Loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relative aux quartiers d’habitat informel et la lutte contre l’habitat indigne dans les DOM

jeudi 23 juin 2011

Loi n° 2011-75 du 23 juin 2011

Commentaire : Il s’agit d’un éventuel versement d’une aide financière à des occupants sans titre d’un logement sous des conditions d’occupation continue et paisible de ces locaux depuis plus de dix ans et d’absence d’ordonnance d’expulsion préalable que les personnes pauvres dont l’habitat est menacé de démolition auront bien du mal à remplir....

Article 1

Lorsque la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipements publics rend nécessaire la démolition de locaux à usage d’habitation édifiés sans droit ni titre sur la propriété d’une personne publique ou de son concessionnaire, la personne publique à l’initiative de l’opération ou son concessionnaire peut verser aux occupants une aide financière visant à compenser la perte de domicile si les conditions suivantes sont
remplies :

  • 1° Les occupants, leurs ascendants ou leurs descendants sont à l’origine de l’édification de ces locaux ;
  • 2° Ces locaux constituent leur résidence principale ;
  • 3° Les occupants justifient d’une occupation continue et paisible de ces locaux depuis plus de dix ans à la date de la délibération de la collectivité publique ayant engagé l’opération, à celle de l’ouverture de l’enquête
    publique préalable à la réalisation des travaux ou, en l’absence d’enquête publique, à celle de la décision de la personne publique maître d’ouvrage ;
  • 4° Ils n’ont pas fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion au cours de la période mentionnée au 3°.

Dossier législatif sur le site du sénat


Dossier législatif de l’assemblée nationale

La proposition avait été faite par le groupe socialiste le 15 décembre 2010.

  • Principales dispositions selon l’assemblée nationale
    Section 1 : Dispositions relatives aux quartiers d’habitat informel
    Article 1er : Prise en compte de l’habitat informel dans les opérations publiques d’aménagement ou d’équipements publics en cas de démolition des lieux occupés, et reconnaissance d’un droit à indemnisation dans des conditions limitées et encadrées.
    Article 2 : Situations dans lesquelles les terrains concernés par la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipements publics sont propriété privée.
    Article 3 : Indemnisation du bailleur en cas de démolition de locaux donnés à bail aux fins d’habitation et édifiés, sans droit ni titre, sur un terrain propriété d’une personne publique.
    Section 2 : Dispositions particulières relatives à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer
    Article 7 : Introduction de la notion « d’habitat informel » dans la définition de l’habitat indigne tel que figurant dans la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, dite « loi Besson ».
    Article 12 : Sanctions pénales en cas de méconnaissance par le bailleur de locaux d’habitat informel de ses obligations résultant d’un arrêté d’insalubrité ou de péril.
    Article 15 : Article spécifique à Mayotte : autorisation des opérations publiques de résorption de l’habitat insalubre en limitant le droit à régularisation-acquisition foncières dans les zones des cinquante pas géométriques.
    Section 3 : Dispositions diverses

EXTRAITS DES DÉBATS

Présentation par le rapporteur, Serge Letchiny
Il s’agit d’un moment extrêmement important pour les peuples d’outre-mer, en particulier pour les 70 000 familles – soit 200 000 personnes environ – qui vivent dans des conditions difficiles en raison d’un habitat insalubre. Ce sont 65 000 à 70 000 maisons qui sont concernées. Ces familles vivent cette situation comme un déni du droit au logement, une absence d’équité et un manque de reconnaissance.
C’est aussi un moment important pour les professionnels, les acteurs locaux et les collectivités. J’insiste sur le fait que certaines opérations de traitement de l’habitat insalubre durent depuis vingt-cinq ans et qu’il faut en moyenne une dizaine d’années pour traiter quatre cents logements.
C’est également un grand moment de justice sociale.
C’est, enfin, un grand moment pour le Parlement, puisqu’il s’agit d’un texte de fond pour les départements et régions d’outre-mer, qui reconnaît une appréciation différenciée et adaptée du droit.

