Les mineurs isolés à Mayotte en janvier 2012

Contribution à l’Observatoire des Mineurs Isolés par David Guyot, sociologue
vendredi 9 mars 2012

Plan :
Etat des lieux
Préconisations méthodologiques
Profils sociaux
Estimations d’effectifs
Axes opérationnels
Propositions d’actions

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L’Observatoire des mineurs isolés estime leur nombre à 2 922
Rapport du sociologue David Guyot

Synthèse publiée par Mayotte-Hebdo, vendredi 9 mars 2012

Mercredi après-midi, l’Observatoire des mineurs isolés, créé en 2010, se réunissait pour prendre connaissance d’un rapport établi par le sociologue David Guyot. La préfecture, le vice-rectorat, la police, le procureur, des élus et associations avaient pris place autour d’une table au faré de la Case Rocher. Ils ont analysé ce premier rapport et la méthodologie utilisée pour une première estimation "fidèle à la réalité" de cette situation dramatique. Des premières mesures sont envisagées.

David Guyot a présenté les résultats de son étude, cette base de travail qui devrait permettre aux différents groupes constitués de prendre des mesures. La première tâche du sociologue était méthodologique. Il s’est donc penché sur un travail de définition. La plus restrictive, celle de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), indique que "est isolé un mineur dès lors qu’il n’a pas de représentant légal à ses côtés".

Ce qui ressort de son travail c’est que les différents organismes partent souvent de définitions différentes et qu’une harmonisation était indispensable. Ainsi, la nécessité de n’avoir qu’un organisme destinataire des données s’est imposée et l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a été désignée. Le sociologue préconise, au delà d’une définition commune stricte, l’adoption de variables communes. Des critères objectifs, en fonction du degré d’isolement, sont possibles.

La typologie proposée est la suivante : le cas du mineur né à l’étranger de parents étrangers, celui du mineur né à Mayotte de parents étrangers et le cas du mineur né d’au moins un parent français à Mayotte. Pour le sociologue, ce dernier cas est la "face cachée du problème social". Ce sont eux qui ont le plus de "capital social" rendant le phénomène plus discret, souvent sous-estimé. Un format de base de données, plus lourd car plus précis, a été proposé par le sociologue accompagné d’un dictionnaire des variables permettant d’aider les organismes.

L’étude est ainsi partie des 898 dossiers identifiés par les différents partenaires associatifs et institutionnels et transmis à l’ASE. Le traitement des 11.000 informations contenues a demandé un mois de travail. Sur ceux-là, 429 mineurs isolés au sens de l’Ofpra ont des profils très renseignés et précis qui ont permis de dégager des tendances. Parmi eux par exemple, 57% ont un adulte apparenté, 20% un adulte non apparenté, 19% sont sans adulte référent. Ces taux seront appliqués par la suite à l’estimation globale.

Le sociologue, pour établir son estimation quantitative, a décidé de croiser ces informations à d’autres sources : les données Insee - qui ont "le handicap de l’ancienneté" -, et les données de reconduites à la frontière. Sachant que, très souvent, les femmes taisent l’existence de leurs enfants et partant du constat que 87% des situations d’isolement étaient dus à des reconduites à la frontière, il a analysé les 17.706 arrêtés de reconduites entre janvier et novembre 2011.

Une méthode complexe, transversale et critiquable

Affinant les critères, il n’a retenu parmi eux que les 16.157 interpellations, 8.915 terrestres, les 7.732 reconduites effectives, dont 6.230 sans mineur et 1.748 femmes. Comme c’est à 85% la reconduite de la mère qui conditionne l’isolement, que 85% des femmes en âge d’avoir des enfants en ont et qu’enfin un ménage comporte en moyenne 1,7 mineur isolé, le chercheur obtient l’effectif de 2.543 mineurs isolés par les reconduites à la frontière. Auxquels il faut ajouter les 13% de cas d’isolement non imputables aux reconduites (incarcération des parents, parents à l’étranger ou décédés par exemple).

C’est par cette méthode que le chiffre de 2.922 est estimé, dont 1.666 avec un adulte référent apparenté, 584 avec un adulte référent non apparenté et 555 n’ont aucun majeur référent. Le chercheur note que les mineurs isolés nés en France (Mayotte) de parents étrangers jouissent d’un capital social plus important que ceux nés à l’étranger et se retrouvent deux fois moins souvent sans adulte référent. Le sociologue indique également que le taux d’interpellation terrestre a diminué en 2011 de 20% au profit d’interpellations maritimes. Cette tendance, si elle peut permettre de diminuer l’arrivée d’enfants isolés, pourrait aussi avoir pour effet d’isoler les mineurs de manière plus durable en diminuant la probabilité pour le représentant de revenir sur le territoire.

