Réaction au courrier co-signé par Georges PATIENT, Lénaïck ADAM et Rodolphe ALEXANDRE, adressé à M. le Premier Ministre et demandant un moratoire du droit d’asile en Guyane.
Dans un courrier daté du mardi 4 mai 2021, le président de la Collectivité Territoriale de Guyane, M. Rodolphe ALEXANDRE, le député Lénaïck ADAM et le sénateur Georges PATIENT alertaient le Président de la République concernant l’entrée sur le territoire de ressortissant.e.s haïtien.ne.s sollicitant l’asile, à Saint-Laurent-du-Maroni. En tant que représentant d’organisations qui interviennent au quotidien et sur le terrain sur l’accompagnement des personnes exilées ici visées, nous souhaitons revenir sur un certain nombre d’affirmations servant un argumentaire xénophobe, traduisant une méconnaissance du droit et des dispositifs relatifs à l’asile et ne correspondant pas à la réalité des parcours de vie dont nous sommes témoins.
L’asile est une protection juridique régie par le droit international, demandée par une personne qui recherche une protection en raison de craintes d’être persécutée ou exposée à une menace dans son pays. Ces persécutions ou menaces ne concernent pas seulement les opinions politiques, comme semblent le penser les auteurs du courrier, mais également la race, la religion, la nationalité ou l’appartenance à un certain groupe social. La nationalité des personnes ne permet en aucun cas de présumer de la légitimité ou de l’illégitimité de leur demande d’asile, chacun.e ayant le droit à l’examen de sa situation individuelle. Ainsi l’État français accorde à toute personne étrangère se présentant sur son territoire le droit de voir sa demande d’asile examinée.
Contrairement à ce qu’affirme le courrier, à la frontière avec le Surinam, la délivrance d’un laisser-passer par la sous-préfecture de Saint-Laurent-du-Maroni est soumise à la présentation d’un test RT-PCR négatif de plus de 7 jours (correspondant donc à une période de septaine). Les personnes qui auraient été testées positives ou celles qui présentent des vulnérabilités particulières ont la possibilité d’être isolées dans un carbet mis à disposition à cet effet. Les personnes souhaitant demander l’asile sont donc soumises à plus de contraintes que les autres personnes souhaitant franchir le barrage d’Iracoubo, pour lesquel.le.s il n’est demandé ni test RT-PCR négatif, ni laisser-passer, mais seulement la présentation d’une attestation justifiant d’un motif impérieux.
Si les demandeurs.euses d’asile ont la possibilité de se voir remettre un laisser-passer à la frontière surinamaise, il n’en est pas de même à celle avec le Brésil, dont le franchissement est spécifiquement interdit par voie fluviale ou terrestre depuis le 14 avril, sauf pour le transport de marchandise1. De plus, aucun.e demandeur.euse d’asile ne peut se voir objecter l’illégalité de son entrée sur le territoire. Cela constitue une violation grave du droit d’asile et soumet les personnes aux passeurs qui leur proposent d’emprunter la voie maritime, les mettant ainsi en danger en plus de les paupériser en réclamant des sommes importantes.
Nos organisations se sont toujours élevées contre les postes de contrôle routier fixes que subissent les personnes vivant en Guyane depuis des années, considérant qu’ils représentent une atteinte à plusieurs libertés fondamentales : liberté d’aller et venir, droit à un recours effectif lorsque la vie privée et familiale est en jeu, égalité devant la loi, droit à la santé et à l’éducation. Maintenant
que leur usage a été étendu à la lutte contre l’épidémie de Covid-19, un certain nombre d’habitant.e.s de Guyane expérimentent par eux-mêmes le sentiment d’injustice que provoquent les restrictions de circulation. Il s’agit peut-être d’une occasion de réfléchir collectivement au bien-fondé de ces frontières intérieures.
Enfin, contrairement à ce qu’affirment les auteurs du courrier, les derniers chiffres de l’INSEE en la matière ne parlent pas d’un habitant.e sur deux, mais bien d’un.e habitant.e sur trois d’origine étrangère en Guyane2. La croissance démographique est plus due au solde naturel qu’au solde migratoire3. Déroulant leur argumentaire, les auteurs de la lettre en viennent à confondre le fait d’être d’origine étrangère avec des questions de maîtrise de la langue française, de difficultés d’intégration et d’habitat spontané.
En plus de menacer la cohésion sociale, ces amalgames sont particulièrement offensants pour un grand nombre personnes vivant et travaillant en Guyane et qui, certes, ne sont pas électeurs.trices des auteurs puisqu’elles n’en ont pas le droit, mais contribuent chaque jour à la vie sociale et économique du territoire. Ils sont également offensants pour les personnes qui vivent dans les bidonvilles car elles n’ont pas d’autre choix (difficultés d’accéder au parc locatif privé ou social ainsi qu’à la propriété ; absence d’hébergement pour les personnes demandant l’asile). Ils sont offensants pour les personnes qui souhaiteraient régulariser leur situation vis-à-vis du séjour, mais qui ne peuvent même pas obtenir de rendez-vous à la Préfecture pour y faire étudier leur dossier. Ils sont offensants pour toutes celles et ceux qui sont venu.e.s en Guyane dans l’espoir qu’elle pourrait leur apporter des conditions d’existence plus digne que leur pays d’origine, ce qui s’avère bien souvent ne pas être le cas, parfois en dépit du droit.
Nos organisations s’opposent fermement à la demande des auteurs de mise en oeuvre d’un moratoire sur le droit d’asile en Guyane et dénoncent au contraire les multiples entraves aux droits des personnes étrangères sur notre territoire.
Signataires :
Médecins du Monde
La Cimade
Le Comède
La Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Réseau des Etudiants Sans Frontière (RESF)
Sud Education Guyane
Association Vent d’Ici Vent d’Ailleurs (VIVA)
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