Epidémie de "comoro-phobie", bangas détruits et brulés

lundi 16 mai 2016

2e partie : toujours le même rituel : les comités d’habitants préviennent deux semaines à l’avance puis, au jour fixé, cassent et brûlent les maisons à leur guise (15 mai - 5 juin 2016)


  • Kani-Keli : 5 juin 2016

17 mai 2017 : lettre et tracts annonçant des expulsions le 5 juin.
Appel aux personnes qui hébergent ou offrent des terrains aux "clandestins" à se charger eux-mêmes d’expulser leurs hôtes ou locataires

EXTRAIT
Les dates des prochaines expulsions sont connues : dimanche prochain à M’tsamboro, le 5 juin à Kani-Kéli… Mais que fera l’Etat ? Jusque-là, il se contente d’une position d’observateur. Le 101e département n’est décidément pas un département comme les autres. Dans un communiqué, la préfecture "condamne fermement les événements qui se sont déroulés sur plusieurs communes de l’île ce week-end et ont conduit à l’expulsion de familles et à la destruction de bangas (cases, NDLR)".

300 personnes au bord de la route
A Choungui, le 8 mai, 300 personnes, dont la moitié d’enfants, se sont ainsi brutalement retrouvées le long d’une route. Elles y sont restées deux jours. La préfecture, réagissant pour la première fois, a cherché à leur trouver un centre d’accueil, sans succès. Ce sont les associations comoriennes qui les ont finalement secourues. Au passage, la police de l’air et des frontières a vérifié avec zèle les papiers de ces réfugiés : 40 personnes ont été expulsées, selon la Cimade.
Avant chaque intervention des collectifs d’habitants, les gendarmes sont prévenus, mais face à des foules en colère, ils ne peuvent pas faire grand-chose. A Poroani, une vingtaine de gendarmes a assisté aux expulsions sans intervenir : la consigne était de laisser faire tant qu’aucune atteinte à la personne n’était constatée ou que les autorités municipales n’étaient impliquées…
Les familles chassées de leur domicile, qui viennent des trois îles des Comores indépendantes (Mayotte a choisi de rester française en 1974), sont dans un dénuement complet. Leurs enfants sont brutalement déscolarisés. Les associations de Comoriens, jusque-là, parvenaient tant bien que mal à reloger ces réfugiés dans des familles, un peu partout sur l’île. Mais le nombre de personnes sans domicile croît désormais trop rapidement et les bénévoles sont débordés.

Situation explosive
Chacun s’accorde à juger la situation explosive. Plusieurs centaines de personnes, hommes, femmes et des enfants, ont trouvé depuis lundi refuge sur la Place de la République à Mamoudzou, le chef lieu de département. Ils ont accès à l’eau et un centre médical a été installé, mais le soleil est accablant et l’ombre rare.
Ce sont des bénévoles comoriens ou de la Croix rouge qui accueillent ces familles. L’Etat reste peu présent. Une réunion a eu lieu à la préfecture mardi après-midi, avec les différentes associations. Pas de préfet, en revanche : l’ancien est parti, le nouveau n’est pas arrivé. La directrice de cabinet a proposé d’organiser un centre d’hébergement d’urgence. Mais dans la soirée, les militaires chargés de préparer un tel centre, sur un terrain de Mtsapéré, ont été stoppés par la population du quartier...

Retour sur le fil de la journée. De la Pointe Mahabou à la réunion en préfecture, de Mtsapéré au marché couvert... la crise des "décasés" se poursuit, avec le silence assourdissant de Paris.
Double blocage, ce lundi soir, dans la crise des personnes « décasées ». Alors que les représentants des collectifs comoriens ont obtenu qu’un camp soit érigé à Mtsapéré sur le terre-plein de la rocade pour loger temporairement les personnes chassées de chez elles, une double opposition bloque la mise en œuvre de la décision.
D’un côté, place de la République, l’essentiel des personnes installées ne veut pas partir comme le leur demande leurs associations. De l’autre, à Mtsapéré, le camp qui devait être installé, ne peut être monté à cause de l’intervention de certains riverains qui s’y opposent. D’ailleurs, des SMS circulent pour mobiliser les villageois et empêcher la mise en place de ce camp.
Pour comprendre la situation, un retour sur le récit de la journée s’impose. Ce lundi a commencé par une longue réunion d’un très grand nombre d’associations comoriennes ce lundi matin Pointe Mahabou. Il a été question de structurer le mouvement autour du soutien porté aux personnes « décasées », avec la mise en place de commissions et de porte-paroles. Un petit groupe a également été désigné pour permettre à la préfecture d’avoir des interlocuteurs

Stopper l’hémorragie
Car, durant l’après-midi, ces représentants ainsi que des associations dont la Cimade, ont été reçues par la directrice de cabinet du préfet. Ce collectif avait 4 demandes auxquelles la préfecture a tenté d’apporter ses réponses.
Tout d’abord, obtenir des garanties de l’Etat français pour qu’il mette en place une « action réelle » pour stopper « l’hémorragie », le mot choisi par ces associations comoriennes pour nommer la multiplication des opérations de « décasages » .
Si la préfecture a annoncé l’arrivée prochaine de renforts de gendarmerie, elle doit, à l’heure actuelle, faire avec un effectif rapidement débordé lorsqu’il doit intervenir, comme ce fut le cas ce weekend, sur une grande amplitude horaire, et sur un très grand nombre de lieux, de Mzouazia à Koungou, de Bouéni à Kani-Kéli ou Kani Bé.

