Réunion - Papiers confisqués : le préfet condamné pour atteinte à la liberté de circuler

Article publié par Clicanoo.re le 25 mars
vendredi 25 mars 2011

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Parce qu’ils ont confisqué pendant plus d’un an et sans raison valable les papiers d’identité d’une ressortissante franco-malgache qu’ils souhaitaient voir expulser, les services de la préfecture ont été sévèrement condamnés par le juge des référés du tribunal de grande instance.

Après un an et demi de bataille juridique contre l’État et son représentant local, Mme Rasoanaivo va enfin retrouver une existence administrative normale. Privée de papiers depuis août 2009, en dépit d’une première victoire devant le tribunal administratif, la jeune femme à la double nationalité franco-malgache a obtenu la condamnation du préfet de la Réunion à lui restituer ses documents, ainsi qu’à l’indemniser du préjudice qu’elle a subi. Née à Madagascar d’un père de nationalité française, la jeune femme s’installe chez une tante à Saint-André en 2005, à l’âge de 19 ans. Détentrice d’un acte de naissance, puis d’un certificat de nationalité française et d’une carte d’identité française, elle a pu pénétrer sans problème sur le territoire de la Réunion et y refaire sa vie, accompagnée de son petit frère, mineur. Mais tout bascule en 2009 lorsque, sur dénonciation, elle se voit accusée d’avoir usurpé sa nationalité française. En l’occurrence, c’est son père, en instance de divorce avec sa mère, qui affirme avoir indûment reconnu Mme Rasoanaivo et son frère à la demande de son épouse ayant eu, selon lui, ces enfants d’un premier lit. Pour autant, l’homme n’a engagé aucune procédure de désaveu de paternité. Très sensibles sur la question des usurpations de nationalité française à Madagascar, les services de la police aux frontières et de la préfecture s’emparent de l’affaire et convoquent la jeune femme, alors enceinte de huit mois. Ses papiers français, mais aussi son passeport malgache, sont saisis pour les besoins de l’enquête, de même que ceux de son frère. Trois mois plus tard, peu de temps après son accouchement, elle est radiée des prestations sociales. Et en janvier 2010, Mme Rasoanaivo est de nouveau convoquée, placée en garde à vue, et fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, alors que rien, hormis les allégations de son père, ne vient étayer la thèse selon laquelle ses papiers sont des faux. Son frère, mineur, n’est pas concerné par l’expulsion. Contestant cet arrêté préfectoral devant le tribunal administratif avec son avocat, Me Éric Dugoujon, elle obtient cependant gain de cause, le juge des référés considérant que rien ne permettait de mettre en cause sa bonne foi et, a fortiori, sa nationalité française.

“ENTRAVE À SA LIBERTÉ”
Pour autant, Mme Rasoanaivo va rester privée de ses documents pendant encore de long mois, la préfecture se refusant inexplicablement à les lui restituer, en dépit de ses demandes répétées. Coincée à la Réunion, elle ne peut plus se rendre à Madagascar, où vit son époux, ni voyager n’importe où dans le monde, ou encore effectuer certaines démarches administratives ou commerciales courantes (lire par ailleurs). Une situation ubuesque, que la jeune femme va finalement soumettre au juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Denis. Me Dugoujon y plaide une “voie de fait” du préfet, c’est-à-dire une action gravement illégale de l’administration, qui porte atteinte à une liberté individuelle. Une argumentation retenue par le président Alain Chateauneuf, qui, dans une ordonnance datant de vendredi dernier, souligne le “refus persistant” de l’administration à restituer ces papiers alors “qu’aucune action légale n’a été réellement engagée à l’encontre de Mme Rasoanaivo et qu’aucune action en contestation de la nationalité française de cette dernière n’a non plus été introduite.” Relevant “le réel préjudice caractérisé par l’entrave à sa liberté d’aller et venir”, le magistrat considère que le préfet s’est rendu coupable “d’un trouble manifestement illicite, caractérisé par l’existence d’une voie de fait.” Et de condamner le représentant de l’État à restituer les documents sous astreinte de 300 euros par jour de retard, ainsi qu’au versement d’une provision de 5 000 euros à valoir sur l’indemnisation du préjudice occasionné par cette entrave à une liberté fondamentale

Sébastien Gignoux


“J’étais condamnée à rester chez moi”

Pour Mme Rasoanaivo, enfin la vie va commencer… Depuis plus d’un an qu’elle était privée de papiers par les services de l’État, cette jeune femme de 25 ans a traversé l’existence comme une ombre, dans une société moderne où rien n’est possible sans identité officielle. “J’ai beaucoup souffert, même si je gardais espoir. Mais tout était compliqué : je ne pouvais pas chercher du travail, m’inscrire à la CAF, à la Sécurité sociale, aller à la banque, ou simplement ouvrir une ligne de GSM… J’étais bloquée complètement, condamnée à rester à la maison, chez ma tante qui m’héberge, heureusement”, raconte la Franco-Malgache. Plus difficile encore que ces péripéties de la vie courante, cette immobilisation forcée l’a empêché de voir son mari, malgache, pendant près d’un an et demi. Lui, bloqué à Madagascar sans possibilité d’obtenir un visa pour la France ; elle, coincée à la Réunion sans aucun moyen d’en sortir. “J’ai dû accoucher sans lui. Ma fille de 17 mois n’a encore jamais vu son père”, poursuit Mme Rasoanaivo. “Mais j’ai gardé patience, et je faisais confiance à la justice française.” Et de conclure, pas rancunière : “Aujourd’hui, je suis contente et soulagée, nous allons pouvoir faire toutes les démarches dès que j’aurai récupéré mes papiers.”


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