d’asile à des « stratégies de survie, bien plus que sur le reste du territoire de la République ». Dans le même temps, ces derniers se mobilisent : plusieurs manifestations ont eu lieu cette année
à Mayotte afin de réclamer le versement de l’ATA, inexistante dans l’île. L’État se montre pour l’instant sourd face à cette mobilisation, maintenant ainsi de nombreux migrants et demandeurs d’asile dans une situation précaire que l’éloignement géographique et la prise en compte des « caractéristiques
et contraintes particulières » de l’Outre-mer ne sauraient légitimer.

En Outre-mer, l’accès à la protection internationale est devenu en quelques années un sujet brûlant.

Face à une hausse croissante des demandes d’asile, les pouvoirs publics peinent à assurer un traitement des dossiers conforme aux standards nationaux, tandis que le dispositif d’accueil se révèle insuffisant.
l’asile et des réfugiés

Voir cet article (page d’accueil de la lettre n° 47) sur le site de FTDA

ou le PDF joint

En page 2 :
"Guyane : l’insuffisance des structures d’accueil", par Jean Haffner, responsable du département Étrangers du Secours catholique.


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