Question n° 16582 publiée au JO le 29 janvier 2013, p. 961
de M. Sergio Coronado ( Écologiste - Français établis hors de France )
Texte de la question
M. Sergio Coronado interroge M. le ministre de l’intérieur sur les recours suspensifs en outre-mer.
En 2011, près d’un quart des étrangers ont été éloignés de force depuis les centres de rétention de métropole sur la base d’une mesure d’éloignement dépourvue d’effet suspensif (principalement des arrêtés de remises à un État de l’espace Schengen et des arrêtés de réadmission Dublin).
Dans la plupart des départements d’outre-mer le régime dérogatoire en vigueur prive tous les étrangers de recours suspensif de l’exécution de leur mesure d’éloignement. Dans tous les cas de figure, des milliers d’étrangers sont effectivement éloignés sans que les décisions préfectorales ne puissent être contestées. Il demande ce qu’il compte faire pour se mettre en conformité avec le droit tant interne qu’européen à un recours effectif, notamment après la décision du 13 décembre 2012 (de Souza Ribeiro) de la Cour européenne des droits de l’Homme affirmant que la législation d’exception appliquée en outre-mer violait le recours effectif garanti à l’article 13 de la convention.
Réponse du ministre de l’intérieur publiée au JO le 15 octobre 2013, p.10872
Texte de la réponse
Les dispositions propres à la Guyane, à la Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin (articles L. 514-1 et L. 514-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) ont pour effet de ne pas conférer, dans les collectivités concernées, un caractère suspensif aux recours introduits devant le Tribunal administratif contre les décisions d’éloignement (obligations de quitter le territoire français). Il importe de relever que, dans sa décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 (considérant 110), le Conseil constitutionnel n’a pas jugé contraire à la Constitution ce dispositif, notamment en estimant que « le législateur a pu, pour prendre en compte la situation particulière et les difficultés durables du département de la Guyane et, dans le département de la Guadeloupe, de la commune de Saint-Martin, en matière de circulation internationale des personnes, y maintenir le régime dérogatoire (...), sans rompre l’équilibre que le respect de la Constitution impose d’assurer entre les nécessités de l’ordre public et la sauvegarde des droits et libertés constitutionnellement garantis » et en soulignant « que les intéressés conserveront un droit de recours juridictionnel contre les mesures de police administrative » et « qu’ils auront notamment la faculté de saisir le juge des référés administratifs ».
Il importe également de noter que, dans son arrêt du 13 décembre 2012, De Souza Ribeiro c. France, n° 22689/07, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas remis en cause, à l’aune des articles 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), le caractère non suspensif des recours en matière d’éloignement prévalant dans certaines collectivités de la République (en l’espèce, en Guyane). A cet égard, le paragraphe 83 de l’arrêt ne souffre d’aucune ambiguïté : « s’agissant d’éloignements d’étrangers contestés sur la base d’une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, l’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif ».
En outre, si, dans l’affaire de Souza Ribeiro, la Cour de Strasbourg a constaté une violation du droit à un recours effectif, elle s’est fondée pour ce faire sur un ensemble de faits ayant conduit dans le cas d’espèce à priver le requérant de ce droit. En particulier, l’arrêt insiste sur différentes circonstances ayant prévalu en amont de la mise en œuvre de l’éloignement. D’une part, l’intéressé avait saisi, avant la mise à exécution de son éloignement, le Tribunal administratif d’un recours en annulation assorti d’un référé-suspension et avait fait valoir un « grief défendable », c’est-à-dire, au sens de la jurisprudence de la Cour, une argumentation étayée et sérieuse (paragraphes 90 et 94) : il ne pouvait pas être éloigné de France au regard de l’article L. 511-4 du CESEDA et, compte tenu de sa situation personnelle et familiale, se prévalait à juste titre de l’article 8 de la CEDH. D’autre part, l’administration n’a pas procédé, après l’interpellation de l’intéressé, à un examen sérieux de sa situation et n’a pas motivé suffisamment la mesure d’éloignement (paragraphe 88). Elle n’a pas tenu compte - alors qu’elle était en mesure de le faire - du « grief défendable » invoqué par le requérant à l’appui de ses recours, à savoir, en substance, sa situation personnelle et familiale (paragraphe 91). Et elle a fait preuve de précipitation dans la mise en œuvre de l’éloignement, ne laissant en particulier aucun délai suffisant au juge des référés pour statuer (paragraphes 95 et 96).
Afin d’assurer l’exécution de cet arrêt, des instructions précises ont été adressées au mois d’avril 2013 aux préfets de Guadeloupe et de Guyane afin de veiller au respect des règles ou bonnes pratiques rappelées par la Cour de Strasbourg. Il en est d’abord ainsi des règles relatives aux procédures d’éloignement que les préfets concernés sont amenés à mettre en œuvre : notamment, l’examen particulier de la situation personnelle et familiale de chaque étranger interpellé, la motivation en droit et en fait, exclusive de tout stéréotype, de chaque mesure d’éloignement ainsi que la notification à l’intéressé de cette mesure avec l’indication des voies et délais de recours et la notification de ses droits en cas de placement en rétention. En outre, dans le cas de l’exercice d’un recours, notamment d’une action en référé (référé-suspension et/ou d’un référé-liberté), les préfets concernés ont été expressément invités à reporter la mise en œuvre de l’éloignement jusqu’à ce que le juge des référés se soit prononcé lorsque le requérant a invoqué, à l’appui de sa demande en référé, des « griefs défendables », c’est-à-dire des moyens étayés et sérieux tirés de la situation de l’intéressé. Ces instructions permettent ainsi de concilier l’efficacité des procédures d’éloignement des ressortissants étrangers en situation irrégulière et le respect du droit à un recours effectif, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
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