La République doit faire face, à Mayotte, où se trouve ce vendredi François Hollande, à une équation sans solution. Tout ce que font les gouvernements successifs, c’est de bricoler des rustines pour éviter que ça explose, sans avoir les moyens de régler les problèmes de fond.
Il faut repasser par l’Histoire. Celle-ci s’est d’ailleurs rappelée à nous lorsque la France a dénoncé en mars le référendum organisé par les pro-Russes en Crimée. Moscou a eu beau jeu de rappeler que la France n’avait pas agi différemment à Mayotte, même si les Comores étaient une colonie française alors que l’Ukraine est souveraine, ce qui fait une petite différence...
La Russie n’est pas la seule à avoir fait le parallèle...
Giscard sépare Mayotte des Comores
Décembre 1974, la France organise un référendum d’autodétermination dans l’une de ses dernières colonies, l’archipel des Comores, qui compte alors quatre îles : Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte.
Seule cette dernière vote massivement pour rester française, alors que les trois autres optent pour une indépendance qui sera décrétée le 6 juillet 1975.
Mais Valéry Giscard d’Estaing, cédant notamment au lobby de la marine française qui ne veut pas perdre un point d’ancrage dans l’Océan indien, et à la perspective de conserver les droits à l’espace maritime, isole Mayotte du reste des Comores. Il s’appuyait également sur une histoire particulière selon laquelle Mayotte a été vendue à la France par un sultan malgache en 1841, et n’a été rattachée qu’ensuite aux Comores.
En 1976, VGE organise un second référendum dans cette île alors comorienne : sans surprise, à 99,4%, les Mahorais choisissent la France et les promesses économiques, et se détachent de l’archipel.
Le référendum de 1976
Sans doute l’insularité a-t-elle ses spécificités, mais nulle part ailleurs la France n’a isolé les résultats d’un référendum selon les région d’un pays.
Cette exception vaut à la France d’être régulièrement condamnée par les instances de décolonisation des Nations unies, les Comores n’ayant jamais accepté d’être amputées de Mayotte.
« Mayotte est comorienne et le restera à jamais »
Devant le palais présidentiel de Moroni où doit également se rendre François Hollande, il pourra d’ailleurs voir un grand panneau proclamant :
« Mayotte est comorienne et le restera à jamais. »
Toujours est-il que s’est développé, à partir de l’indépendance comorienne en 1975, il y a bientôt 40 ans, un fossé économique, social, politique intenable entre Mayotte et ses trois anciennes îles-sœurs.
Voisinage impossible entre :
- un territoire misérable devenu en 2011 un département français de plus de 200 000 habitants, bénéficiant en principe de tous les avantages sociaux et du niveau de vie de la métropole (mais incapable de les garantir réellement, comme le montraient les présidents de trois ONG humanitaires dans une tribune sur Rue89 cette semaine) ;
- un pays sous-développé de 750 000 habitants, aux ressources limitées, à l’histoire mouvementée dans laquelle la France n’a pas toujours eu le beau rôle (souvenez-vous des mercenaires de Bob Denard qui avaient pris le contrôle de l’archipel dans les années 70...).
Le drame des kwassa kwassa
Les conséquences de cette division sont tragiques. Chaque année, des dizaines de milliers de Comoriens tentent de traverser en kwassa kwassa (pirogues) le bras de mer de quelque 70 kilomètres à vol d’oiseau séparant la commune de Domoni, sur l’île comorienne d’Anjouan, de Mayotte, afin de bénéficier des meilleures prestations, voire même d’accoucher en territoire français et bénéficier du droit du sol.
Cette traversée peut se révéler dangereuse et, régulièrement, des kwassa kwassa se renversent et envoient à la mort des familles entières. 12 000 morts, selon le gouvernement de Moroni, depuis l’instauration de visas pour les Comoriens se rendant à Mayotte, en 1993, surnommés les « visas Balladur »... C’est « le plus grand cimetière marin du monde », s’est exclamé le président comorien à la tribune des Nations unies l’an dernier.
Beaucoup de ceux qui parviennent à passer rejoignent des centres de rétention, et la longue liste des expulsés, fournissant la moitié des sans-papiers refoulés du sol français chaque année. Des centres de rétention qui, régulièrement, font l’objet de révélations sur des conditions de vie sordides, indignes de la France.
Comment surmonter cette situation inextricable ? Le fossé n’est pas près de se combler entre les Comores et le département français de Mayotte, conduisant la France à renforcer toujours plus les moyens de surveillance et de répression contre les clandestins, une guerre impossible à gagner.
Les Comoriens y perdent leurs vies, les Mahorais leur dignité, et La France ses moyens et son âme.
Muraille illusoire au milieu de l’océan
Il est toujours difficile de défaire ce qui a été mal fait, mais la France ne peut pas continuer éternellement à couvrir cette aberration dans l’Océan indien.
La solution ne peut venir que d’un accord avec les Comores, permettant de rapprocher par étapes Mayotte de ses anciennes « sœurs ». Il faudra de l’imagination, de l’ingénierie juridique, des moyens de développement économique et social, et surtout, de la bonne volonté qui n’existe guère à ce stade.
Les Mahorais, évidemment, ne doivent pas devenir les victimes d’une situation qui a été créée lorsque des hommes politiques français leur ont fait miroiter un avenir radieux au sein de la République. Mais ils ne peuvent pas espérer prospérer éternellement dans leur environnement en s’entourant d’une muraille illusoire au milieu de l’océan.
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