Sur la méthode, de nombreuses objections peuvent être soulevées. Il ne s’agit ici que d’une estimation. Ainsi, ces chiffres concernent la seule année 2011, prenant en compte les 40% de récidive de l’immigration illégale. Il peut toutefois être pondéré par le taux élevé de cessation d’isolement : 20% environ du fait du retour du parent ou du retour dans le pays d’origine. On trouve alors le chiffre de 2.034 : nombre de mineurs isolés de façon continue du fait de la reconduite de leur mère, et 2.413 si l’on compte tous les motifs d’isolement.

Le fait que l’étude ne prenne en compte que les interpellations terrestres peut également être mis en avant, car si les interpellations maritimes ne produisent normalement pas de mineurs isolés, il est possible que les parents arrivent sur le territoire, pour hospitalisation notamment, et peuvent laisser des enfants sur le territoire. Enfin, la prise en compte des seuls parents sans mineurs engrange une marge d’erreur : ce n’est pas parce qu’un parent est interpellé avec un mineur qu’il n’est pas le parent d’autres mineurs restés sur le territoire.

L’étude ne prend pas en compte la totalité des causes d’isolement, mais certaines peuvent être considérées comme négligeables. David Guyot est conscient du caractère "fictif" de l’estimation. Toutefois, celle-ci est une projection qui se veut "fidèle à la réalité". Le sociologue insiste d’ailleurs : "le chiffre est moindre que d’autres annoncés auparavant, mais il n’en reste pas moins considérable".

Des éducateurs dans les rues et à Anjouan

Dernier axe pour David Guyot : les pans opérationnels. Ainsi, vient en premier le développement de la prise en charge d’urgence. Selon lui, les 550 mineurs totalement isolés ont besoin de cette mise à l’abri, d’un hébergement, d’une aide à l’alimentation ou à la scolarisation. Deuxième pan : le rapprochement familial. 935 mineurs isolés sont nés de parents étrangers à l’étranger, ils sont susceptibles de bénéficier d’un rapprochement. Pour ce faire, un éducateur sera installé à Anjouan. Il devra identifier les familles souhaitant "rapatrier" leur enfant, certifier la filiation et la favoriser.

La prévention auprès des parents dans le centre de rétention, sur les risques à ne pas signaler sa progéniture, devrait être renforcée. L’accès à l’éducation devrait également être favorisé pour les 692 enfants jamais scolarisés ou déscolarisés. Selon le vice-recteur, cela passe notamment par la prévention du décrochage, mais aussi par la poursuite de l’équipement scolaire pour pouvoir accueillir tous les enfants.

Enfin, la médiation familiale fait partie des propositions : 438 enfants sont en situation de "père inconnu". Au chapitre de la prévention, l’Agepac développera dans les mois à venir une mission d’éducateurs de rue. Ceux-ci, dans un premier temps placés sur le grand Mamoudzou, la Petite Terre et Koungou, iront directement à la rencontre des mineurs pour les identifier et les accompagner. L’Agepac propose également de créer un centre d’accueil de jour dans son lycée d’enseignement adapté Espérance. Tama poursuit son dispositif d’assistance temporaire Dasmi qu’elle souhaite étendre aux week-ends.

Pour le préfet Thomas Degos, "notre cœur de cible ce sont les mineurs en déshérence sans aucun adulte : les 555 mineurs totalement isolés, car plus l’isolement est grand, plus le danger l’est aussi". Le préfet a annoncé la reprise des groupes de travail et du calendrier des mesures dès la mi-avril. Gregory Kromwell, sous-préfet à la jeunesse et à la cohésion sociale, a conclu : "c’est la première étude concrète sur le sujet. Elle a permis de mettre en place une méthode qui va maintenant se perpétuer".

Juliette Piolat

En chiffres

  • 32% des mineurs isolés sont nés à l’étranger de parents étrangers, 64% nés en France (Mayotte) de parents étrangers et 4% nés en France d’au moins un parent français.
  • 45% des mineurs isolés ont un père qui a été reconduit à la frontière, 29% sont à l’étranger.
  • 85% des mineurs isolés ont une mère reconduite à la frontière, 7% sont à l’étranger.
  • Dans 53% des cas, les parents sont séparés, 20% ont des parents en couple, 4% en veuvage et 4% en remariage.
  • 70% des mineurs isolés sont scolarisés, 11% n’ont jamais été scolarisés, 7% sont non scolarisés et 5% déscolarisés.