En deux mots, de quoi s’agit-il ? Dans les quartiers dits « spontanés », 70 à 90 % de l’habitat est informel, c’est-à-dire autoconstruit. Cet habitat informel est en grande partie – à hauteur de 85 % – sans droit ni titre.
Les familles concernées sont propriétaires de la maison, mais pas du sol, que celui-ci appartienne au secteur public – État, collectivités ou établissements publics – ou au secteur privé. En effet, compte tenu du droit en vigueur, le propriétaire du sol l’emporte sur la propriété qui est au-dessus.
Or les types d’occupation sont très divers et ces familles, qui sont là depuis de très nombreuses années, parfois cinquante ans – voire davantage – et sont issues pour la plupart de l’exode rural, paient la taxe sur le foncier bâti, comme tout propriétaire, tout en n’étant pas propriétaires du sol. La situation est donc bloquée.
Dans la seule ville de Fort-de-France, qui compte environ 100 000 habitants, 20 % de l’habitat est informel. Les choses sont d’ailleurs comparables à Cayenne, à Saint-Denis de la Réunion et dans les autres capitales d’outre-mer.

La situation juridique des occupants sans droit et sans titre a des conséquences extrêmement diverses et graves.
Premièrement, la non-reconnaissance de la valeur de leur bien. Comme ils n’ont aucun droit, si l’on doit les déplacer pour une raison quelconque, par exemple des travaux de voirie, leur bien n’a aucune valeur. Quelle injustice !
Deuxièmement, le blocage de toutes les opérations dites de résorption de l’habitat insalubre, sauf à la Réunion où l’on continue à en réaliser quelques-unes – j’expliquerai pourquoi tout à l’heure, dans le débat.
Troisièmement, l’inadaptation du droit en matière de police de l’insalubrité, de procédures de péril et surtout de terrains vacants, dans le cadre des procédures d’abandon manifeste.
Quatrièmement, l’absence de critères d’appréciation globale de l’habitat informel dans le droit relatif à l’habitat indigne, ce qui peut apparaître évident pour certains, mais se révèle extrêmement contradictoire lorsque l’on connaît la situation.
Cinquièmement et surtout, l’absence de procédures adaptées inscrivant le traitement de l’habitat insalubre dans une stratégie globale d’aménagement. Toutes les maisons ne sont pas nécessairement insalubres et le fait de traiter des quartiers ne signifie pas seulement que l’on s’occupe de la question de l’insalubrité : il y a une dimension urbaine, mais aussi une dimension sociale, culturelle et identitaire.

Pour débloquer la situation et répondre au défi, il existe plusieurs solutions dans le cadre de la partie législative que nous examinons aujourd’hui, et tout en sachant, madame la ministre, qu’il reste bien sûr à réécrire la circulaire de 2004 pour rendre opérationnel le dispositif.
La première étape – j’y insiste –, c’est la reconnaissance de l’habitat informel et sa définition, dans le cadre de la loi Besson. En effet, la reconnaissance est une chose, mais la définition est encore plus importante car elle n’existe pas pour l’instant. Dès lors, en droit, on ne sait pas de quoi l’on parle.
Ensuite, il faut reconnaître à l’habitat informel une valeur chiffrée et un droit dans le cadre des opérations d’aménagement, surtout celles concernant la résorption de l’habitat insalubre.
L’article 1er du texte pose la problématique du droit à une aide financière pour perte de domicile s’agissant des terrains publics, tandis que l’article 2 concerne les terrains privés.
Pour les propriétaires bailleurs et pour les propriétaires occupants, ainsi que dans le cas des locaux professionnels, il est prévu que s’applique le même dispositif de reconnaissance et de valorisation du bien.
Bien entendu, cela ne peut pas se faire n’importe comment ; il y a des conditions précises. Par exemple, il faut avoir résidé de manière paisible dans les lieux depuis au moins dix ans.
Il faut aussi que les conditions de relogement, notamment pour les propriétaires bailleurs, soient claires, de façon à éviter que les marchands de sommeil abusent de la situation.

Il faut aussi une convention de fléchage pour l’aide indiquée, de telle sorte que les moyens financiers permettent le relogement éventuel de la personne concernée. Ceux qui ont fait l’objet de procédures de péril ou d’insalubrité, c’est-à-dire de mesures de police, ne doivent surtout pas pouvoir bénéficier du dispositif, si l’on veut lutter, et c’est essentiel, contre les marchands de sommeil.

Une procédure adaptée à l’habitat informel est nécessaire pour les opérations d’aménagement tenant compte de l’hétérogénéité du bâti. En effet, ceux qui se rendent dans nos pays savent pertinemment que, dans un même quartier, tout habitat informel n’est pas nécessairement insalubre.

Une réécriture très claire et très nette en matière de police de l’insalubrité et de sécurité publique est indispensable. Je veux parler du péril de l’insalubrité et de l’abandon manifeste.