Les maires appelés au chevet de leur cohésion sociale
Pour autant, les forces de sécurité ne sont pas les seules à pouvoir être mobilisées. La préfecture travaille activement avec plusieurs maires qui parviennent à apaiser les tensions dans leur commune.
C’est le cas à Tsingoni ou Bandrélé où les élus parviennent à préserver, tant bien que mal, ce qui reste de cohésion sociale entre les habitants. C’est en revanche mission impossible dans d’autres communes comme par exemple Bouéni, où des associations confirment la participation de membres de l’équipe municipale dans les mouvements qui ont chassé certaines personnes de chez elles.

Scolarisation, sécurité, arrêt des expulsions
Deuxième demande des collectifs comoriens, l’assurance du respect de la scolarisation des enfants. La préfecture annonce qu’une personne est en charge de suivre spécifiquement ce dossier dans ses services.
Les personnes chassées de chez elle ont dormi dehors dans la nuit de dimanche à lundi, aux abords du marché couvert
Troisième point, la garantie de la sécurité des personnes. Une sécurité policière sera assurée autour des lieux d’hébergement provisoire qui sont également appelés à s’organiser.
Enfin dernière demande, un moratoire sur les expulsions, pour que les personnes chassées voient leurs dossiers de régularisation traités en priorité et ne soient pas traquées par la PAF, comme ce fut le cas à Choungui. Là-dessus, la préfecture a rappelé qu’elle appliquait la loi de la République…

233 personnes, silence à Paris
Au final, ce lundi soir, impossible de savoir de quelle façon va évoluer la situation. Entre les tensions à Mtsapéré et les possibles crispations autour du marché couvert demain, mardi matin, le moment semble suspendu… Il convient tout de même de rappeler que le nombre de personnes « décasées » serait, selon les chiffres donnés par la préfecture aux associations, de 233.
Reste, du côté de l’Etat, un silence toujours aussi incompréhensible. Alors que des Français, chassent des étrangers en situation régulière et des enfants nés sur le territoire national de leur village, la parole de Paris devient particulièrement urgente.

Alors que les opérations qui consistent à chasser les ressortissants Comoriens, quelle que soit leur situation administrative, se multiplient, une cinquantaine d’associations doit se retrouver ce lundi matin Pointe Mahabou pour décider d’une structuration et d’une réaction.
Si le message est toujours porteur d’apaisement, il s’agit de trouver une solution d’hébergement aux personnes « décasées » dans les villages du sud durant le weekend. L’occupation de la place de la République à Mamoudzou, entamée hier, semble actée le temps que les personnes soient relogées, mais la question se pose d’une position commune à plus long terme.
La réunion de la Pointe Mahabou vise donc également à réfléchir à retisser des liens entre les communautés alors les tensions atteignent un niveau d’une rare intensité.

Répondant à un appel au rassemblement circulant par SMS, entre 300 et 400 personnes se sont regroupées sur la place de la République à Mamoudzou. Elles sont en provenance du sud de Grande Terre après avoir été « décasées » plus tôt dans la journée, chassées de leurs habitations dans les villages de Bouéni, Hagnoundrou, Mzouazia et Majimeouni. D’autres personnes, elles aussi de nationalité comorienne, en situation irrégulières mais aussi avec des titres de séjour, ont « expulsées » de Kani Bé vers 16h30. Elles sont également en route pour Mamoudzou, en début de soirée ce dimanche. D’autres personnes encore sont venues en soutien.
Les collectifs de Comoriens présents sur place indiquent dénoncer, eux aussi, les actes de délinquance ou d’appropriation des terres, et disent vouloir trouver une solution pour « vivre en paix et travailler en paix à Mayotte avec nos amis Mahorais ». S’ils affirment être prêts à discuter avec tout le monde, préfecture, département, associations… Ils s’apprêtent surtout à passer une nuit sur la Place de la République, dans l’attente d’alternatives.

Mansour Kamardine avait alerté sur un risque de guerre civile, on n’en est pas loin. Des étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou non, sont expulsés dans le sud et dans un quartier de Koungou. Et du côté de Hagnoudrou, la tension monte.

