Deux barrages policiers permanents, véritables frontières internes, sont établis sur la seule route permettant l’accès à Cayenne, l’un à l’Est, l’autre à l’Ouest (voir la carte). Les personnes qui vivent le long des fleuves frontaliers (Oyapoque et Maroni), étrangères sans papiers ou françaises mais dépourvues de preuve de leur nationalité, sont ainsi privées de l’accès à la préfecture, à certains tribunaux, à plusieurs services hospitaliers et consultations spécialisées, à des formations professionnelles ou universitaires.
Jusqu’en 2015 les contrôles de gendarmerie sont renouvelés tous les six mois par des arrêtés préfectoraux selon lesquels « le caractère exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun de ces contrôles permanents à l’intérieur du territoire, doit être principalement ciblé sur la répression de l’orpaillage clandestin et l’immigration clandestine ».
Depuis lors les arrêtés sont annuels et omettent de les motiver comme avant.
Tous ces arrêtés figurent sur une page Internet ICI
Voilà celui de 2018 :
Deux contentieux concernant le barrage situé à l’Est de Cayenne - route nationale n°2
Huit associations - Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde - ont déposé devant le tribunal administratif de Cayenne plusieurs recours en annulation contre des arrêtés renouvelant :
- le barrage situé à l’Est (voir le communiqué du 28 octobre 2013) ;
- le barrage de l’Ouest (voir le communiqué du 7 mars 2014)
2013-2014
- Recours contre l’arrêté du 13 février 2014
- TA de Cayenne, 18 décembre 2014, n°13010228 et n° 1400525
Rejet des deux requêtes précédentes au motif qu’aucune des associations requérantes, compte tenu de leur champ d’action national et, pour certaines, de leur objet, ne justifiait d’un intérêt pour agir contre un arrêté préfectoral pris à des fins d’ordre public et dans le seul département de la Guyane.
2015
Les associations ont fait appel de cette décision devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux
- CAA de Bordeaux, 18 juin 2015, n°2015
La Cour approuve l’interprétation du TA de Cayenne.
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les associations requérantes ont pour objet social, conformément à leur statut, de porter aide et soutien aux personnes atteintes par l’infection au VIH, aux personnes opprimées, telles les détenus ou les migrants, aux migrants haïtiens en France, aux personnes immigrées en situation de précarité, de détresse et de vulnérabilité et aux personnes malades ; qu’eu égard à la généralité de tels objets et à leur champ d’action national, ces huit associations ne justifient pas, chacune, d’un intérêt leur donnant qualité à agir contre les arrêtés contestés du préfet de la Guyane qui n’ont d’effet, en réglementant la circulation sur une portion de la route nationale n°2 et en prévoyant l’installation d’un poste de gendarmerie, que dans une aire géographique limitée, sans que ces associations puisse utilement faire valoir, d’une part, que les associations locales n’ont pas les moyens, juridiques et financiers, de contester ces arrêtés et, d’autre part, que la restriction ainsi apportée à leur intérêt à agir porte atteinte à la liberté d’association garantie par les stipulations de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que ces associations sont ainsi irrecevables à demander l’annulation des arrêtés du préfet de la Guyane des 8 mai 2013 et 13 février 2014. »
2017
Les associations se sont portées en cassation
Le Conseil d’État casse la décision de la cour administrative d’appel.
EXTRAITS
2. Considérant que si, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un
champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les deux arrêtés attaqués, qui s’inscrivent dans une succession ininterrompue depuis 2006 d’arrêtés ayant le même objet, ont contribué à la présence durable d’un barrage filtrant sur la route nationale 2 qui relie Cayenne à Saint-Georges-de-l’Oyapock, situé à la frontière avec le Brésil ; qu’ils ont instauré une restriction à la libre circulation des personnes sur une route qui commande l’accès à Cayenne depuis le sud-est de la Guyane et le Brésil, est empruntée par une partie importante de la circulation automobile en Guyane et dessert une zone géographique très vaste ; que les associations requérantes faisaient notamment valoir que les arrêtés étaient susceptibles d’avoir un impact sur l’accès à Cayenne de personnes malades nécessitant des soins ; qu’en se fondant, pour dénier aux associations un intérêt leur donnant qualité pour agir, sur la généralité de l’objet social et le champ d’action national de chacune d’elles et sur la circonstance que les arrêtés attaqués ne produisaient des effets de droit que sur la portion de la route nationale n° 2 qu’ils visaient, sans rechercher si ces arrêtés soulevaient des questions qui, par leur nature et leur objet, excédaient les seules circonstances locales, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, l’annulation de son arrêt ;
[…]
5. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit au point 3, les arrêtés litigieux maintiennent une restriction durable à la libre circulation de l’ensemble des personnes empruntant un axe routier majeur d’un territoire très vaste et sont, de ce fait, susceptibles d’avoir, à l’échelle de l’ensemble de ce territoire, un effet sur les personnes que les associations requérantes ont vocation à défendre, notamment en ce qu’ils sont susceptibles de compliquer l’accès de ces personnes aux soins disponibles dans l’agglomération desservie par cet axe ; qu’ils soulèvent ainsi des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ; qu’il s’en suit qu’alors même qu’elles présentent un objet social large et un champ d’action national, les associations requérantes justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir contre ces arrêtés ; qu’elles sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement dont elles relèvent appel, le tribunal administratif de Cayenne, faisant droit à la fin de non-recevoir soulevée par le préfet de la Guyane, s’est fondé sur ce qu’elles ne justifiaient pas d’un tel intérêt pour rejeter leurs conclusions comme irrecevables ; qu’il y a lieu, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, d’annuler ce jugement ».
- Retour vers le TA de Guyane
Rejet : l’atteinte à la liberté d’aller et venir est ici justifiée par les problèmes d’ordre public dus aux phénomènes d’orpaillage clandestin et à la poussée importante de l’immigration illégale. Elle n’est donc pas excessive.
Deux recours concernant le barrage situé à l’Ouest de Cayenne - pont d’Iracoubo - procédure restée dans suite
- Recours contre l’arrêté du 31 décembre 2013
- Recours analogue contre l’arrêté du 21 août 2014
- TA de Cayenne, 7 mai 2015, n° 1400268 et n° 1401041
Le tribunal administratif de Cayenne reprend ses argument sur l’irrecevabilité des associations requérantes.