Nous devons créer, ce qui est paradoxal, les conditions d’une bonne utilisation des fonds Barnier pour le relogement des familles, notamment dans le cadre des PPR « rouges ». Il n’est pas normal que, dans un pays à risque sismique, il n’existe aucun dispositif puissant pour reloger les familles concernées. Nous savons pertinemment – et nous avons l’exemple d’Haïti – que nous sommes face à des risques extrêmement importants.

Une solution spéciale doit être trouvée pour Mayotte, qui compte 40 % de logements précaires et 23 000 logements insalubres. Elle est intégrée dans le texte.
Il faut aussi porter un regard – et je pense à Christiane Taubira – sur la situation alarmante de la Guyane aujourd’hui, où l’habitat insalubre est important.
Nous devons être attentifs à l’opérationnalisation du traitement de l’habitat insalubre par la création d’un périmètre ad hoc, et à l’amélioration et à la simplification des procédures d’arrêté d’insalubrité. Le texte le prévoit.
Parallèlement aux mesures incitatives que nous mettons en place, nous devons, bien entendu, prendre des mesures coercitives – c’est l’article 12.
S’agissant des périmètres insalubres, il convient de permettre l’application claire de la loi Vivien, sauf à Mayotte où elle ne s’applique pas.

[...] J’en viens à ma conclusion. Ce texte est, de mon point de vue, la première législation aussi poussée sur l’habitat informel, bien entendu en France et certainement dans le monde. C’est une première pour l’Assemblée nationale que je salue.
On peut ainsi démontrer que l’indivisibilité de la République n’est synonyme ni de conformité ni d’immobilisme, que l’espace public est propice à l’expression de la différence à partir du moment où l’on peut laisser ce droit à l’identité et à la culture. L’égalité des droits n’est pas incompatible avec le droit à la différence, je ne cesse de le dire. C’est l’intégration et la reconnaissance d’une culture de vie, d’un mode d’habiter, d’une architecture vernaculaire et surtout de nouvelles formes urbaines qu’il faut accepter en tant que tels. L’acceptation possible d’un droit de domicile par l’aide financière est obtenue dans le cadre de ce texte. C’est aussi l’acceptation d’une nouvelle problématique foncière, celle d’une superposition de volumes bâtis sur des terrains. C’est la régularisation des occupants sans titre et un chantier foncier considérable que nous ne faisons qu’entamer à travers ce texte.
C’est aussi de la justice sociale vis-à-vis de ceux, issus de l’esclavage, qui ont subi l’exode, les discriminations, ceux qui, très souvent au cours des 300 dernières années, se sont retrouvés à la périphérie des habitations ; ceux qui sont justement venus occuper les faubourgs des villes dans des conditions exceptionnelles de survie à qui vous rendez justice et à qui vous donnez la possibilité, comme cela a été fait il y a trois siècles pour certains, de régulariser et de reconnaître leurs biens acquis dans la survie, dans la souffrance et dans la misère ! C’est la reconnaissance d’un droit assis sur le droit du domicile et d’une valeur financière basée sur la propriété. [...]

La situation en Guyane : intervention de Christine Taubira
Je vais me contenter d’éclairer l’assemblée sur la situation très particulière de la Guyane, marquée par quelques paramètres. D’abord, l’État est propriétaire privé de 90 % du territoire et le parc national amazonien occupe 40 % de cette surface.
Le deuxième paramètre est lié à « l’entropisation » de ce territoire : nous occupons un peu plus de 10 % de sa superficie en présence et en activité, et pourtant nous sommes confrontés à une rareté foncière qui a un caractère inflationniste important. Le foncier aménagé est encore plus rare pour ce qui concerne les zones recherchées ou convoitées.
Les opérateurs, qu’il s’agisse des administrations, des aménageurs ou des bailleurs sociaux, conviennent qu’il faudrait livrer chaque année 300 hectares de foncier aménagé, alors que le rythme annuel est actuellement de 100 hectares, et ceci malgré la fongibilité de la ligne budgétaire unique et du fonds régional d’aménagement foncier urbain. Monsieur le rapporteur a d’ailleurs proposé, par l’intermédiaire d’un GIP, d’élargir le principe de fongibilité des fonds qui contribuent au financement des logements.
Le troisième élément particulier en Guyane est la disparité de la densité démographique. Les statistiques affichent un taux de deux habitants au kilomètre carré. C’est totalement absurde car nous avons une très grande disparité : une surdensité urbaine et des communes rurales qui sont frappées de désertification, en raison de l’exode dû au manque d’activités sur place mais surtout à un fort enclavement.
Le quatrième paramètre est pratiquement aussi important que le premier auquel il donne justement de la nervosité : le taux de croissance démographique atteint 3,8 %. L’INED vient de publier toute une série de statistiques démontrant des choses qui nous sont devenues familières, à savoir que le taux de croissance démographique le plus soutenu est en Guyane, où la pression sur la demande de logement va donc s’accroître.

