Projet de loi relatif à la protection de l’enfance adopté en deuxième lecture, le 13 octobre 2015, par le Sénat.
Débats sur deux amendements relatifs à l’outre-mer.
Pour une prohibition sans aucune exception de la rétention des enfants - à Mayotte aussi (amendement REJETÉ)
– Amendement de Mme Laurence Cohen : ajouter à l’article L. 551-1 du Ceseda :
« Les mineurs isolés et les familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs ne peuvent être placés en rétention par l’autorité administrative. Cette prohibition ne souffre d’aucune exception. »
Cela concerne surtout Mayotte où les dispositifs adoptés en métropole depuis l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, Popov c/ France 2012 ne s’appliquent pas.
Bilan : en 2014, 110 enfants sont passés dans un CRA de métropoles ; ils furent 5582 à Mayotte.
- Amendement n° 33, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter [l’article 21ter] par un paragraphe ainsi rédigé :
L’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les mineurs isolés et les familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs ne peuvent être placés en rétention par l’autorité administrative. Cette prohibition ne souffre d’aucune exception. »
Mme Laurence Cohen. Le 19 janvier 2012, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour le placement en rétention d’une famille avec deux enfants en bas âge. La violation de la Convention européenne des droits de l’homme a été constatée sur plusieurs fondements : violation de l’article 3 – interdiction des traitements inhumains ou dégradants –, de l’article 5 – droit à la liberté et à la sûreté – et de l’article 8 – droit au respect de la vie familiale.
Au lendemain de cet arrêt « Popov » de la Cour européenne des droits de l’homme, toute rétention d’étrangers mineurs aurait dû cesser sur le territoire français, y compris dans les territoires d’outre-mer. Or force est de constater que tel n’est pas le cas.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Défenseur des droits, un collectif de soixante professeurs de droit et de nombreuses associations de défense des droits de l’homme considèrent, en effet, que l’arrêt « Popov » n’a pas été pleinement exécuté.
Certes, le 6 juillet 2012, une circulaire a été prise visant à restreindre le recours à la rétention administrative des familles – parents et enfants – trouvées en situation irrégulière en France, mais il ne s’agit que d’une restriction, et non d’une interdiction de placer les enfants étrangers en rétention.
En outre, le champ d’application de ce texte est limité, puisque celui-ci ne s’applique pas à Mayotte, considérée par le Gouvernement comme relevant d’une « situation territoriale d’exception ».
La situation, dans ce département, est dramatique : sur les 5 692 mineurs enfermés en France en 2014, 5 582 l’étaient à Mayotte. Ce chiffre alarmant témoigne aussi d’une pratique inacceptable de la préfecture de Mayotte : le rattachement fictif de mineurs à des tiers dépourvus de tout lien légal avec eux.
En définitive, si la circulaire de 2012 a fait diminuer le nombre de placements en rétention de familles avec enfants, les placements en rétention administrative continuent, sans que les enfants bénéficient de garanties suffisantes.
C’est la raison pour laquelle nous demandons au Sénat d’adopter cet amendement, afin d’inscrire dans la loi l’interdiction du placement en rétention administrative des mineurs isolés, ainsi que des familles comprenant un ou plusieurs enfants mineurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Les membres de la commission des affaires sociales ont été sensibles aux arguments présentés. Le placement des mineurs en centre de rétention n’est évidemment pas une solution. Nous souhaitons entendre le Gouvernement sur ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je voudrais préalablement souligner qu’il n’y a aucun « vice » dans l’élaboration du calendrier des travaux du Sénat. Les articles en question ont été introduits dans la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, par voie d’amendements à l’Assemblée nationale, à un moment où celui-ci n’était pas encore précisément fixé. La concomitance avec l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France est donc fortuite.
Concernant l’amendement n° 33, l’Assemblée nationale a limité le placement en rétention de familles avec enfants mineurs à deux cas : celui des familles qui se sont soustraites de toutes les manières possibles aux mesures d’éloignement et le cas très rare du placement pour une nuit en vue de prendre un avion tôt le matin. Si nous ne placions pas en rétention les familles concernées par ce second cas, nous devrions les contraindre à dormir dans un véhicule de police, ce qui ne constituerait pas vraiment un progrès…
Le Sénat a lui-même participé à cet encadrement, en précisant que la rétention des familles devrait s’exercer uniquement dans des centres de rétention dotés de chambres isolées, adaptées et spécifiquement dédiées à l’accueil des familles.
Le Gouvernement considère donc que l’amendement est déjà largement satisfait par la disposition adoptée par le Sénat. S’il devait être maintenu, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. Madame Cohen, l’amendement n° 33 est-il maintenu ?
Mme Laurence Cohen. Oui, monsieur le président.
