La « patrie des droits de l’homme » comporte encore sur son territoire des zones de non droit à un point tel que la responsabilité administrative et pénale du ministre de l’Immigration, Eric Besson, et de l’administration préfectorale, est susceptible d’être engagée, expliquent Emmanuel Daoud, avocat, et Marlène Joubier, juriste, dans la tribune qu’ils nous ont fait parvenir.
Mayotte, île en plein cœur de l’Océan Indien, située dans l’archipel des Comores, terre d’espoir et de refuge pour de nombreux comoriens, « accueille » chaque année de plus en plus de migrants en provenance des Etats voisins dans le centre de rétention administrative de Pamandzi.
Des étrangers en situation irrégulière, interpellés, s’y agglutinent chaque jour, plaçant le centre en situation de surpopulation. On y parle de « situation exceptionnelle », pourtant elle perdure depuis longtemps.
On y entasse des hommes, des femmes, des enfants parfois isolés, dans des conditions insalubres et précaires. Surpopulation, dégradation des locaux, manque d’hygiène, de lumière sont souvent dénoncés par les associations.
La France a pourtant ratifié de nombreuses conventions internationales protectrices des droits fondamentaux, reconnaissant le droit de chaque être humain au respect de sa dignité : Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, Convention européenne des droits de l’homme, Convention de New York sur les droits de l’enfant ...
Force est toutefois de constater que la « patrie des droits de l’homme » comporte encore sur son propre territoire des zones de non droit à un point tel que la responsabilité administrative et pénale de l’actuel Ministre de l’Immigration, Eric Besson, et de l’administration préfectorale, est susceptible d’être engagée.
En effet :
Le Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit un certain nombre de normes dans les centres de rétention administrative dont le respect s’impose aux autorités publiques.
La Convention européenne des droits de l’homme, dans son article 3, consacre, par ailleurs, l’une des valeurs fondamentales de toute société démocratique en prohibant toute forme de torture et de traitements inhumains ou dégradants.
Sans aller jusqu’à qualifier de telles conditions de rétention de « torture blanche », elles apparaissent, incontestablement, comme contraires au respect de la dignité humaine. La souffrance et l’humiliation subies par les personnes retenues n’apparaissent justifiées par aucun motif légitime d’ordre public ou de sécurité.
Ces instruments juridiques prohibant toute forme d’inhumanité ne sont pas appliqués et respectés sur le territoire français, et en particulier, à Mayotte.
Plusieurs voix se sont élevées, tant dans le milieu associatif qu’institutionnel, pour dénoncer une situation que certains qualifient d’ « indigne de la République », terme déjà employé par Alvaro Gil Roblez, ancien commissaire européen aux droits de l’homme, dans son rapport de 2005, pour qualifier les « souricières » du Palais de justice de Paris.
De telles conditions « d’accueil » de personnes particulièrement vulnérables ont déjà été déplorées par la Commission nationale de déontologie et de sécurité, dans son avis du 14 avril 2008. De son côté, Dominique Versini, défenseur des droits de l’enfant a également lancé un cri d’alarme, dénonçant la présence d’enfants isolés dans ces centres.
La situation est alarmante. Les associations de droits des étrangers ont également interpellé les pouvoirs publics, notamment la Cimade qui dispose, par convention avec l’Etat, de bureaux dans les centres de rétention administrative métropolitains avec une mission d’assistance juridique et d’information, mais qui n’a cependant pas pu obtenir d’habilitation sur l’île de Mayotte [1].
Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, créé suite à la ratification du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984, a déclaré, en décembre dernier, que « la situation du centre de rétention de Pamandzi est préoccupante ».
A l’heure où Mayotte devient le 101e département de la République française, il est inadmissible qu’une telle situation perdure sur notre territoire au mépris du respect des droits fondamentaux et dans le silence coupable, l’incurie et l’hypocrisie des pouvoirs publics.
Emmanuel DAOUD
Avocat à la Cour
Marlène JOUBIER
Juriste