Ce rapport de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE) est téléchargeable sur le site de l’OEE http://observatoireenfermement.blogspot.fr/.
OEE, Une procédure en trompe l’oeil, en PDF
Le chapitre 3, p. 49 à 58, est intitulé :
« Outre-mer : des procédures dérogatoires pour éviter le contrôle du juge »
Introduction du rapport
En France, les ressortissants étrangers peuvent être enfermés dans un centre de rétention administrative(CRA) pendant le temps nécessaire pour organiser leur éloignement et pour une durée maximale de 45 jours. Ils peuvent également l’être dans une zone d’attente (ZA) pour une durée maximale de 26 jours s’ils ne remplissent pas les conditions d’entrée en France à leur arrivée dans un port, une gare ou un aéroport international ou s’ils déposent une demande d’entrée au titre de l’asile.
Cette privation de liberté, si elle n’est pas interdite dans son principe n’en demeure pas moins une atteinte grave à la liberté de circulation et, corrélativement, à nombre de droits fondamentaux reconnus à chaque individu.
C’est pourquoi l’enfermement des ressortissants étrangers fait l’objet d’une veille attentive de la part des associations et des différents acteurs de la défense des étrangers. Cette vigilance est facilitée par un certain
nombre de dispositions légales permettant notamment la présence d’associations dans les CRA et l’accès des associations habilitées en ZA, mais aussi les visites régulières du Contrôleur général des lieux de privation de
liberté, ainsi que les interventions du Défenseur des Droits.
Reconnu par la loi, ce « droit de regard » est inscrit dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Les garanties qu’il assure, en écho aux articles 5-3 et 5-4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, visent en théorie à éviter toute décision d’enfermement arbitraire.
A cette fin, la loi prévoit différents types de recours devant un juge indépendant et impartial pour contester les mesures d’éloignement et les mesures de privation de liberté qui en découlent.
En France, pour contrôler les mesures de privation de liberté et d’éloignement appliquées à une même personne, deux juges sont compétents. Le juge administratif contrôle la légalité de ces mesures, prononcées par les
préfets. Le juge des libertés et de la détention (juge judiciaire) contrôle la procédure judiciaire, de l’interpellation jusqu’au placement en rétention, ainsi que les conditions dans lesquelles se déroule cette privation de liberté.
Ce dispositif induit des procédures complexes, enfermées dans des délais très courts propres au « contentieux d’urgence/de masse ».
Par ailleurs, l’intelligibilité du droit, qui conditionne la capacité à se défendre, souvent ardue pour des non juristes, est encore plus compliquée pour des personnes étrangères, de surcroît non francophones, et pour beaucoup isolées.
Les contraintes résultant d’une situation de privation de liberté et d’un contexte d’urgence imposé tant par les textes que par la pratique administrative limitent le plein exercice de leurs droits par les étrangers enfermés.
En 2010, l’Observatoire de l’Enfermement des Etrangers (OEE) s’est constitué en réaction au durcissement croissant des conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. L’OEE s’est fixé pour objectif de dénoncer la banalisation de l’enfermement des étrangers qui en résulte et d’informer largement sur les pratiques de l’administration française en la matière.
S’appuyant sur l’expertise des organisations qui le composent, l’OEE s’est attaché à mettre en valeur les remontées d’expériences des praticiens et acteurs de terrain, bénévoles ou non. Ces observateurs ont confirmé
la persistance de nombreux dysfonctionnements dans l’accès au recours effectif devant le juge, déjà soulignée depuis plusieurs années dans les différents rapports traitant de la question. Ce constat a de nouveau été partagé
à l’occasion d’une réunion publique organisée par l’OEE en septembre 2011, au lendemain de la réforme du Ceseda de juin 2011.
De nombreuses insuffisances affectent le régime légal de la rétention et du maintien en zone d’attente. S’il inclut néanmoins certaines garanties pour les étrangers qui subissent ces privations de liberté, la pratique reste
souvent bien en-deçà de ce cadre formel.
Alors qu’à la suite d’un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA), le ministère de l’Intérieur s’alarme d’une « juridictionnalisation massive du droit des étrangers », le présent rapport, de même que
l’importante documentation institutionnelle et militante disponible, font apparaître que des milliers d’étrangers privés de liberté sont renvoyés de France sans qu’un juge ait statué sur la légalité des mesures et procédures
d’éloignement ou de privation de liberté dont ils ont fait l’objet. Comment quantifier et surtout pallier les injustices générées par ces carences du contrôle juridictionnel ?
