Un projet de Ceseda au rabais pour Mayotte

vendredi 14 mars 2014

Communiqué du Gisti, 6 février 2014

Mayotte étant devenue une région « ultra-périphérique » de l’Union européenne le 1er janvier 2014 après être devenue un département français le 1er avril 2011, sa législation doit se conformer aux normes européennes et nationales. Ainsi, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) devrait s’appliquer bientôt à Mayotte.

Mais le gouvernement a décidé de multiplier les dérogations qui continueront de priver les étrangers et les étrangères de droits acquis en métropole s’il est adopté : des expulsions exécutées malgré le dépôt d’un recours, sans laisser au juge le temps de statuer ; des personnes en séjour régulier à Mayotte privées du droit d’aller en métropole ; un jeune arrivé à Mayotte depuis au moins l’âge de treize ans privé du droit à y résider après sa majorité s’il ne vivait pas avec un parent déjà en situation régulière ; etc.

Pour introduire ces dérogations le gouvernement a décidé, une fois encore, de légiférer par ordonnance c’est à dire par une procédure rapide sans débat parlementaire et sans publicité. C’est pourquoi le Gisti, auquel une version du projet d’ordonnance est parvenue, estime nécessaire de la rendre dès maintenant largement accessible. Vous en trouverez en outre ci-dessous une analyse détaillée.

Des voix au sein du gouvernement ou du Conseil d’État s’opposeront-elles à ce que ces mesures d’exception soient adoptées ?

Lire :

  • Le projet
    Projet d’ordonnance Ceseda pour Mayotte - 2014-2-1
  • Une analyse détaillée du Gisti
    Analyse du projet - 2014-2-1

Synthèse

Le projet d’ordonnance reprend d’abord les mesures dérogatoires déjà appliquées en Guyane et, souvent, en Guadeloupe et dans les COM d’Amérique. Les principales sont celles qui permettent des interpellations et des reconduites à la frontière multiples et expéditives :
des contrôles dérogatoires ;
l’absence de recours suspensif contre une mesure de reconduite à la frontière.
Le projet ajoute des dérogations spécifiques à Mayotte. Les principales sont :
L’absence de possibilité de bénéficier du délai d’un jour franc, en cas de refus d’entrée ;
La délivrance d’une carte de séjour temporaire (CST) « vie privée et familiale » à un ou une jeune arrivé⋅e à Mayotte avant l’âge de treize ans s’il ou elle y a séjourné avec au moins un de ses parents titulaire d’une CST ou d’une carte de résident [à Mayotte seulement] ;
La délivrance d’une carte de résident au père ou à la mère d’un enfant français et au conjoint ou à la conjointe d’un⋅e Français⋅e au bout de trois ans (Ceseda, art. L. 314-9) en tenant compte de son intention de s’établir durablement en France, notamment au regard de son activité professionnelle s’il eu elle en a une et de ses moyens d’existence [à Mayotte seulement] ;
La validité d’une CST délivrée à Mayotte limitée au séjour dans ce territoire (sauf pour de rares CST délivrées à des personnes très qualifiées) ;
L’aide au retour en cas d’OQTF restreinte à des cas exceptionnels notamment si la personne est accompagnée par un ou plusieurs enfants.


Observations de l’Union syndicale des magistrats administratifs

Voir le site de l’USMA, 14 mars 2014

Le projet d’ordonnance portant extension et adaptation à Mayotte du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (partie législative), prévoit en son article 5 l’application, à Mayotte, des dispositions dérogatoires au droit commun de l’article L. 514-1 du CESEDA applicables à la Guyane, en vertu desquelles le recours présenté par un étranger contre une OQTF ne revêt pas un caractère suspensif.

L’USMA, attentive à ce qu’une justice administrative effective et de qualité soit accessible à tous, ne saurait se satisfaire de ce statu quo, qui fait fi de la condamnation de la France par la CEDH pour violation du droit au recours effectif dans l’affaire « Souza Ribeiro », relative à la Guyane.

Si la Cour n’a certes pas exigé que le recours revête un caractère suspensif et n’a pas exigé que celui-ci revête une forme particulière, elle a cependant condamné la France pour absence de recours effectif, en relevant qu’aucun des recours introduits par le requérant n’avait fait l’objet d’un examen effectif, au fond ou en référé, par la juridiction administrative, de sorte que l’éloignement avait été effectué sur la seule base de la décision prise par l’autorité préfectorale.

Effet, si le juge administratif peut être saisi en urgence, via un référé-suspension ou un référé-liberté, une telle procédure ne suspend pas immédiatement l’exécution de la mesure d’éloignement. Il est donc possible - et très fréquent à Mayotte et en Guyane, eu égard à la célérité avec laquelle les mesures d’éloignement sont mises à exécution - que la mesure ait été exécutée avant que le juge ne se soit prononcé : il ne restera plus à ce dernier qu’à prononcer un non-lieu à statuer... L’existence de procédures de référé ne pallie donc pas l’absence de recours effectif.

Or, dans un Etat de droit, l’action administrative se doit d’être soumise au principe de légalité et le droit des étrangers ne saurait échapper à cette exigence fondamentale.

L’USMA ne peut donc souscrire à l’analyse avancée dans le projet d’ordonnance, qui perçoit le contrôle de légalité comme source de complexification de l’action de l’administration : la légalité ne saurait être synonyme de complexification .

Et l’argument relatif à l’engorgement de la juridiction administrative n’est pas davantage tenable. : s’il est indéniable que la mise en place d’un recours effectif contre les mesures d’éloignement porte en germe le risque d’un impact considérable sur l’activité des tribunaux administratifs de Cayenne et de Mamoudzou, il appartient à un Etat d’organiser ses juridictions de manière à répondre aux exigences qu’implique l’Etat de droit : le droit au recours ne saurait être conjoncturel.

Lire le texte complet de ces observations