Quel est l’état des lieux ? Nous avons actuellement un parc locatif social de 11 000 logements, avec un stock de demandes en souffrance de plus de 13 000 dossiers. Il faut y ajouter les besoins en logements intermédiaires parce que la classe moyenne a le droit de souhaiter une accession à la propriété. Elle paie des impôts et elle est en droit de considérer que ses besoins doivent aussi être satisfaits, évidemment à chacun selon sa capacité contributive.
Les conséquences de cette pression sont considérables et nous les connaissons. Elle a d’abord un effet inflationniste sur le parc locatif privé. Elle entraîne aussi le développement d’un commerce interlope, avec des sous-locations illégales, abusives, pour ne pas dire plus – je pense notamment aux marchands de sommeil. Elle provoque aussi une extension estimée à 10 % des zones d’habitat insalubre et indigne.

Au passage, je vous informe qu’hier le conseil régional de Guyane a fait procéder à l’expulsion de plusieurs familles brésiliennes qui occupaient des logements sur un terrain lui appartenant. Il l’a fait sans offrir de solution de relogement. Certes la loi ne l’y oblige pas, mais de simples considérations humaines auraient dû le contraindre à étudier et accompagner des solutions de relogement avant de procéder aux démolitions.
Ces démolitions sont possibles parce qu’on s’attend à l’impunité et, si on s’y attend, c’est parce que les tensions sont telles sur le marché que les uns et les autres deviennent inhumains, indifférents et, parfois, égoïstes.

Nos besoins sont considérables. Ils sont liés à la fois au taux de croissance démographique très élevé, à la part de la population en âge de demander un logement – plus de 54 % de la population en Guyane a moins de vingt-cinq ans et les jeunes adultes souhaitent quitter le domicile familial –, à la nécessaire résorption de l’habitat insalubre, indigne, informel et à la réhabilitation du parc vieillissant, aux besoins de la classe moyenne que j’ai évoqués tout à l’heure et aux flux migratoires qui viennent accroître la demande de logements.
En Guyane, 11 % des logements n’ont pas l’électricité, 14 % n’ont pas l’eau courante et 40 % seulement sont reliés au tout-à-l’égout.

Je dois également vous rappeler, madame la ministre, qu’en 2008, les aides d’État ont baissé de 10 % et que le rattrapage n’a jamais été effectué depuis.
Comme l’a souligné Louis-Joseph Manscour, il ne s’agit pas seulement des logements mais également de l’habitat. Alors qu’en Guyane, nous avons de l’espace et un mode d’habiter et une architecture qui ont fait leur preuve, il est inconcevable d’imposer des normes aussi exiguës en hauteur, alors que nous pourrions avoir un habitat en extension.
La question du financement se pose, bien évidemment, à la fois pour les bailleurs sociaux eux-mêmes – notamment la caution de leurs emprunts – et pour les particuliers, qu’il s’agisse de l’accession à la propriété pour le logement social et très social, du prêt à taux zéro ou de l’accession à la propriété pour les logements intermédiaires.

[...] Je vais conclure en rappelant qu’il y a quand même quelques programmes en cours : des opérations de résorption de l’habitat insalubre concernent 5 800 logements, un programme d’intérêt général s’applique aux centres anciens des villes. Quant au programme de développement et de rénovation urbaine – PDRU – on ne comprend pas encore très bien s’il est maintenu et sera enfin réalisé.
J’espère, madame la ministre, que, pour rattraper vos propos liminaires, vous montrerez de la bonne volonté pour faire aboutir les dispositions contenues dans cet excellent texte et que, après avoir pris en considération les besoins des départements d’outre-mer en matière de logement et d’habitat, vous ne manquerez pas, à l’avenir, de prendre ceux-ci en considération pour répondre aux besoins en éducation et en santé.