C’est le sud qui avait commencé ce matin à 6 heures, puisqu’à Boueni et à Moinatrindri, des étrangers ont été expulsés de leurs cases par des habitants. Seuls les familles dont l’un des conjoint est mahorais, auraient été épargnées. Certaines sont en situation régulière. Ce qui leur valent une tentative de relogement de la part de la gendarmerie, qui n’intervient toujours pas lors des « décasages ». Un relogement dans un gîte de la commune est envisagé, mais se heurte à l’hostilité croissante de la population.
Pendant ce temps, à Koungou, en milieu de matinée, des habitants ont prévu de mettre leur menace du week-end dernier à exécution en détruisant des cases flambant neuves, bâties cette semaine tout prêt de la plage en contre bas du quartier de Barakani.

Saindou Bamcolo s’était élevé conte cette installation illégale en avertissant le préfet de son intention d’y mettre un terme. Ce dernier aurait répondu dans un courrier que seule la justice pouvait intervenir dans une telle action.
Y voyant un blanc seing et constatant d’érection des cases, les habitants s’y sont dirigés ce dimanche 15 mai, et en ont détruit 4 : « Nous n’avons pas touché à celles où des familles sont installées », explique Allaoui, un des habitants, « nous ne sommes pas opposés à la présence d’étrangers. D’ailleurs, ceux-la louent des maisons dans le village, mais trouvent moins cher de construire des bangas sur ce terrain qui ne leur appartient pas, tout prés de la plage. Leurs eaux sales s’y déversent directement », dénoncent-ils.
Un gros manguier gît à terre, victime des récentes constructions : « c’est sur ce point que nous pouvons agir, parce qu’il y a atteinte à l’environnement », nous indique-t-on du côté de la mairie, qui précise qu’à cette emplacement d’autres infrastructures avaient été envisagées. Le terrain appartiendrait à la famille d’Alonzo, selon nos renseignements, une bananeraie est en tout cas cultivées en bordure de la construction en tôle, « il y a des vols, de la casse, nous n’en pouvons plus », explique Allaoui.

« Nous ne voulons pas de l’indépendance »

La population s’est rassemblée sur la piste, « nous ne voulons pas de l’indépendance à Mayotte. Par contre, nous aimerions que nos enfants puissent avoir des terrains pour cultiver. »
Lorsque nous quittons le sentier, les gendarmes arrivent, « pour sécuriser la zone », expliquent-ils, comme lors de chaque opération de ‘décasage’. « Il faut trouver le point d’équilibre pour que ça ne dérape pas », a expliqué aux journalistes le préfet Morsy sur le départ hier.
Les opérations se poursuivent ailleurs dans l’île, à Majiméoni la population ne peut accéder, les gendarmes en bloquant l’accès, et Mtsahara serait également touché.
Un sms est tombé sur les téléphones : « La ‘comorophobie’ a envahi Mayotte. Trouvons nous sur la place de la République à Mamoudzou en ce moment pour défendre nos droits. » A 14h, personne n’avait encore répondu présent sur la place qui porte à elle seule les valeurs de notre pays.

Une nouvelle action "d’expulsion pacifique contre l’immigration clandestine" visant particulièrement la population comorienne a eu lieu dimanche à Mayotte, à l’appel d’un collectif d’habitants d’une commune de l’île. 
Plus d’une centaine de villageois ont sillonné les rues de Bouéni (sud), tapant avec des bâtons sur des casseroles et chantant, et pénétré dans les habitations de tôles des personnes qu’ils souhaitaient déloger de force. La plupart des cases étaient vides, les occupants, alertés, ayant déserté leurs habitations.

Les membres du collectif ont menacé verbalement les journalistes présents ainsi que des citoyens venant manifester pacifiquement contre ces expulsions, les sommant de quitter les lieux. Cette opération est la quatrième recensée depuis janvier. Près d’un millier de personnes, selon la Cimade (association de défense des droits des étrangers), ont déjà été expulsées de leurs habitations, parfois détruites, dans les villages de Tsimkoura, Poroani et Choungi (sud) [...].
Parmi celles-ci, des femmes et enfants, ayant parfois passé la nuit dehors sur le bord de la route ; certaines personnes en situation régulière ont pu être relogées par des associations, d’autres en situation irrégulière ont été reconduites à la frontière par les forces de l’ordre. Présents sur le terrain, les gendarmes veillent à contenir les éventuels débordements violents. Dimanche matin, ils étaient près d’une trentaine à Bouéni et ont bloqué en milieu de matinée le passage aux habitants de la commune sur ordre de la Préfecture. En parallèle, à Koungou (nord), des résidents démantelaient des cases construites dans la semaine, en présence de forces de l’ordre, a constaté une journaliste de l’AFP.

Mayotte subit une forte pression migratoire des îles voisines des Comores et les tensions entre communautés s’exacerbent. Sur les tracts des différents collectifs, il est reproché aux "étrangers", "vols, agressions et meurtres au quotidien", "délinquance juvénile et chômage en masse", "écoles surchargées" et "système de santé débordé", entre autres.
De nouvelles opérations sont prévues le 22 mai à M’tsamboro (nord) et le 5 juin à Kani-Kéli (sud).