Comme beaucoup de mes collègues, j’ai visité des centres de rétention administrative : les conditions d’hébergement y sont terribles. Je ne crois nullement qu’il soit possible de garantir aux familles un hébergement dans de bonnes conditions.
Notre assemblée s’honorerait en votant cet amendement prévoyant qu’aucune famille ne doit être placée en rétention. C’est une question de principe.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je comprends les motivations qui ont poussé Mme Cohen à déposer cet amendement, mais que l’on invoque, encore une fois, le cas de Mayotte pour appuyer des revendications sans s’intéresser réellement à ce qui se passe sur ce territoire, notamment en matière d’immigration clandestine, me gêne profondément.
Mayotte est un territoire de 374 kilomètres carrés, où sont pratiquées plus de la moitié des reconduites à la frontière. Dans ces conditions, si un droit des étrangers dérogatoire ne s’y applique pas, comment faire pour mettre un terme à une pression migratoire insensée ?
Soit on prend en considération la situation de ce territoire dans sa globalité au lendemain de la départementalisation, soit on arrête d’en tirer argument pour justifier le dépôt de tel ou tel amendement ! Je m’oppose farouchement au présent amendement et je demande à mes collègues de me suivre sur ce point.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 33.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Système "Taubira" pour la prise en charge des mineurs isolés en outre-mer : pas de transferts vers d’autres départements ; extension de la mission régalienne d’évaluation de l’État du danger et de l’isolement
Amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain
M. Thani Mohamed Soilihi - En 2013, Mme la garde des sceaux a mis en place un système de solidarité entre les départements pour la prise en charge des mineurs isolés. Ce système, qui permet de s’occuper de nombreux enfants en détresse, exclut les départements et collectivités d’outre-mer, au motif – certes louable – d’éviter aux enfants originaires de ces territoires des déracinements traumatisants. En effet, imaginerait-on envoyer un enfant isolé de Mayotte en Bretagne ou un mineur de Martinique à Marseille ?
Toutefois, le dispositif créé par Mme Taubira en 2013 offre également un soutien de l’État aux départements au titre de la mission régalienne d’évaluation du danger et de l’isolement. Actuellement, les enfants d’outre-mer en sont également exclus, ce qui n’est pas juste. J’ai pris l’attache du ministère de la justice afin d’engager une concertation en vue de trouver une solution. J’y ai trouvé une écoute, ainsi qu’un intérêt marqué pour la situation ultramarine.
Le présent amendement tend à replacer les départements et les collectivités d’outre-mer dans lesquels s’applique le code de l’action sociale et des familles dans une situation de droit commun, tout en protégeant les enfants d’un éloignement excessif. Ce dispositif sera mis en œuvre en concertation avec les collectivités concernées, qui ne manqueront pas d’être consultées dans le cadre de l’élaboration d’un décret pris en Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Il s’agit d’un amendement de bon sens. Effectivement, le critère d’éloignement géographique doit être pris en compte, indépendamment des critères démographiques. Par ailleurs, cet amendement ne remet pas en cause la solidarité entre les départements. En conséquence, l’avis du Gouvernement est favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
- Code de l’action sociale et des familles, article L. 221-2 créé par le projet de loi modifié par le Sénat :
Art. L. 221-2-2. - Pour permettre l’application du troisième alinéa de l’article 375-5 du code civil, le président du conseil départemental transmet au ministre de la justice les informations dont il dispose sur le nombre de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille dans son département. Le ministre de la justice évalue les capacités d’accueil de ces mineurs de chaque département en fonction de critères démographiques et d’éloignement géographique. Les modalités d’application du présent article, notamment les conditions d’évaluation de la situation de ces mineurs et la prise en compte de la situation particulière des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, sont définies par décret en Conseil d’État.
- Code civil, article 375-5 complété par deux alinéas ainsi rédigés après adoption par le Sénat :
Lorsqu’un service de l’aide sociale à l’enfance signale la situation d’un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, selon le cas, le procureur de la République ou le juge des enfants demande au ministère de la justice de lui communiquer, pour chaque département, les informations permettant l’orientation du mineur concerné.
Le procureur de la République ou le juge des enfants prend sa décision en stricte considération de l’intérêt de l’enfant, qu’il apprécie notamment à partir des éléments ainsi transmis pour garantir des modalités d’accueil adaptées.
- Journal de Mayotte, Mineurs isolés : l’État pourra désormais exercer sa mission régalienne à Mayotte, 17 octobre 2015
« C’est une petite révolution que vient de faire voter le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi : tous les départements et territoires ultramarins où s’applique le code de l’action sociale et des familles, pourront solliciter l’aide de l’Etat pour leurs mineurs en danger. C’est le cas de Mayotte ».