- Tribunal administratif de Cayenne, 18 août 2010, n° 1000548
Juge des référés (référé liberté)
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- Analyse de Lucie Curet
Coordinatrice de la Plateforme d’accueil et d’orientation des demandeurs d’asile et réfugiés en Guyane, La Cimade
Le 18 août 2010, le Tribunal administratif de Cayenne rendait 18 ordonnances par lesquelles il était enjoint au Préfet de Guyane d’indiquer aux requérants « dans un délai de quarante-huit heures à compter de la réception de la présente ordonnance, un lieu d’hébergement susceptible de [les] accueillir ».
Les 18 requérants sont demandeurs d’asile en attente du traitement de leur demande. La Préfecture ne leur ayant indiqué aucun lieu d’hébergement tant lors du dépôt de leur demande d’asile qu’après envoi d’une demande écrite, le juge a considéré que cette dernière portait ainsi « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Si cette décision ne semble à première vue que traduire la loi et la jurisprudence du Conseil d’État, c’est à la lumière du contexte guyanais et de la crise du logement qui y sévit, qu’elle prend tout son intérêt. Ceci pourrait en partie expliquer pourquoi, jusqu’à présent, la préfecture n’a pas encore exécuté ces décisions.
Le juge administratif procède ici à un rappel à la loi et à la jurisprudence du Conseil d’État, qui prévoit pour l’une, qu’il incombe à l’État d’assurer des conditions matérielles d’accueil décentes aux demandeurs d’asile admis au séjour en France et pour l’autre, que cette obligation de l’État s’applique également aux demandeurs d’asile percevant l’allocation temporaire d’attente.
Ainsi, le Tribunal administratif de Cayenne rappelle sans nuance que l’autorité préfectorale doit, « aussi longtemps qu’il [sont] admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d’asile et quelle que soit la procédure d’examen de [leur] demande, (…) assurer [aux demandeurs d’asile], selon [leurs] besoins et [leurs] ressources, des conditions d’accueil comprenant le logement, la nourriture et l’habillement (…) ».
Il s’appuie pour cela sur la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres dans son article 13-2, qui dispose que « Les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs ».
En droit interne, ces dispositions se sont traduites par l’obligation pour la préfecture, lors du dépôt de sa demande d’asile, de proposer au demandeur d’asile majeurs admis au séjour une place en centre d’hébergement durant la durée du traitement de sa demande d’asile. S’il accepte, il percevra une allocation mensuelle versée par la DASS variable en fonction du nombre de membres d’une même famille et du mode de restauration dans le centre d’hébergement. S’il refuse cette offre d’hébergement, il ne percevra rien.
Lorsque le demandeur d’asile n’a pas refusé une telle offre mais ne peut en bénéficier parce que la Préfecture ne le lui a pas proposé, notamment du fait de l’indisponibilité d’hébergement, cette dernière doit, pour remplir son obligation d’assurer des conditions d’accueil décentes, lui verser une allocation temporaire d’attente (ATA) mensuelle d’un montant d’environ 300 euros (art. L.5423-8-1° et art. L.5423-9-2° du code du travail).
Or, en Guyane, la préfecture ne procède pas à cette proposition et les demandeurs d’asile admis au séjour touchent systématiquement l’ATA, sans possibilité alternative de bénéficier d’un hébergement.
La décision du tribunal de Cayenne va cependant plus loin que ce que la loi prévoit puisqu’en l’espèce, la plupart des requérants touchaient déjà l’ATA. Il applique en cela la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 2 août 2010, M. Usein Bejtula, n° 342012).
Ainsi, il considère que, si les intéressés ont été admis au bénéfice de l’ATA, ils se trouvent « depuis plusieurs mois sans domicile, vivant dans un squat dans une situation d’extrême précarité et [n’étant] pas en mesure de se loger dans des conditions décentes en dehors des structures d’hébergement auxquels [ils n’ont] pas pu accéder (…) l’autorité préfectorale a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (…) ».
Le tribunal considère donc que le montant de l’ATA demeure insuffisant pour assurer des conditions de vie décentes aux demandeurs et qu’ainsi, la perception de l’ATA ne fait pas obstacle à l’obligation de l’l’État de leur proposer un hébergement.
On relèvera par ailleurs qu’en pratique, le montant de cette allocation est le même, que le demandeur d’asile soit célibataire ou en famille, ce qui ne permet pas aux familles d’assurer à la fois un hébergement décent et de la nourriture quotidienne.
L’application de ces dispositions en Guyane demeure largement compromise dès lors que ce département ne compte pas, contrairement à la métropole, de centre d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (CADA), et qu’elle fait face à un manque de logement généralisé à l’ensemble des habitants en situation précaire.
Rappelons cependant que l’absence de place en hébergement n’est pas considérée par la loi comme un obstacle à l’obligation de l’l’État de fournir des conditions d’accueil décentes aux demandeurs d’asile (art. 14-8 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003).
Ainsi, afin de pallier à l’absence de CADA, les demandeurs d’asile en situation particulièrement difficile (entendons ici les familles avec enfants) bénéficiaient jusqu’à maintenant, soit d’une place dans un logement sous gestion d’une association, soit d’un hébergement temporaire (jusqu’à perception de l’ATA) dans une structure d’hébergement, sur décision d’une commission d’attribution des logements pour les personnes en situation précaire.
Ce système, largement insuffisant pour pallier aux obligations de l’État, est sur le point d’imploser du fait de l’augmentation constante et importante du nombre de demandeurs d’asile présents sur le territoire guyanais : d’une part, il n’assure un hébergement qu’aux familles en situation particulièrement précaire, excluant ainsi les célibataires et les couples, et d’autre part, le nombre d’hébergement reste dramatiquement limité et ne permet même pas à toutes les familles de bénéficier d’un hébergement.
La grande majorité des demandeurs d’asile vit donc avec environ 300 euros par mois et par adulte. Malgré la longueur de la procédure de demande d’asile (en moyenne un an pour une réponse de l’OFPRA et un à deux ans pour une réponse du recours auprès de la CNDA), ils ne sont pas autorisés à travailler pendant la 1ere année de leur séjour en France (art. R.742-2 du Ceseda). L’absence de logement disponible les pousse bien souvent à s’installer avec plusieurs autres étrangers dans des propriétés privées inoccupées, souvent sans eau ni électricité et dans un état d’insalubrité avancée. Ils doivent alors parfois faire face aux procédures d’expulsion qui commencent à se multiplier sur l’île de Cayenne et à l’hostilité du voisinage ainsi que des forces de l’ordre.
L’absence de logement en Guyane, pour les étrangers comme pour les ressortissants français, explique en partie la lenteur des pouvoirs publics à pallier à ce manque.
Les 18 décisions n’ont, jusqu’à présent, pas été appliquées par la préfecture, demeurée sourde aux relances de l’avocat des requérants. Le restera-t-elle après rendu d’une deuxième décision du tribunal le 30 septembre dernier, constatant l’inexécution de ses décisions et enjoignant à nouveau le préfet à désigner un hébergement aux requérants sous peine d’astreinte ?
Reste à espérer que ces décisions forceront l’État dans ses obligations et permettront la création très prochainement d’une structure d’hébergement pour les demandeurs d’asile d’une capacité d’accueil à la hauteur des besoins.