Si les territoires ultra-marins apparaissent comme des « îlots d’expulsion » où le contrôle juridique demeure rarissime, la situation en métropole est loin d’être idéale : les associations ont relevé que 60% des personnes étaient éloignées avant le cinquième jour de la rétention(3), c’est-à-dire sans contrôle de la procédure par le juge des libertés et de la détention (JLD). Une situation directement imputable à la réforme de juin 2011 qui a repoussé au-delà du cinquième jour de rétention l’obligation faite à l’administration de saisir le JLD pour qu’il en autorise la prolongation. Quant aux zones d’attente, l’absence de permanence d’avocats sur les lieux – malgré les demandes répétées de l’Anafé – aboutit au refus d’entrée et au renvoi de plusieurs centaines de personnes par an sans intervention d’un juge.
A l’aube d’une réforme annoncée du Ceseda et de son application partielle à Mayotte, alors qu’une nouvelle salle d’audience délocalisée a été ouverte à une passerelle de distance du CRA du Mesnil-Amelot, la question de l’accès au juge dans les lieux de détention administrative des étrangers reste prégnante. Elle représente un enjeu majeur en termes de libertés publiques : est en cause le niveau des atteintes qu’une démocratie moderne peut porter à la liberté de circulation des personnes.
Les éléments répertoriés dans le présent rapport visent à identifier les principaux obstacles à l’accès au juge sur la base d’entretiens conduits en région parisienne, ainsi qu’à Lille, Calais, Lyon, Marseille, Nîmes, et Toulouse
avec les membres de l’OEE, des professionnel du droits, des associations, des membres de l’administration, des représentants des autorités publiques, des syndicats, et des étrangers privés de liberté.
Une première partie traite des obstacles d’ordre juridique. Certaines dispositions du Ceseda, en particulier depuis la réforme du 16 juin 2011, consacrent une inégalité des armes entre les étrangers et l’administration qui les retient, inégalité que renforcent les difficultés qu’ils rencontrent, en pratique, pour faire valoir leurs droits.
La seconde partie s’attache à brosser un tableau, certes non exhaustif, mais révélateur des principales difficultés pratiques auxquelles se heurte l’application concrète du Ceseda (accès à l’information juridique, accès à un
avocat) dans un contexte de privation de liberté. Elle révèle l’existence, dans certaines juridictions, de pratiques critiquables, voire de connivences, qui placent les étrangers dans une situation a priori défavorable.
La question des territoires d’outre-mer est abordée au chapitre 3. Si on y retrouve certaines des difficultés décrites aux chapitres 1 et 2, le régime juridique dérogatoire qui y est applicable et le manque de contrôle sur des
pratiques arbitraires aggravent les obstacles identifiés en métropole. Dans ces départements, le manque d’accès au juge est général et quasi-systématique. La situation qui sévit dans ces territoires isolés de la République est
d’autant plus préoccupante qu’ils concentrent la moitié des étrangers privés de liberté et expulsés en France.
Les résultats de l’enquête induisent diverses réflexions conclusives qui font l’objet du dernier chapitre. Les témoignages recueillis font souvent état d’un malaise des professionnels à l’égard d’une procédure complexe,
caractérisée par des contraintes de temps et de moyens extrêmement lourdes qui donnent l’impression d’une justice « d’abattage ».
Dans ce contexte d’urgence permanente, les étrangers privés de liberté sont bien souvent dépendants de l’existence de « bonnes pratiques » comme de la nature et de la qualité des relations qui s’établissent entre les différents acteurs de ce parcours de la privation de liberté. Quelle égalité des droits, quel accès à un procès équitable et au recours effectif dans les conditions ici décrites ?
Selon les experts de l’IGA, l’augmentation de 25% en trois ans du contentieux du droit des étrangers pèse sur les fonds publics et sur la bonne marche de la juridiction administrative : pourtant ils ne s’interrogent pas sur
les causes de ce phénomène qui peuvent résider dans l’état de la législation comme dans les pratiques illégales de l’administration française.
Pointant de graves déficits en termes d’accès au droit, le présent rapport est aussi l’occasion de rappeler que, derrière ces chiffres, les victimes en sont des hommes, des femmes et des enfants. En 2012, 47 258 hommes
et femmes ont été privés de liberté en centre de rétention, et 8 883 en zone d’attente.
Les principes inscrits dans la Convention européenne des droits de l’Homme (droit à un recours effectif, droit à un procès équitable), ainsi que dans la directive « Retour » 2008/115/CE (contrôle de la légalité de l’enferme
ment par un juge civil dans les plus brefs délais) ne font pas de l’accès au juge une faveur, ni une formalité dont on pourrait s’affranchir de manière expéditive. Ce rapport illustre les effets néfastes qu’une approche restrictive,
pour ne pas dire minimaliste, de l’accès au recours effectif peut avoir sur les droits fondamentaux des étrangers privés de liberté.
Les condamnations de la France prononcées par la Cour européenne des droits de l’Homme au cours des dernières années, la diversité des pratiques et les enseignements des observations de terrain montrent que les
garanties inscrites dans le Ceseda ne suffisent pas à garantir un égal et effectif accès au juge pour tous les étrangers que l’administration prive de liberté.